01/10/10 L'Express (fr): "Au Congo, le génocide est incontestable", affirme l'ONU
AFP/ LIONEL HEALING
Les Nations unies publient ce vendredi à Genève un rapport sur les violences
perpétrées en République Démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et
2003. Un document sans précédent, premier pas contre l'impunité dans
cette région martyre de l'Afrique.
Une simple fuite aura suffi à mettre le feu aux poudres. La diffusion en août d'un projet de rapport de l'ONU
sur la RDC a provoqué la colère du régime rwandais, ainsi qu'un vif
débat au sein de la communauté internationale. La sortie, initialement
prévue le 1er septembre, se voit repoussée au 1er
octobre, le temps pour les "Etats concernés" de livrer des commentaires
qui seront ajoutés au document. Dans ce pavé de plus de 500 pages, 617
violations graves ayant fait des dizaines de milliers de morts entre
1993 et 2003 sont répertoriées. Le texte accuse notamment l'armée
rwandaise de "nombreux actes de violence graves commis à l'encontre des
Hutu en 1996 et 1997". Des Hutu qui s'étaient réfugiés au Congo, après
l'arrivée au pouvoir en 1994 à Kigali de la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR).
Si la sortie de ce rapport très attendu suscite
l'inquiétude d'un certain nombre de pays impliqués, elle réconforte les
défenseurs des droits de l'homme qui militent depuis des années pour que
justice soit faite. L'un d'entre eux, Didier Mwati, a vécu le drame de
l'intérieur. Président du Collectif d'actions pour le développement des
Droits de l'Homme au Congo (CADDHOM), il figurait en tête de liste des
personnes recherchées par le Rwanda lorsqu'il a fui le pays, en 1998.
Le rapport de l'ONU sur la RDC sort enfin dans sa version
finale. A quel accueil faut-il s'attendre au sein de la communauté
internationale?
Je sais que ce document va gêner beaucoup de monde. Bien sur le Rwanda et son président Paul Kagame,
mais aussi l'Ouganda, le Burundi et également la République
démocratique du Congo (RDC). Si les gens pensent que le rapport ne
concerne que Kagame, ils se trompent, car celui-ci n'a pas travaillé
seul. Des Congolais ont participé, même si la commission a pris en
compte la période 1993-2003. C'est d'ailleurs entre 1996 et 2003 que la
plupart des crimes ont été commis. Il y a eu une concertation entre le
Rwanda, le Burundi, l'Ouganda, la RDC et l'Angola. Ces pays souhaitent
faire au moins "cause commune" au moment de la sortie du rapport. Ce
document s'avère aussi embarrassant hors d'Afrique. Les Etats Unis ont
notamment financé et armé l'armée du Rwanda à l'époque.
Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, s'est rendu au
Rwanda le 8 septembre pour apaiser Kigali. Malgré son appel au calme,
Paul Kagame a évoqué un retrait de ses troupes engagées au sein de la
mission conjointe Union Africaine – Nations unies (MINUAD). Selon vous,
s'agit-il d'une menace qu'il peut mettre à exécution?
Kagame met la pression sur les Nations unies. Mais on peut penser
qu'il s'agit d'un chantage. Car le chef d'Etat rwandais a beaucoup à
perdre. Depuis que ses troupes ont quitté la RDC, il a un sévère
problème avec ses officiers. Un grand nombre d'entre eux ont été envoyé
en mission ou en campagne. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils étaient au
Burundi. L'ONU ne sait pas qu'elle lui rend service. Car si ces
militaires rentrent à Kigali, ils n'auront pas de travail, tandis que
dans l'armée il y aura toujours de la place.
Le rapport dénoncerait des exactions constitutives d'un
génocide, commis pendant la première guerre en RDC, à l'encontre des
Hutu rwandais réfugiés dans l'est du pays. Accusation incontestable
selon vous?
Oui. J'ai toujours avancé l'idée qu'il y avait eu un massacre des Tutsi, puis des Hutu.
Tout le monde a massacré tout le monde. Des Hutu ont même massacré des
Hutu qui étaient des opposants au régime de Kagame. Nous sommes
convaincus qu'il s'agit aussi d'un génocide, car les opérations étaient
planifiées depuis longtemps. Selon la définition exacte, le génocide est
établi dès que "des crimes ou des massacres ont été planifiés,
exécutés, dans le but d'exterminer un groupe social donné". Or, on sait
de la bouche de Kagame qu' il avait planifié l'attaque des camps Hutu
réfugiés au Congo afin de les exterminer. C'est un génocide pur et
simple, sauf si on change de définition.
Peut-on désormais espérer un chapitre judiciaire?
C'est compliqué. J'explique dans mon livre (1) que nous avons
cru, lorsque la communauté internationale a créé la Cour pénale
internationale (CPI) en 2002, qu'elle pourrait tout juger. Mais on a
compris par la suite que ses enquêtes ne peuvent être rétroactives. On a
donc demandé l'ouverture d'un tribunal pénal international. Nous avons
sollicité le soutien des Etats-Unis, qui sont une grande puissance. Sauf
qu'ils sont impliqués pour avoir armé et financé l'Armée patriotique
rwandaise (APA). Ils ont également utilisé leur droit de veto en 1994,
quand il fallait envoyer des troupes des Nations unies pour arrêter le
génocide qui avait commencé. Tout cela les met mal à l'aise. Même si
Barack Obama, fait preuve de bonne volonté, il y a des lobbies qui
pestent dans l'ombre. D'autant que son actuelle secrétaire d'Etat,
Hillary Clinton, était première dame lors du veto en 1994. C'est
compliqué pour eux d'accepter. Mais nous avons quand même fait pression
pour qu'il y ait un tribunal avec des magistrats congolais.
Les autorités congolaises ont-elles la capacité de superviser des poursuites?
C'est impossible, car pour qu'il y ait une justice solide et
efficace, il faut avant tout poursuivre Kagame et plusieurs hauts
dignitaires. Or le système judiciaire congolais n'a pas d'argent, et il
est contrôlé par un pouvoir politique gangrené.
Quel regard portez-vous sur l'attitude du président congolais
Joseph Kabila? Dans un premier temps, il a autorisé la commission
d'enquête sur son territoire puis il a assisté à l'investiture de
Kagame.
Durant une interview accordé en 2001 au quotidien belge Le Soir,
Kabila a déclaré: "Je sais que ce sont les Rwandais les assassins.
Lorsque j'étais avec eux, j'ai compris qu'un jour ils se retourneraient
contre nous". Aujourd'hui, il ne veut pas commenter ces propos. Je crois
qu'il est coincé par la politique, qui évolue. En ce moment, il tient à
établir une relation de bon voisinage avec le Rwanda. Toute la
difficulté est là. Même s'il souhaite un tribunal international, il est
coincé. Car lui-même aurait du souci à se faire.
(1) "RDC : 13 ans sous la main du diable. De l'AFDL de L.
D. Kabila au CNDP de Nkundabatware" par Didier Mwati, aux éditions
Edilivre.