« Facteurs et acteurs du conflit, lenjeu de la bonne gouvernance » Kris BERWOUTS ; Directeur EurAc
Introduction
LAfrique
Centrale est le produit de différentes dynamiques régionales complexes au
travers desquelles des différends locaux
et des conflits nationaux ont débordé des frontières nationales. Dans cette
région chaque pays a une situation interne complexe et une histoire récente
violente, dans laquelle les antagonismes locaux ont été polarisés et entremêlés
à ceux des pays voisins. Suivant la fin de la Guerre Froide et au travers des
années 1990, ces dynamiques régionales ont évolué vers une avalanche de mort et
de destruction. Pendant les deux guerres en République Démocratique du Congo
(RDC), (1996-1997 et 1998-2002) qui suivirent le génocide au Rwanda, le Congo
et plus particulièrement ses provinces à lest devinrent le champ de bataille
de “la Première Guerre Mondiale Africaine”.
La
richesse en ressources naturelles de la RDC a été un facteur important en
alimentant le conflit comme les partis en guerre étaient en compétition pour le
contrôle des réseaux parallèles pour le flux illégal des ressources de la RDC
vers les marchés internationaux. Le résultat est un Etat en ruines, une crise
de limpunité et en plus de tout, une population martyrisée. Approximativement
6 millions de gens sont morts en tant que conséquence directe ou indirecte du
conflit, faisant de cette guerre la plus sanglante depuis la seconde guerre
mondiale. Ni la transition ni les élections nont réussi à ramener la paix et
la sécurité à lEst du Congo.
- Conflit
à plusieurs niveaux ou différents conflits?
Les gens me demandent
souvent: quel est le nœud du conflit en Afrique centrale ? Il est très
difficile de répondre à cette question. Il ny a pas un seul conflit. Dans
lEst du Congo, il y a au moins trois niveaux de conflit qui se rejoignent dans
un contexte local qui est déjà très compliqué en lui-même. Les trois niveaux se
chevauchent et se renforcent mutuellement, mais aucun deux ne peut être réduit
à lun des autres.
- En premier lieu, il
y a la lutte pour le pouvoir à Kinshasa après le démantèlement de lEtat
congolais. Dans les semaines qui ont suivi lindépendance, le Congo a
sombré dans une crise constitutionnelle et institutionnelle. Le pays est
devenu un pion sur léchiquier de la guerre froide, lEtat a été si mal
géré que lon a du inventer le mot kleptocratie pour lui; les
institutions étatiques et les mandats publics étaient considérés comme
des instruments denrichissement personnel. Il en résulte une crise de
légitimité, un Etat ruiné qui a besoin dêtre réhabilité de presque zéro
et labsence totale des instruments pour un Etat pour imposer la primauté
du droit. La réhabilitation de lEtat congolais est la condition pour une
paix durable en Afrique centrale. - Puis il y a la
guerre Rwandaise et le génocide qui ont été exportés au Congo après la
fuite de deux millions de Hutus Rwandais. Limplication du Rwanda dans la
chute de Mobutu et, la guerre de 1998-2002 en ont été la conséquence,
ainsi que.la présence permanente de lopposition armée Rwandaise sur le
sol congolais (qui, jusquà maintenant, est responsable pour la plus
grande partie de la souffrance de la population de lEst du Congo et
reste une menace pour le Rwanda).et la présence maintenue de groupes
armés dirigés par des Tutsis congolais soutenus par le Rwanda. - La course pour les
ressources naturelles du Congo, dont lexploitation a depuis longtemps
échappé au contrôle de lEtat parce que lexploitation minière et la
commercialisation étaient organisées par des réseaux parallèles et
illégaux. Les années ‘90 nont pas créé lexploitation parallèle des
ressources naturelles mais en ont changé la direction: Kampala et Kigali
devinrent les principaux axes pour les minerais, venant du Congo et
vendus sur le marché mondial, souvent passant à travers les ports
dAfrique de lEst, les pays arabes ou le sous- continent indien.
Ces trois niveaux viennent sajouter à
une situation locale complexe avec des relations compliquées entre communautés
et un problème de terre avec une pression démographique forte.
- Des
évènements dramatiques en tant que conséquence immédiate de la chute du
Mur de Berlin en Afrique Centrale
Le Congo est passé au travers de trente ans de
dictature néo-coloniale sous Mobutu soutenue par lOuest pour deux raisons (a)
pour garantir les intérêts économiques occidentaux dans le secteur minier; et
(b) en tant que bastion contre le communisme en Afrique sur léchiquier
géostratégique de la Guerre froide.
- Mobutu a fait un
coup dEtat et consolidé son pouvoir dans une période ou un nombre de
chefs détat africains se déclarèrent eux-mêmes adeptes dun socialisme
africain, comme Kwameh Nkrumah, Julius Nyerere, Kenneth Kaunda, Milton
Obote, Muammar Al Ghadaffi et même des gens comme Léopold Senghor, Jomo
Kenyatta, ou Gafar Nimeiry. Au début des années septante, des mouvements
armés plus radicaux inspirés du marxisme tel le Frelimo, le MPLA, le
PAIGC se sont organisés avec
succès en Afrique lusophone, suivis plus tard par la ZANU/ZAPU au
Zimbabwe et la SWAPO en Namibie. Mobutu a reçu du soutien occidental
parce quil était considéré comme une barrière contre de tels développements. - Il a essayé de
donner à son régime son propre contenu au travers de la zaïrisation, qui
était supposée être une sorte de remise à niveau de lidentité africaine
en tant qualternative attirante au socialisme africain. Mais son impact
principal a été économique, dune façon fort négative :
lexpropriation des industries possédées par les expatriés et dautres
entreprises a été le suicide économique du mobutisme à moyen terme, parce
que les moyens de production étaient répartis entre lélite du régime,
souvent les gens sans vision, la compétence ou la volonté de gérer ce qui
leur avait été confié dune façon responsable et durable
Après la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre
froide, Mobutu et beaucoup de ses collègues présidents en Afrique ont perdu de
leur pertinence pour louest, et soudain (avec le discours du Président
Mitterrand au sommet des pays francophones de La Baule en juin 1990 en tant
quétape importante) les pays occidentaux ont mis leurs alliés africains sous pression afin de démocratiser et de
respecter les droits humains fondamentaux.
Le Rwanda, le Burundi et le Congo ont fait face à une
situation où laccélération du processus de démocratisation a mené à
limplosion de létat et à des conflits qui étaient différents de ceux qui
existaient auparavant. Les tensions dans les différents pays se sont polarisées
et ont commencé à se chevaucher jusquà aboutir à nombre dalliances ad hoc,
souvent très irrationnelles et la plupart du temps basé sur ladage “lennemi
de mon ennemi devrait être mon ami”, même s'il savère parfois que les ennemis
daujourdhui seront les amis de demain. Le résultat est un réseau de
coalitions instables entre des groupes armés et des acteurs politiques qui
emmêlent géographiquement chaque pays africain entre lAngola et la Corne
dAfrique
A la fin des
années nonante, tous les antagonismes, les conflits et les alliances se
cristallisèrent autour du Congo, qui devint ainsi le champ de bataille de ce
que lon a appelé la première guerre mondiale africaine, opposant une alliance
Kabila/Mugabe/Dos Santos à une alliance Museveni/Kagame/Buyoya/rebelles
congolais
- Profonds
changements en Afrique Centrale depuis la moitié des années nonante
a) Dune culture de violence à limpunité totale
Dans la nuit du 21 au
22 octobre 1993, le processus de démocratisation qui aurait du ramener la paix
et la stabilité au Burundi, après des décennies dexclusion ethnique et de
violence cyclique, prit fin avec lassassinat du Président nouvellement élu
Melchior Ndadaye. Ce fut le début dune guerre civile ouverte qui a continué
pendant plus dune décennie pendant laquelle des centaines de milliers de gens
furent assassinés, et beaucoup plus encore blessés, violés et dépossédés ou
déplacés.
En avril 1994, les
tensions politiques, ethniques et sociales au Rwanda se sont conjuguées en
quatre mois de violence extrême et un génocide provoquant la mort de 700.000 à
1.000.000 de gens, principalement des Tutsis et des Hutus modérés, et a abouti
à la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais (FPR) et à lexode de
deux millions de Hutu dans les pays voisins, spécialement le Congo (alors
Zaïre). En 1997, le leader rebelle Laurent-Désiré Kabila a pris le pouvoir à
Kinshasa après une insurrection de huit mois contre Mobutu, avec le soutien du Rwanda
et de lOuganda, et a changé le nom du pays en République Démocratique du
Congo. Quinze mois après avoir conquis le pays, Kabila tomba en disgrâce auprès
de ses anciens alliés: le Rwanda et lOuganda ont commencé une campagne
militaire contre leur voisin le 2 août 1998. La chute attendue de Kinshasa
neut pas lieu et la guerre a continué pendant de nombreuses années,
officiellement jusquau retrait des armées Rwandaises et ougandaises en 2002.
Toute
la région est entrée dans une décennie de violence, les tensions existantes
entre les pays de la région se polarisèrent et aboutirent à de grandes
explosions de violence extrême orchestrées, caractérisées par un grand nombre
de victimes parmi les civils aussi bien que parmi ceux qui ont eu recours à la
violence.
La
violence na pas été commise en premier lieu par des armées régulières mais par
des groupes armés qui étaient parfois difficiles a identifier avec précision,
combinant souvent un très vague agenda politique avec un profil ethnique pas
toujours très clair non plus, et des intérêts économiques souvent bien précis.
La violence na pas seulement provoqué des vagues massives de populations
déplacées et de réfugiés, mais aussi la destruction totale de lEtat et de ses
instruments, laissant ainsi la population dans un désarroi total, avec la
désintégration des réseaux sociaux et institutionnels. Les conditions de
vie dune grande partie de la population
ont chuté à un niveau bas jamais vu auparavant.
En
ce qui concernait la RDC, très tôt durant la guerre, des enquêtes sur les taux
de mortalité ont été effectuées, en premier lieu par lONG américaine
International Rescue Committee. Différentes études ultérieures ont révélé que
le conflit était un des plus meurtriers depuis la seconde guerre mondiale. Bien
que la guerre congolaise ait pris officiellement fin en décembre 2002 avec la signature de laccord de
paix, les combats et linsécurité ont continué dans de grandes zones de lEst
du Congo. Jusquen janvier 2008, un total de 5.6 millions de morts a été attribué directement ou
indirectement au conflit.
Les événements au Rwanda et
au Burundi ont changé une culture de violence dans ces pays en un état
danarchie et dimpunité totale, où la justice a cessé dexister, où les
milices sont organisées, se désintègrent et échappent à toute forme de
contrôle, où les armées régulières deviennent la principale source dinsécurité
et où le viol est couramment utilisé comme arme de guerre. Vivre pendant des
années dans une violence extrême et limpunité totale change une personne, une
communauté, une nation, une région de lintérieur. Cela affecte la culture,
cela affecte les valeurs.
b) D‘une économie informelle vers une économie militarisée
Pendant la seconde
guerre au Congo, depuis 1998 jusquà sa fin officielle en 2002, les ressources
naturelles sont de plus en plus devenues lenjeu du conflit, aussi bien pour
les pays soutenant les rebelles que pour les alliés mobilisés par le
gouvernement à Kinshasa. Dans les deux cas, le pillage du Congo était organisé
systématiquement avec laide des élites congolaises. Entre avril 2000 et
octobre 2002, le groupe dexperts spéciaux avec un mandat du Conseil de
sécurité a produit trois rapports sur lexploitation illégale des ressources
naturelles. En premier lieu, ils ont travaillé sur lexploitation des
ressources par le Rwanda et lOuganda (or, diamant, cassitérite, coltan et bois) dans la partie orientale du Congo, mais
aussi sur le pillage par le Zimbabwe, lAngola et la Namibie, remboursant leur
soutien au gouvernement congolais en se servant eux-mêmes par le biais de concessions minières.
Les provinces
orientales étaient officiellement sous le contrôle des rebelles du RCD, qui
étaient trop faibles et trop petits pour gouverner. En pratique, le contrôle
était fait par larmée Rwandaise (avec de meilleurs soldats et une meilleure
formation) et des fonctionnaires. Au Rwanda même, un bureau Congo a été mis en
place pour gérer lexportation des ressources minérales congolaises, qui en
réalité était un canal pour les dirigeants militaires et politiques pour
commercialiser une partie des minerais congolais sans passer par les comptes
officiels de lEtat Rwandais. Ainsi les ressources naturelles congolaises
générèrent non seulement des fonds pour couvrir les dépenses militaires, elles
étaient aussi la source principale denrichissement de lélite Rwandaise. Comme
le rapport du groupe dexperts doctobre 2002 lindiquait, les activités autour
du Bureau Congo ont contribué pour 320 millions de dollars aux dépenses militaires
du Rwanda et ont eu un impact énorme sur la politique Rwandaise des affaires
étrangères et dautres décisions officielles. Le groupe dexperts a estimé que
60 à 70% du coltan qui quittait lEst du Congo était exporté sous la
supervision directe des commandants de lAPR, à partir de petits aéroports dans
les environs immédiats des mines vers Kigali ou Cyangugu.
Dans
les zones minières, les civils congolais ont été forcés de travailler sans
paiement, ou obligés de vendre les minerais aux officiers Rwandais à un taux
très “préférentiel”. Les ONG internationales spécialisées telles que Global
Witness, Raid and Ipis ont produit des enquêtes de haute qualité et des
rapports, en plus de lexcellent travail fait par le groupe dexperts.
La conséquence était que
léconomie informelle à lEst du Congo, en tant que le résultat de décennies de
kleptocratie et de démantèlement de lEtat, a été militarisée au point que la
continuation de létat danarchie, avec toutes ses conséquences en termes de
sécurité et de droits humains, est devenue une condition pour le pillage
continu et systématique des ressources naturelles.
Maintenir
une économie de guerre après la guerre
Après le retrait officiel des
troupes Rwandaises en septembre 2002, le Rwanda a installé une série de
mécanismes pour contrôler léconomie dans lEst du Congo sans la présence
officielle de larmée Rwandaise. Les hommes daffaires Rwandais ont remplacé
les directeurs congolais en charge des entreprises parastatales, un nombre de
soldats sont restés en arrière pour continuer à travailler dans le secteur
minier, changeant leurs uniformes en costumes. Différentes sources ont rapporté
aux experts du groupe dexperts des NU que des officiers RCD, maintenant
officiellement parties de larmée régulière congolaise mais toujours loyaux au Rwanda,
ont utilisé les réformes du secteur de la sécurité et lintégration dans
larmée pour introduire des soldats Rwandais dans les FARDC et les forces de
défense locales.
Mais linstrument Rwandais le
plus important pour entretenir un climat dimpunité pendant la transition au
Congo et après les élections de 2006,
a été le CNDP (Conseil National pour la Démocratie et la
Paix) de Laurent Nkunda. Lavant-dernier rapport du groupe dexperts des
Nations Unies (décembre 2008) a décrit dans les détails comment cette rébellion
recevait un soutien de réseaux commerciaux au Rwanda, et dautorités politiques
et militaires au sein de lEtat Rwandais, et pour démanteler les FDLR en tant
que menace militaire pour le Rwanda.
Depuis
lors, la région est dans une nouvelle logique. Le Congo et le Rwanda se soient
rapprochés, et ce rapprochement est une condition pour arriver à une paix
durable en Afrique Centrale. Différentes opérations conjointes ont été menées
pour neutraliser les groupes armés. Malgré tous les efforts, les opérations
militaires nont pas apporté des solutions durables. Les FDLR par exemple ont
été dispersés mais ils ont pu sauvegarder intacte leur chaîne de commandement.
Ils ont opéré un repli stratégique afin déviter le conflit, ensuite ils ont
repris la plupart de leurs positions, en se vengeant sur la population avec
plus de violence quils ne lavaient utilisée pendant plusieurs années. Après
larrestation de Laurent Nkunda, le CNDP a été intégré dans les FARDC, mais cette intégration a été
superficielle et incomplète. Aussi le CNDP a gardé sa chaîne de commandement
intacte, et reste une armée dans larmée. Les officiers du CNDP contrôlent plus
de militaires, plus de zones géographiques et plus de zones stratégiques quavant,
mais le mouvement a mal géré sa décapitation et a donc perdu beaucoup de sa
cohérence interne. Les relations sont troublées, avec Kinshasa aussi bien
quavec Kigali, ce qui rend le mouvement imprévisible.
Larmée
nest pas dans une meilleure position quauparavant pour jouer son rôle et il
reste beaucoup à faire pour créer larmée républicaine, unifiée, performante et
disciplinée. La démilitarisation de
léconomie ici à lEst, et surtout de lexploitation minière reste un enjeu.
Pour
y arriver il faudra faire des avancées significatives sur plusieurs
terrains :
1) formation dune
armée républicaine, unifiée, performante et disciplinée
2) désarmer et
démobiliser les groupes armés nationaux et étrangers par une démarche globale qui
ne soit pas exclusivement militaire mais qui prévoit un espace de dialogue
pour convaincre les combattants à déposer les armes par la voie volontaire
3) la restauration
de lEtat jusquà la base (services administratifs, douaniers, …)
4) un cadre régional
qui réglemente et surveille le commerce frontalier, qui consolide et formalise
la coopération régionale et qui peut la rendre transparente
5) certification de
produits miniers en fonction de leur traçabilité
6) un cadre légal
international qui permet de sanctionner les entreprises multinationales qui
violent la réglementation et la déontologie dans cette matière. En
effet, jusque maintenant, des acteurs
commerciaux ne sont que très rarement poursuivi pour leur rôle dans la
continuation dun conflit armé.
- Vers
de nouveaux équilibres de pouvoir et de nouveaux mécanismes de réglementation non violente des conflits
d'intérêts?
Des opportunités pour le
multilatéralisme-le niveau régional
Nous
sommes en 2010. La politique internationale a changé et lAfrique Centrale a
changé. Depuis la chute du mur de Berlin, les évènements ont transformé une
culture de violence en un état dimpunité, et militarisé une économie
informelle.
Quelles
sont les possibilités pour un arrangement multilatéral non violent, négocié?
Les problèmes dans la région sont si interdépendants quil est difficile
dimaginer une solution durable pour lun des pays si elle ne fait pas partie
dune approche régionale plus cohérente. La stabilité de ses neufs voisins
dépendra de la stabilité du Congo, dont certains sont tenus pour être des pays
très stratégiques aussi. LAngola, par exemple, est classée par le Pentagone
comme une zone dintérêt national parce quelle fournit 8% du pétrole importé
par les Etas-Unis.
Depuis
que Kabila a pris le pouvoir de Mobutu, lAfrique du Sud est devenue un acteur
majeur en RDC. LAfrique du Sud avait déjà remplacé la Belgique en tant que
principal fournisseur de biens de consommation dans les années nonante. Le
président Mandela a tenté une médiation entre Kabila et Mobutu, qui souffrait
déjà du mal qui lemporterait quelques mois plus tard. Seulement quatre mois
après que Kabila ait pris ses fonctions, le Congo a rejoint la SADC, la
Communauté Sud Africaine de Développement, qui couvre les domaines de
coopération comme lénergie, le commerce, le transport et leau. Des firmes
dexploitation minière et de construction, basées en Afrique du Sud, sont
présentes dans différents endroits au Congo mais surtout au Katanga.
Lexportation de produits miniers du Katanga et du Kasaï passe surtout par les
ports sud-africains. Treize ans après la mort de Mobutu, lAfrique du Sud est
un partenaire majeur du Congo.
LAngola
est aussi un partenaire majeur. Angola a fourni un appui à Kabila pendant la
guerre de 1996-1997, et a répondu à linvitation de Kabila en 1998 par lenvoi
de troupes, conjointement avec le Zimbabwe et la Namibie, pour aider le Congo à
arrêter lintervention Rwandaise/ougandaise. LAngola était très présente et
visible dans les jours qui ont suivi lassassinat du président Kabila en janvier
2001, en maintenant la sécurité dans la capitale. Depuis la transition,
lAngola a été, comme lAfrique du Sud, un partenaire important dans le secteur
des réformes de la sécurité, en contribuant à la formation et à lintégration
de larmée congolaise
Le
Congo sera toujours important pour ses trois voisins à louest dans la région
des Grands Lacs, qui ont un problème de surpopulation. Grâce à ses ressources
en eau, le Congo sera important pour lAfrique du Sud qui souffre dun problème
chronique de sécheresse et dun sérieux déficit énergétique. Le Congo sera
important pour tous ses voisins à cause de ses ressources naturelles.
Il
existe différentes structures pour un partenariat économique multilatéral en
Afrique Centrale et à ce niveau, il existe une certaine concurrence pour
linfluence. Le Rwanda et le Burundi font maintenant partie de la Communauté de
lAfrique de lEst, le Congo est, comme nous lavons vu, membre de la SADC.
Trois dentre eux, ensemble avec dautres pays, étaient membres de la CEEAC, la
Communauté Economique des Etats dAfrique Centrale, mais le Rwanda la quittée
récemment. Certains pays, surtout la Belgique, veulent promouvoir lidée de la
CEPGL, la Communauté Economique de la Région des Grands Lacs avec le Rwanda, le
Burundi et le Congo en tant que membres.
Lidée
de ces structures est très proche de celles qui ont inspiré les pères fondateurs de lUnion européenne, de
créer un intérêt commun via une intégration économique, et un réseau daccords,
de relations, de procédures et de protocoles qui rendent la guerre
virtuellement impossible. Cela va-t-il fonctionner? Nous verrons. Nous voyons
déjà beaucoup dattentes. Beaucoup de donateurs bilatéraux et multilatéraux
sont déterminés à investir en elle. Nous ne pouvons pas nous y opposer.
Néanmoins,
nous déplorons que lenthousiasme à propos des réseaux économiques régionaux
semblent aller main dans la main avec un retrait de la Conférence
Internationale sur la Région des Grands Lacs, qui était conçue comme un cadre
politique pour le règlement des conflits entre ses 11 membres ( Kenya, Congo,
et les neuf voisins du Congo). Les ONG européennes ont toujours soutenu lidée
dune Conférence Internationale sur les
Grands Lacs (CIRGL) en tant que cadre viable pour répondre aux questions fondamentales
concernant les conflits dans et entre les pays.
La
Déclaration de Dar Es-Salaam de novembre 2004 et le Pacte de Nairobi sur la
Sécurité, la Stabilité et le Développement du 15 décembre 2006 demeure un outil
important pour la création des conditions de sécurité de stabilité et de
développement durable entre les Etats membres. Nous déplorons lhésitation que
nous constatons parmi certains donateurs à confirmer ou à renouveler leur
détermination. Nous continuons à considérer la CIRGL comme une structure très
pertinente avec une mission unique et une valeur ajoutée très claire; nous ne
croyons pas que des réseaux économiques puissent remplacer la perspective
multidimensionnelle et multidisciplinaire de la CIRGL, qui lie dune façon
unique les dimensions de paix, de sécurité, de bonne gouvernance, de droits
humains et de développement économique. Nous ne
voyons pas d'autre structure reprenant les questions qui sont importantes pour
nous, comme la lutte contre la violence sexuelle, l'exploitation illégale des
ressources naturelles, l'insécurité transfrontalière.
Opportunités pour le
multilatéralisme- le niveau international
La
configuration de la communauté internationale autour du Congo a aussi changé.
LUnion Européenne a été extrêmement active en RDC pendant la transition.
En plus de ses Etats membres, elle a tenu une place importante dans le CAIT
pendant la transition. Elle a été le plus important des bailleurs de fonds et
elle avait un énorme budget coopération. Le déploiement de lEUFOR, dans sa
fonction en tant que force de dissuasion, a contribué à la sécurité durant les
deux tours des élections. Lors de la promulgation de la nouvelle constitution,
lUE a agi en tant que fier parrain à la crèche de la Troisième République. En
2007, ce parrain a peu à peu disparu dans les coulisses. Dautres parents ont
fait une entrée remarquée dans les chambres de la nouvelle démocratie
congolaise. La Chine a par exemple signé des accords massifs avec la RDC. Les
Etats-Unis aussi ont été très actifs au Congo. Dabord à la fin de 2007, juste
avant la Déclaration Conjointe de Nairobi de novembre 2007 et les Accords de
Goma en janvier 2008 et plus récemment à nouveau leur rôle dans Umoja Wetu. La visite
dHillary Clinton à lEst du Congo et la nomination de lambassadeur Howard
Wolpe en tant quEnvoyé Spécial sont des faits remarquables. Bien sûr, les
changements que sa présidence va amener se font attendre. En août 2010, Howard
Wolpe a quitté ses fonctions, et ce nest toujours pas clair sil sera
remplacé. La présidence dObama se passe à un moment où la balance du pouvoir
se déplace entre les nations. Les Nations-Unies ont dominé la politique
internationale pendant des décennies, dans un monde bipolaire pendant la Guerre
froide et lenvironnement mono polaire après. Pour le futur immédiat, les pays
qui connaissent des croissances rapides vont devenir plus forts. Bientôt ils
vont exiger plus de poids à leur voix sur la scène de la politique
internationale.
Pour ceux dentre nous qui sont intéressés aux
développements en Afrique Centrale, le réalignement des relations
internationales nous amène à nous interroger sur les implications pour la
région. Nous attendons aussi du changement, mais nous sommes conscients que
beaucoup des membres du nouveau cercle du Président Obama viennent de
lentourage de Bill Clinton, dont le mandat au pouvoir a marqué une période
particulièrement désastreuse pour la Région des Grands Lacs. Non seulement les
Etats de la région se sont effondrés mais les efforts de la communauté
internationale pour gérer les conséquences de cet effondrement ont aussi
échoué. De plus, il reste à voir si Obama va traiter lAfrique centrale dans une
perspective régionale, plutôt que de favoriser des visions et des actions dun
seul pays, comme lont fait ses prédécesseurs. La
dynamique réelle de l'élection d'Obama par rapport à l'Afrique centrale
pourrait résider dans le fait qu'elle pourrait contribuer à revitaliser
l'approche multilatérale. La Pax Americana et la doctrine Bush ont rendu la
planète plus dangereuse et moins stable, mais le nouveau président semble
favoriser une piste diplomatique et multilatérale.
Dans le monde multipolaire qui est en train de se forger,
lEurope reste toujours une force importante dans larène internationale et
elle peut conserver cette position avec une action claire et immédiate pour
protéger la population et le processus de paix au Congo, pour autant quelle réussisse à trouver une cohérence
interne et la volonté de jouer un rôle proactif dans sa politique étrangère.
Mais depuis le 1er janvier 2010, lUE a perdu beaucoup de place. Neuf mois après la mise en vigueur du traité
de Lisbonne, la machinerie européenne a de grandes difficultés à se mettre en musique. Les nouvelles et anciennes
institutions doivent encore sapproprier de leurs Termes de Références, et
capitaliser leur complémentarité. La cohabitation entre M Van Rompuy, M
Barroso, Baroness Ashton et la Présidence alternante doit encore se forger.
Présidence qui est actuellement assumée par la Belgique, un pays avec un
gouvernement daffaires courantes. Aussi les Pays Bas, très actifs en Afrique
Centrale, ont eu des grandes difficultés à mettre en place une nouvelle
constellation politique après les élections de juin, et semblent évoluer vers
un gouvernement pour qui la coopération et lAfrique ne semblent pas du tout
prioritaire. LAngleterre, poids lourd dans la région, se trouve dans un
changement de régime, la France a donné priorité en 2010 à lharmonisation du
litige avec le Rwanda. . Elle a pris beaucoup de temps avant de savoir que la
fonction de représentant spécial de lUE pour les grands lacs soit maintenue,
et il y a encore beaucoup dincertitudes autour de son articulation avec les
autres institutions de la nouvelle configuration européenne. LEurope risque de
perdre son impact, sa visibilité et sa cohésion en Afrique Centrale, et
jespère que jexagère dans mes jérémiades quand je vois déjà les contours dun
désinvestissement et dun renforcement du bilatéralisme en défaveur du multilatéralisme.
E : Lessentiel : bâtir la démocratie den
bas
Le Congo est passé par des décennies de
kleptocratie, des guerres, une période de transition qui a été couronnée par
des élections. Néanmoins, ce processus ne débouchera pas sur une démocratie
réelle, sil ne se fait pas accompagner par une nouvelle culture de
gouvernance, où des mécanismes soient mis en place qui interpellent les
représentants de lEtat et les obligent dêtre transparents et de justifier
leur action.
La gouvernance concerne la façon dont les fonctions
publiques sont exécutées et les ressources publiques administrées. Au
niveau local, il sagit de la capacité dune région, dune municipalité, dune
communauté de gérer ses propres affaires. La mesure dans laquelle les autorités
décentralisées sont effectives et redevables, aura une grande influence sur le
développement au niveau local.
Les enjeux de la décentralisation sont multiples.
Elle a comme vocation de contribuer à la reconstruction de lEtat et à la
restauration de sa crédibilité. Elle est également censée être une école
dapprentissage de la démocratie, permettant aux citoyens dexercer des
responsabilités politiques au niveau local. Ainsi, la décentralisation jouera
un rôle-clé dans le renouvellement du paysage politique à partir de la base,
tout en amenant un développement économique plus harmonieux, favorisant les
initiatives communautaires basées sur des dynamiques locales.
Nous soulignons limportance de la participation
citoyenne dans les processus de reconstruction nationale. Il faut la gestion
participative des entités décentralisées et un développement participatif
décentralisé. Le contrôle citoyen à la base renforcera la gouvernance
responsable de la base vers le haut du système politique.
La complexité des concepts, et le fait que la
démocratie soit embryonnaire, nécessitent une implication très importante de la
société civile en termes déducation civique et de gouvernance participative.
Elle doit être appuyée et renforcée en fonction de ceci par la coopération
internationale.
Dans
un contexte où nous devons constater que les différentes opérations militaires
nont pas permis de réaliser des résultats durables à la problématique des
groupes armées, la société civile a un rôle à jouer dans lélaboration de
stratégies non-militaires pour la démobilisation et le désarmement volontaire,
basées sur le dialogue. La société civile en général et les syndicats en
particulier sont dans une position excellente pour établir et renforcer les
liens entre les communautés divisées. Ils ont une contribution essentielle à
fournir dans des processus de réconciliation et de construction de paix, au
niveau local et national aussi bien que dans la sous-région.
.
Chaque démocratie nécessite un monitoring
constructif mais critique et de toute façon indépendant de laction des
autorités. Le vécu des valeurs de la démocratie, de la participation et de la
redevabilité commence à la base. La communauté internationale doit contribuer à
la création et à la protection de lespace dans lequel la société civile et la
presse peuvent jouer leur rôle démocratique.
Je
vous remercie pour votre attention.
Kris Berwouts
Directeur EurAc
11 octobre 2010