Nuremberg II aurait-il lieu ? Pourquoi l’enquête de Carla Del Ponte sur le FPR de Kagame a-t-elle tourné court ? (J.-P. Mbelu)


Certains lancent à appel à Nuremberg II. Ces compatriotes
soutiennent tous que la justice (internationale) est indispensable au
retour de la paix de notre pays. Ils souhaitent qu’un Nuremberg II mette
fin à la culture de l’impunité dans les pays des Grands Lacs africains.

Sont-ils les premiers à exprimer ce vœu ? Non !

 

Une dame, Procureure du TPIY et du TPIR, a elle aussi porté en
elle ce désir, après qu’elle se soit rendue compte qu’au Rwanda, avec
le génocide de 1994, il devenait difficile de croire que la raison a
toujours le dessus sur la folie humaine. Dans sa tentative de rendre une justice équitable au TPIR, elle a palpé une évidence : Nuremberg était un tribunal des vaincus.

« Les
armées victorieuses conféraient aux procureurs de Nuremberg et de Tokyo
suffisamment d’autorité pour leur permettre d’avoir accès aux témoins,
d’obtenir les preuves documentaires et d’appréhender les criminels de
guerre mis en accusation, ne fût-ce que parmi leurs ennemis vaincus
allemands et japonais. » (p.22-23) En votant la Résolution 955
instituant le TPIR en 1994, le Conseil de sécurité des Nations unies n’a
pas doté Carla Del Ponte d’une autorité comparable. Cet article se veut
un petit résumé des efforts déployés par Madame la
Procureure pour qu’aboutisse son enquête spéciale sur la partie Tutsie
impliquée dans « le génocide Hutu ». Il poursuit un objectif :
rafraîchir la mémoire des résistants et autres luttants congolais sur
les forces contre lesquelles ceux d’entre nous qui appellent de tous
leurs vœux l’institution d’un Nuremberg II sont supposés se battre en
étudiant le TPIR. Notre source est le livre de Carla Del Ponte intitulé La traque, les criminels de guerre et moi (2009)

 

Quand est-ce que le Tribunal pénal international pour le Rwanda a-t-il été créé ? Quelle était sa mission ?

 

« Dans
sa Résolution 955 votée en 1994, le Conseil de sécurité des Nations
unies avait institué le Tribunal pénal international pour le Rwanda
(TPIR), dont la vocation était de poursuivre non seulement
les responsables du génocide de 1994, mais aussi « d’autres violations
flagrantes systématiques et à grande échelle du droit humanitaire
international », ce qui caractérisait également les crimes qui auraient
été perpétrés par les membres du Front patriotique rwandais à
l’intérieur du Rwanda en 1994. » Le mandat du TPIR lui
permettait d’enquêter et de poursuivre les criminels dans les camps Hutu
et Tutsi (FPR) de façon à mettre la justice au service de la
réconciliation nationale. Pour Carla Del Ponte,  « ne pas enquêter sur
les exactions du Front patriotiques rwandais serait revenu
à admettre et proclamer que les dirigeants tutsis étaient couverts par
l’impunité, qu’ils étaient au-dessus de la loi, et que les victimes
innocentes de leurs violences ne comptaient pas. » (p.299)

 

Comment
Carla Del Ponte en est-elle venue à ce point de vue et à s’engager pour
une enquête spéciale contre les membres du Front patriotique rwandais ?

 

Elle
a fait un constat : « Malgré les rapports crédibles de massacres
perpétrés par les Tutsis, le Tribunal n’avait effectivement inculpé que
les Hutus impliqués dans le génocide (…). » (p.298) Et pourtant, le FPR
avait reconnu l’exécution, le 5 juin 1994, de l’archevêque de Kigali, de
deux évêques, d’un abbé, de neuf prêtres et de trois jeunes filles.

Quand
Carla Del Ponte s’engage dans l’enquête sur cette exécution et
certaines autres, Kagame et les autres responsables du FPR promettent de
coopérer en remettant à la Procureure les dossiers des enquêtes sur cet
assassinat. Après plusieurs tergiversations, Kagame finit par refuser
la coopération promise. « « Non, déclara-t-il, au cours d’une rencontre
avec Carla Del Ponte et son équipe le 28 juin 2002. Il n’en est pas
question ! » Il me fit sèchement savoir, écrit Carla Del
Ponte, que le Tribunal ne devait pas enquêter sur la milice
tutsie-milice qu’il avait lui-même commandée et dont il avait ensuite
fait l’armée du
Rwanda. » (p.372)

Puis,
« il (Kagame) perdit très vite son sang-froid : « Vous ne parviendrez
pas à empêcher la reconstruction de la nation, fulmina-t-il ? Je suis en
train de reconstruire ce pays, moi… Je dois maintenir l’ordre
intérieur…Si vous ouvrez une enquête, les gens vont penser qu’il y a eu
deux génocides…Or, tout ce que nous avons fait, c’était libérer le
Rwanda. » » (p. 373)

L’un
des problèmes majeurs de Kagame est là : « Les gens ne doivent pas
penser qu’il y a eu deux génocides ». Pourquoi ? Parce que la légitimité
du pouvoir de Kagame et du FPR repose sur le fait qu’ils ont mis fin à
l’unique génocide des Tutsis. Pour préserver cette légitimité, toute
enquête sur « le deuxième éventuel génocide » doit être empêchée.
Connaissant certains témoins que Carla Del Ponte avait finis par
rencontrer, Kagame savait que Madame la Procureure était au courant des crimes commis par le FPR.

Le
27 juillet 2002, Carla Del Ponte fait son rapport au Conseil de
sécurité des Nations unies. Elle dit : « Certains éléments puissants et
hauts placés au Rwanda s’opposent farouchement à l’enquête que mène le
Procureur, conformément au mandat du Tribunal pour le Rwanda, sur des
crimes qu’auraient commis des membres du Front patriotique du Rwanda en
1994. Malgré les assurances qu’avait  par le passé fournies
au Procureur le président Kagame, son gouvernement ne nous a apporté
pour ces enquêtes aucune aide concrète en réponse à nos demandes
répétées. En l’état actuel des choses, les autorités rwandaises
n’affichent aucune volonté politique sincère de coopérer pour nous
fournir une assistance dans un domaine
qu’elles interprètes comme étant de nature politique alors que, bien
entendu, le Procureur se limite à l’exécution technique de son mandat
judiciaire. » (p. 376-377)

Malgré les exhortations de certains de ses alliés, Kigali refusa de coopérer avec le TPIR et organisa la justice populaire (les gacaca) supposée
juger les crimes du FPR et contribuer à la réconciliation nationale.
Une justice dont la crédibilité était mise en doute par Carla Del Ponte.

Comment les Etats-Unis et leurs alliés entrent-ils cette « guerre » juridico-politique ?

Face
à la durée des procès du TPIY et du TPIR et à la modicité des moyens
mis à leur disposition, Carla Del Ponte croit saisir l’opportunité de la
création de la CPI pour poursuivre sa lutte contre l’impunité. Quand,
en 2002, la CPI ouvre ses portes, elle cherche à postuler pour devenir
la dirigeante du parquet de cette instance internationale prestigieuse.
Sa candidature sera écartée.

Le
président américain Bill Clinton signe le Statut de Rome instituant la
CPI. Il est fin mandat. George W. Bush élu raye cette signature arguant
que la CPI pourrait entreprendre de poursuivre des dirigeants politiques
et militaires américains pour des motifs politiques.

« Après
quoi, le Département d’Etat entrepris de passer des accords bilatéraux
d’immunité avec plusieurs pays-pauvres pour la plupart, et dépendants de
l’aide économique et militaire américaine- afin d’exempter les
ressortissants de l’un et l’autre Etats parties de toutes
poursuites devant la Cour pénale internationale. » (p.381). Le 5 mars
2003, Kagame est à Washington en visite officielle. Il signe un accord
bilatéral d’immunité avec les USA.

Il
aurait sollicité de ce partenaire bilatéral et de ses alliés un soutien
sans faille dans sa campagne de diabolisation contre le TPIR. Le 15 mai
2003, un ambassadeur extraordinaire des USA pour les crimes, Pierre
Prospère, appuyant le Rwanda de Kagame exige que les enquêtes sur les
crimes du FPR soient confiées aux juridictions populaires (les gacaca) et non au TPIR.

Quelques
mois plus tard, Prospère informe Carla Del Ponte qu’il était bon que le
TPIR ait son propre procureur. Ce souhait partagé par la
Grande-Bretagne se justifiait dans la mesure sa réalisation
contribuerait à rendre le TPIR « efficace » et à réduire les coûts.
Donc, la restructuration était indispensable. « Le 28
août, la décision tomba. (…) Le Conseil de sécurité vota la Résolution
1503. Je (Carla Del Ponte) n’étais plus procureure générale du Tribunal
pénal international pour le Rwanda. » (p. 395)

Officiellement,
il fallait rendre le TPIR efficace et en diminuer les coûts.
Officieusement, il fallait casser l’enquête spéciale. Et deux membres
permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ont pesé de tout
leur poids pour arrêter cette enquête. Elle n’ira pas jusqu’au bout. Un
Anglais, Raph Zacklin, membre du Bureau des affaires juridiques des
Nations unies fera remarquer à Carla Del Ponte que « le Conseil de sécurité
est une institution politique qui prend des décisions politiques. » (p.
392-393) La justice politisée ne permet pas à Carla Del Ponte de mener à
bien son enquête spéciale. Quand elle quitte  ce tribunal,
aucun membre du FPR n’y est convoqué. Seuls
« les vaincus » sont jugés. Néanmoins, grâce aux plaidoiries des
avocats de ces « vaincus », le 18 décembre 2008, Théoneste Bagosora,
bien que condamnés à vie est acquitté en tant « le cerveau moteur » de
la planification du « génocide tutsi ».

Après
ce procès, Pierre Hazan, expert en matière de justice internationale,
exprime un regret : « Le présupposé de la justice internationale est sa
capacité de prévention de nouveaux conflits. Or la dimension dissuasive
du TPIR n'a pas joué à l'échelon régional. » Plus de quinze ans après,
la région des Grands Lacs n'en finit pas d'endurer les séquelles du
génocide rwandais, comme en atteste la guerre d’agression à laquelle l'Est de notre pays résiste jusqu’à ce jour.

La
politisation de la justice internationale et sa financiarisation
demeure des obstacles majeurs dans notre lutte pour un Nuremberg II.
Comment renverser la vapeur afin que soit institué un « Tribunal des
Vainqueurs » ? En créant un réseau avec l’Association des Avocats de la
défense de la partie Hutue dont Peter Erlinder ? En luttant sur le temps
afin que nous puissions « avoir le pouvoir » et juger nous-mêmes un
jour tous ces criminels ? La fuite du dernier rapport du HCDH ne
garantit pas que cette fois-ci justice sera rendue. Il nous faut
travailler les pistes collectives efficaces de  rupture avec la culture de l’impunité.

 

 

 
 

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