16.09.10 C Onana : L’Afrique centrale pourrait connaître le scénario rwandais


 

Interview
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Charles Onana : L’Afrique centrale pourrait connaître le scénario rwandais


A la suite de la conférence, très courue, qu’il a donnée le 10 septembre
dernier à Yaoundé, le journaliste et essayiste franco-camerounais qui
s’est illustré ces 10 dernières années sur ses enquêtes sur le Rwanda et
les conflits dans les Grandes Lacs, met en exergue la «stratégie» mise
sur pied pour déstabiliser la zone Afrique centrale en passant par le
Rwanda.

Au
moment où vous teniez votre conférence à Yaoundé, Paul Kagamé, le
président rwandais, menaçait les Nations Unies de retirer ses troupes du
Darfour si l’organisation mondiale venait à publier son rapport qui
accuserait son armée de pires exactions au Congo. Etait-ce le prétexte
de votre prestation à Yaoundé, ou un simple hasard de calendrier ?

Je
peux dire que c’est juste une coïncidence de calendrier : lorsque j’ai
été invité par le journal Mutations pour cette conférence au Cameroun,
personne ne savait qu’on allait avoir des fuites dans le journal Le
Monde sur le rapport de l’Onu en Rdc. La pression que fait Paul Kagamé
de retirer ses troupes du Darfour si l’Onu publiait ce rapport est
inacceptable ! Ce dont il est question, aujourd’hui, ce sont des
millions de morts au Congo et le pillage des ressources dans ce pays.

Je
suis ravi que le rapport des Nations Unies confirme mes investigations
sur le Congo. M. Kagamé, s’il n’a rien à se reprocher, pourquoi fait-il
du chantage à l’Onu ?

Quelle est la crédibilité des procès sur les génocidaires menés par le Tribunal pénal international d’Arusha sur le Rwanda ?
Pour
avoir eu des confidences de Carla Del Ponte à l’intérieur de ce
tribunal, je peux conclure aujourd’hui que ce tribunal est une véritable
mascarade judiciaire. Il y a certes des juges qui sont honnêtes dans ce
tribunal et qui essaient de faire leur travail. Comment pouvez-vous
expliquer que seuls les Hutus sont devant ce tribunal, et qu’aucun
criminel Tutsi ne s’y retrouve ? Les événements de 1994 impliquent à la
fois l’armée rebelle Fpr et l’armée gouvernementale de Habyarimana, mais
il n’y a que les Hutus dans ce tribunal. Ce qu’on ne dit pas assez,
c’est que dans la mission du Tpir, il y a la réconciliation nationale.
Comment pouvez-vous tendre à cela, si vous n’accusez qu’un groupe au
détriment de l’autre ?

Est-ce pour cette raison que vous considérez que le génocide est le plus grand mensonge sur l’Afrique ?
Tout
à fait ! C’est l’un des plus grands mensonges et l’une des plus grandes
manipulations de l’Afrique du XXème siècle. On nous a fait croire que
le génocide du Rwanda avait été planifié par les Hutus. Au jour
d’aujourd’hui, on constate qu’il n’y a personne, au Tpir, qui a été
condamné pour avoir planifié le génocide. On constate en même temps
qu’en 2005, il y a un rapport interne et confidentiel des Nations Unies
qui montre qu’il n’y a aucun début de commencement de preuve sur la
planification du génocide. Ce que l’on ne veut pas dire, c’est qu’il
s’agit d’un coup d’Etat pour renverser le président en exercice, Juvénal
Habyarimana, au profit de Paul Kagamé, qui a bénéficié de la mort du
président Habyarimana.
C’était une façon de mettre en place une
stratégie qui permette à Paul Kagamé de mettre sur pied une base arrière
pour la conquête des minerais, notamment l’uranium et le coltan au
Congo. Ce qui, aujourd’hui, démontre clairement que l’ensemble des
multinationales qui travaillent sur le coltan, l’achètent à vil prix au
Rwanda ; ce pays est devenu un exportateur du coltan et de l’or, alors
qu’il n’a pas du tout ces minerais dans son sous-sol. Voilà la mission
qui a été dévolue à M. Kagamé et à son gouvernement. Ceci est très
dangereux pour l’Afrique centrale, parce que les pays pétroliers de la
sous-région vont forcément être menacés comme le Congo, si leurs
dirigeants ne font pas attention.

Certains estiment que les conflits, dans les Grands Lacs, c’est davantage une bataille géopolitique et géostratégique…
C’est
une bataille géopolitique intense dans laquelle vous avez des Français,
des Anglais et des Américains. Ces derniers sont très nerveux, et
veulent reprendre l’ancienne chasse gardée de la France. Vous avez
également les Chinois, qui arrivent de façon très organisée et qui
s’implantent solidement en Afrique. Tout cela fait que le gâteau va
devenir petit, pour ceux-là qui avaient tout gratuitement et facilement.
Il va donc falloir négocier.
Pour éviter de se retrouver dans des
situations de négociations, on crée l’instabilité parce que, dans ce
genre de situation, il n’y a pas d’Etat pour organiser le commerce des
matières premières et, avec les guerres, on peut plutôt vendre des
armes, faire des trafics… empêcher des révoltes populaires parce que les
gens sont plutôt attachés à leur sécurité.

Vos écrits sont
très souvent axés sur le régime Kagamé. Ne craignez-vous pas qu’à un
moment, votre opiniâtreté apparaisse comme un conflit de personnes avec
le président rwandais ?

J’ai toujours dit que, si c’était le
président Kagamé qui avait été victime d’un attentat le 6 avril 1994,
j’aurais fait exactement la même enquête. Quand je commençais mon
enquête, je ne savais pas que c’était le président Kagamé qui était
responsable de cela. Je ne savais pas qu’il voulait, plus tard, piller
les ressources du Congo. Les arguments que j’avance, ils sont les uns
après les autres indestructibles. Dans cette histoire, je suis tout
simplement attaché à ce que les Africains comprennent qu’il ne faut pas
sous-estimer ce qui est en train de se passer.

Comment cela ?
En
2004, quand j’ai écrit mon livre, les Congolais avaient sous-estimé ce
qui était en train de se passer dans leur pays avec l’armée rwandaise.
Quelque 10 ans après, ils se retrouvent avec 6 millions de morts. Et ce
n’est pas terminé. Aujourd’hui, par exemple, le Cameroun a de nombreux
réfugiés hutus. Les réfugiés hutus, pour le Rwanda, ont été un prétexte
pour attaquer militairement le Congo. Je ne veux pas que le Cameroun se
retrouve dans la même situation que le Congo. Je ne veux pas que
d’autres pays en Afrique centrale, à l’exemple du Congo Brazzaville, qui
a également des réfugiés hutus, se retrouvent dans cette même
situation.

Doit-on penser qu’il existe une stratégie de conquête de l’Afrique centrale, soigneusement préparée par le Rwanda ?
Je
pense plutôt à une volonté de coloniser l’Afrique centrale sous le
régime de Paul Kagamé, ou, en tout cas, sous le pouvoir qui lui
ressemble. C’est sur cela que je veux attirer l’attention des gens dans
la région pour leur dire : ce qui se passe a été réfléchi, pensé et la
stratégie qui est sur le terrain vous le démontre tous les jours, y
compris avec les voyages politiques. Vous ne voyez pas, par exemple, les
mêmes voyages politiques faits vis-à-vis d’autres dirigeants africains
qu’on menace plutôt d’emprisonner ou d’arrêter. Je veux tout simplement
que les Africains comprennent le jeu qui est en train de se dérouler sur
leurs têtes. C’est un jeu très complexe mais très efficace.

La France a récemment envoyé des juges pour enquêter sur l’attentat du 06 avril 1994…
Les
avocats des veuves françaises ont déposé une plainte en 1997, et cette
plainte suit son cours. Les avocats veulent savoir la vérité, et M.
Sarkozy est dans une situation où il veut, d’un côté, reprendre les
relations diplomatiques avec le Rwanda, et de l’autre, il est obligé de
se rendre compte que les juges français doivent quand même faire leur
travail. Le départ du juge ne va pas, en ce qui me concerne, apporter
des révélations sur la question. Mais j’ose simplement espérer que le
fait d’aller voir le lieu de l’attentat, de faire une expertise
balistique, permettrait tout simplement de confirmer un certain nombre
de choses sur le plan technique que l’on sait déjà et de faire connaître
la vérité.

Pensez-vous que cette vérité finira par être connue ?
Elle
est déjà connue, à travers mes ouvrages, qui sont confirmés par des
enquêtes judiciaires. Ce qui manque, c’est la reconnaissance officielle
de cette vérité. On en est là. Ce n’est pas que les gens ne savent pas
ce qui s’est passé. Aujourd’hui, on le sait. Dans le cas de l’assassinat
de Patrice Lumumba, les Africains ont attendu de longues années pour
savoir ce qui s’est passé. Mais aujourd’hui, je ne veux pas que les
Africains attendent 50 ans pour savoir pourquoi Habyarimana a été tué,
et qui l’a assassiné.

Les Nations Unies développent la thèse du camouflage de l’attentat de Habyarimana, qui est en fait le déclencheur du génocide…
C’est
les Nations Unies qui disent que l’attentat est le déclencheur du
génocide. Comment peuvent-elles le dire et ne pas vouloir parler de
l’attentat ? Il y a une contradiction !

Le génocide a eu lieu
sous Boutros Boutros Ghali, comme secrétaire général de l’Onu. Koffi
Annan, qui l’a remplacé, a été accusé de camoufler des éléments. La
responsabilité des Africains est-elle ainsi engagée dans cette affaire?

Boutros
Boutros Ghali n’avait pas accepté de marcher dans la combine
américaine, mais celui qui était son collaborateur le plus étroit chargé
des opérations de maintien de la paix a eu une promotion : il est
devenu Sg de l’Onu et vous savez qu’aux Nations Unies, les nominations
par continent sont des nominations rotatives. Mais pour une fois,
l’Afrique a eu successivement à trois reprises la tête du Secrétariat
général de l’Onu, puisque le mandat de Koffi Annan avait été reconduit.
Au passage, M. Annan a eu le prix Nobel de la paix, mais je ne me
souviens pas d’un conflit qui lui a valu de recevoir ce prix. Dans le
conflit qu’il a vraiment géré, celui du Rwanda, il n’y a personne qui
mérite d’avoir eu un prix Nobel de la paix.

Qu’est-ce qui motive votre passion pour le Rwanda ?
C’est tout simplement que je veux partager, avec le
public, 10 années de travail difficile, de recherches approfondies et
d’échanges avec des gens du département d’Etat américain. J’ai eu des
confidences du procureur Carla Del Ponte, et je pense que j’ai quand
même assemblé, pendant toutes ces années, des informations inédites
venant de sources variées. Garder tous ces éléments pour moi n’a aucun
sens, aucun intérêt. C’est pour cela que je mets ces éléments à la
disposition du public pour que, demain, les gens ne se disent pas
qu’ils ne savaient pas. Ce qui pêche beaucoup, dans le continent
africain, c’est l’ignorance des grandes stratégies internationales et la
compréhension intime de la dimension géopolitique. Je souhaite qu’ils
aient un décodeur pour mieux analyser la situation. Ils ne doivent pas
rester comme des téléspectateurs sans décodeur, devant une chaîne
cryptée.


Entretien mené par Dorine Ekwè

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