02.09.10 RFI; L'Afrique, terre de toutes les convoitises…, par Arnaud Jouve

 

 

RFI : Les Amis de la Terre
viennent de sortir un rapport intitulé Afrique, terre de toutes les
convoitises
. Un document qui dénonce un phénomène que vous avez observé dans
différentes parties du continent …

Anne Bringault
:
 En fait, il s’agit d’un phénomène qu’on
a, nous, identifié en Afrique. On s’est focalisé sur onze pays où on voit que de
plus en plus de terres sont achetées par des entreprises occidentales, notamment
européennes, ou des gouvernements, pour y produire soit des produits
alimentaires, mais surtout des agro carburants pour remplir l’objectif européen
d’avoir 10% d’agro carburants dans nos carburants en 2020.

RFI : Pour satisfaire ces
objectifs, vous estimez qu’il va y avoir un développement important des agro
carburants, que ça va nécessiter beaucoup de terres agricoles si j’ai compris et
que ces superficies importantes sont difficiles à trouver en Europe. C’est pour
cela qu’il y a un rush sur les terres africaines ?

A.B. : Tout à fait, les superficies agricoles européennes sont
limitées. On voit qu’on importe déjà beaucoup de produits et donc de plus en
plus, l’Europe et d’autres pays se tournent vers d’autres continents pour
acheter des terres pour développer ces cultures pour nos
voitures.

RFI : C’est un phénomène que
vous observez depuis longtemps ?

A.B. : C’est assez récent. Ca a démarré aux alentours de 2006 et,
depuis 2006, on estime qu’il y a cinq millions d’hectares, donc plus que la
surface des Pays-Bas, qui ont été achetés en Afrique pour produire des agro
carburants.

RFI : C’est un phénomène que
vous avez d’ailleurs documenté sur une dizaine de pays
.

A.B. : Sur onze pays tout à fait. On donne des exemples concrets
comme la Tanzanie où des riziculteurs ont été expulsés, sur l’Éthiopie où des
terres situées dans une réserve d’éléphants ont été déboisées au profit de
cultures énergétiques ; sur le Mozambique où il y a jusqu’à un septième des
terres arables qui sont convoitées par des entreprises occidentales. Donc c’est
vrai que c’est un phénomène qui est vraiment en développement exponentiel et
pour lequel on a du mal à avoir des informations parce que les gouvernements
locaux peuvent y avoir des intérêts aussi et que ce sont des informations qu’il
est difficile de mesurer et de pointer du doigt.

RFI : Ce développement
agricole, ça pourrait être perçu comme une bonne nouvelle mais vous justement,
vous tirez le signal d’alarme ? Quel est votre constat ?

A.B. : Tout à fait. On a constaté qu’en fait, ça pose plus de
problèmes que ça n’apporte de solutions. Il y a des problèmes au niveau du
foncier puisque souvent ces terres appartenaient à quelqu’un même si c’était
dans la coutume. Et donc quand les États donnent ces terres à des compagnies ou
les gens nous les louent, il y a des conflits au niveau du foncier. Il y a des
conflits de concurrence avec l’alimentation parce que, si on produit de la canne
à sucre ou du jatropha, on ne produit pas à cet endroit là des produits pour
alimenter les populations locales. Ca fait augmenter le prix des terres, ça fait
monter aussi le prix des produits agricoles, et donc de l’alimentation. Ca ne
génère absolument pas autant d’emplois que ce qui est présenté. En fait, il faut
très peu de main d’œuvre et plutôt à des périodes très limitées. Ca demande
beaucoup d’eau, ça demande de déforester parfois. Et tout cela pour des cultures
qui vont plutôt pour l’exportation. Donc l’intérêt pour les populations locales
est souvent très limité. Ca devrait au contraire aider les populations locales à
développer une agriculture vivrière avec une agriculture paysanne familiale et
des méthodes agricoles qui permettent d’avoir des produits de qualité
locaux.

RFI : Mais l’Afrique elle-même
va être confrontée aux problèmes énergétiques ? Elle va peut-être d’ailleurs de
plus en plus se tourner vers les agro carburants ? Le président Lula du Brésil,
dans sa dernière tournée africaine, est venu faire la promotion justement des
agro carburants en vantant les mérites de cette réponse pour les pays en
développement ?

A.B. : Tout à fait. Si on écoutait monsieur Lula, on aurait de la
canne à sucre un peu partout. Pourtant on voit les difficultés que cela peut
poser pour les travailleurs qui travaillent dans ces champs de canne à sucre
dans des conditions très très difficiles. Il ne faut pas comparer le Brésil et
l’Afrique. Je pense que ce sont vraiment deux contextes très différents. Et je
pense que le principal, c’est déjà de voir ce dont l’Afrique a besoin qui est
d’abord de se nourrir avant peut-être de chercher à avoir plus d’énergie. Il
existe quantité d'autres possibilités d’obtenir des énergies renouvelables
plutôt que des agro carburants. Et par ailleurs, c’est surtout à nous Européens
de montrer l’exemple et donc de réduire notre consommation de carburant au lieu
d’essayer de trouver des terres en dehors de notre territoire pour combler notre
besoin de carburant!

 

 

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