30.09.10 Sources du Nil: Victoire Ingabire: "Les crimes commis au Congo sont tellement massifs et bien documentés qu'une attitude responsable exigerait de coopérer avec la justice"

L’élection présidentielle passée, les
projecteurs se sont éteints. Victoire Ingabire Umuhoza s’est retrouvée
dans l’ombre, en captivité. Elle peut disparaître d’un
instant à l’autre – quand l’on sait que le pouvoir de Kigali "Victoire-Ingabire-Umuhoza-speaks-2010"s’est
spécialisé dans ce genre de liquidation d’opposants politiques –
maintenant que les caméras se sont tournées vers d’autres
événements plus alléchants. Sa situation n’a pas changé : elle est
toujours en résidence surveillée, sous le coup de poursuites judiciaires
dont elle ignore les tenants et les aboutissants.
Elle nous a confirmé que le Rwanda vit dans un apartheid à 100% qui
n’a rien à envier à celui qui a sévi en Afrique du Sud jusqu’à la fin
des années ’80. Et c’est pour cette raison qu’elle a été
chassée d’un quartier huppé de Kigali où elle avait loué une maison.
Selon elle, il y a un apartheid à tous les niveaux : habitat,
éducation, emploi ; et si la situation perdure au-delà
de deux ans ce sera à nouveau la féodalité pour les citoyens
rwandais ou l’avènement d’une autre révolution. Les gens de bonne foi,
continue-t-elle, doivent travailler pour le changement afin
d’éviter d’autres catastrophes. Elle a accepté de répondre à mes
questions :

 

 

Quelle est votre situation
actuelle au niveau personnel (résidence au Rwanda, famille) et juridique
(résidence surveillée) ? Espérez-vous pouvoir être
libérée un jour, retrouver votre liberté d'aller et venir dans votre
pays natal et exercer votre métier de femme politique ? 

 

Le problème de logement a été réglé.
Je suis dans une maison dont le propriétaire est moins vulnérable par
rapport aux pressions du régime.

Par contre, la procédure  judiciaire
reste dans l'impasse et tous mes mouvements font l'objet de surveillance
permanente. Le dernier vol de mes téléphones
alors que je visitais les prisonniers politiques de la prison de
Kigali est une preuve de cette filature permanente. Quant au
recouvrement de ma liberté totale, il est difficile de faire des
pronostics. Lors des auditions à la cour suprême dans l'affaire de
notre délégué, Ntavuka, le ministère public a surpris l'audience en
déclarant que tous les membres des FDU INKINGI et du PS
Imberakuli  posaient des risques de sécurité car ils veulent
renverser le régime. Voilà la couleur.

 

Que feriez-vous en premier si cette liberté vous était accordée?

 

Poursuivre le dossier de demande
d'enregistrement du parti, car c'est la base de toute mon action
politique et de la mission que m'a confié le parti. Une fois
l'enregistrement acquis, j'entamerais l'implantation du parti dans
tout le pays.

 

Comment voyez-vous le Rwanda actuel par rapport à celui dans lequel vous avez vécu avant 1994 (niveau politique et
 socio-économique) ?

 

Au niveau politique, la situation n'a
jamais été aussi incertaine. Aujourd'hui, le pouvoir est aux mains d'un
seul homme, Paul Kagame. Il est le chef du
gouvernement, de l'armée, des services de renseignements, du parti
état FPR et de son empire financier. Il est omniprésent. Aucun président
n'avait été aussi autocratique. Quant à la situation
socio économique, certes la capitale a changé de visage, mais la
paupérisation en milieu rural et péri urbain est très visible. Les mêmes
inégalités se remarquent dans l'enseignement, les
infrastructures de base (routes, téléphonie, électrification et..),
et l'éducation. Les enfants des riches vont dans des écoles privées où
le niveau est sensiblement beaucoup plus relevé.

 

Quel bilan dressez-vous de
votre action pour la démocratie depuis votre arrivée au Rwanda en début
d’année 2010 ? Qu’est-ce qui a changé pour vous,
pour les FDU-Inkingi et pour la situation politique au Rwanda ? Quel
avenir pour vous-mêmes, votre parti politique et pour la démocratie au
Rwanda?

 

Notre présence au Rwanda a tout
d'abord démystifié le régime. En moins de 6 mois, les opinions ont
changé. Les gens se sont soudainement rendu à l'évidence que les
miracles du régime n'étaient que le fruit de l'imagination. Les
langues se sont déliées et la population a commencé à oser. Oser
réclamer (comme questionner la légitimité de payer une cotisation
spéciale pour le FPR ou même pour l'organisation des élections),
oser parler, même au risque de sa vie. Pour la première fois depuis juin
1994, on peut parler d'une opposition qui ne cède pas au
chantage et qui  fait sauter les interdits.

Mais le résultat le plus historique
est la mise en place d'une concertation entre les partis de l'opposition
démocratique, qui est une alternative au forum des
partis noyauté par le parti au pouvoir le FPR.

Ceci a permis aux FDU-INKINGI de
s'affirmer comme la principale opposition au régime, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur du pays. Ces résultats ne sont pas le fait
d'un seul  individu, c'est un travail de groupe. Le chemin vers une
véritable démocratie peut paraître long, mais nous restons confiants en
l'avenir car le peuple est avec nous.

 

Quelles relations
entretenez-vous avec les autres partis politiques de l’opposition d’une
part et le FPR d’autre part ? Pensez-vous que votre parti
politique finira par être enregistré comme un parti politique sous
le régime du Président Kagame? Quelles sont vos relations avec les FDLR?
Pensez-vous que la lutte armée peut soutenir la lutte
pour la démocratie?

 

Comme je viens de le dire, nous avons
mis en place, avec le PS Imberakuli et le parti des Verts, une
concertation permanente. Jusqu'à présent, la concertation
marche bien et nous comptons la renforcer.

Par contre, nous n'avons pas de
relation avec les FDLR. Notre vision politique est différente. Nous
avons choisi la non-violence, eux ont choisi la lutte armée.
Ceci dit, dans l'intérêt du Rwanda, et pour la stabilité d’un pays
ami de la RDC, il faut trouver une solution politique au problème des
FDLR. C'est un problème politique qu'aucune aventure
militaire ne parviendra à régler.

 

Votre déclaration au
lendemain de l’investiture du Président Kagame faisait état de votre
déception notamment pour la réaction de ce dernier vis-à-vis du
rapport sur les massacres au Congo. Que pensez-vous de la croisade
entreprise par le Président Kagame contre les ONG des droits humains ?

 

C'est une réaction normale de
quelqu'un qui est accusé de crimes aussi graves. L'ampleur des massacres
qui ont eu lieu en RDC est telle qu'ils ne peuvent pas passer
inaperçus. Ils sont tellement massifs tellement bien documentés que
la croisade contre les organisations de droits de l'homme risque plutôt
de renforcer la détermination à poursuivre les auteurs.
Une attitude responsable aurait été de coopérer avec la justice.

 

Que préconisez-vous pour que le Rwanda se mette sur les rails de la démocratie ?

 

Tout d'abord permettez-moi de
m'inscrire en faux contre les affirmations du président Kagame selon
lesquelles les africains n'auraient pas besoin de démocratie. Ils
en ont besoin autant que tous les autres peuples. C'est une insulte
aux africains de prétendre le contraire. Ceci dit, je m'étonne que les
pays africains n'aient pas réagi à ce discours.

Pour mettre le Rwanda sur les rails
de la démocratie, la première chose est d'accepter un débat
contradictoire sur tous les sujets d'actualité: réconciliation
nationale, justice, sécurité, bon voisinage, politique économique et
sociale. Il en découlera une ouverture politique qui permettra la mise
en place d'une véritable opposition. Grâce à
l'alternance politique, la transition se ferait désormais non pas au
bout du fusil, mais des urnes.

Ceci mettrait enfin un terme aux
exodes répétitifs de population tant à l'extérieur du pays. Mais il
faudra inéluctablement la mise en place des institutions
constitutionnelles dans notre pays  qui rassurent tous et qui
garantissent une représentation de toutes les couches de la population.
Et c’est par la voie du dialogue entre tous les acteurs
politiques qui nous permettra de trouver un consensus  sur un
 système de gouvernance qui convienne dans notre pays, un système adapté
à notre histoire récente ou lointaine, et à notre
culture.  Ainsi il n y aura plus une raison de refuser
l’organisations des élections libres et transparente dans notre pays.


Eugène Shimamungu

www.editions-sources-du-nil.fr

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