08.12.10 Le Potentiel – J. Kabila : « Les élections auront bel et bien lieu en 2011 »
Kinshasa a accueilli le 20ème sommet ACP-Union européenne, en 2012, la ville abritera le sommet de la francophonie… Le Congo est-il de retour sur la scène internationale ?
Dans la ville, il y a eu de petits changements cest vrai, mais il faut rester modeste. Petit à petit, le Congo reprend sa place au centre du continent, une place stratégique. Ce pays doit être un pont entre lEst et lOuest, entre le Nord et le Sud. Il doit aussi être le vrai moteur du développement du continent. Nous sommes sur la bonne voie, même si cela nous a pris beaucoup de temps, dénergie, de sacrifices…
En janvier vous totalisez dix ans depuis que vous avez succédé à Mzee Laurent Désiré Kabila, votre père. Quel bilan tirez-vous de cette décennie ?
Il est difficile de parler dun bilan maintenant. En 2001, le pays était dans un état de guerre, de division. Lassassinat de Mzee fut un coup dur pour la famille certes, mais la plus grande famille de Mzee, cétait le Congo tout entier.
De 2001 à 2003, nous avons connu les négociations de paix. De 2003 à 2006, nous étions en période de transition. 2007 fut une année de planification, de négociations avec les partenaires, principalement la Chine. Cest seulement à partir de 2008 que la reconstruction a effectivement commencé. Cela ne fait finalement que deux ans ; on a perdu huit ans à cause des négociations, à cause de la guerre à lEst. Ce qui me satisfait, cest quon na pas commencé uniquement par Kinshasa. Ceux qui arrivent dans la capitale oublient que Kinshasa, siège des institutions, ce nest pas tout le Congo. Ce qui compte cest que les travaux ont commencé sur toute létendue du territoire national. Mais le Congo cest 2.345.000 Km2. Si nous avons réalisé 60 ou 100 kilomètres de route asphaltée, ce nest rien encore, il reste beaucoup à faire…
Réunification du pays, élections, reconstruction… Quelles sont vos prochaines priorités ?
On va faire plusieurs choses à la fois, et dabord continuer à consolider la démocratie, renforcer la paix et la stabilité. Car, sans la paix, le développement ne sera quune illusion. La démocratie, cela signifie que les élections auront lieu comme prévu, dans les délais prévus. Jy tiens beaucoup. Ces élections doivent avoir lieu avant la fin de lannée 2011.
Daucuns parlent dune réforme de la Constitution, sinon dun troisième mandat…
Mais on nen est pas encore là ! Je crois quil faudra introduire quelques réformes, principalement dans la loi électorale. Ce qui compte cest daller aux élections, le reste viendra après. A propos de la Constitution, qui date de 2006, il y a quatre ou cinq articles à revoir, à propos du Conseil supérieur de la magistrature ou du découpage territorial, mais ce qui est sûr, cest que la priorité, ce sont les prochaines élections, il faut enraciner la démocratie.
La campagne a-t-elle déjà commencé ?
Non pas du tout, elle ne commencera pas avant juillet ou septembre 2012, on na pas encore arrêté la date.
Mais déjà vous circulez beaucoup dans le pays, on vous voit partout…
Cela, cest mon travail. Un président de la République qui ne prendrait pas le temps de circuler partout ne pourrait se faire une idée de vrais défis à relever. Jai déjà fait deux fois le tour du pays et je suis conscient du défi de la pauvreté, de la misère que connaît la population. Cest cette connaissance de la situation qui me permet de rechercher des solutions.
Avez-vous, au cours de ces déplacements, découvert des situations que vous ne connaissiez pas ?
Certainement : la misère, lenclavement, mais aussi lespoir qui anime notre peuple. Lespoir de voir la situation saméliorer, la certitude que cela ira de mieux en mieux…
Même sils apprécient les nouvelles routes, les gens estiment que le « social » nest toujours pas au rendez-vous, et la faim est toujours là…
Il faut décortiquer ce quest le social. Le social cest quoi ? Je pense que cest mettre à la disposition de la population les soins de santé, ce qui signifie la réhabilitation des dispensaires, des hôpitaux. Le social, ce sont aussi les écoles. Que nos enfants puissent aller à lécole, étudier dans de très bonnes conditions, cest cela lavenir du Congo. Tercio : il faut que le Congo soit vraiment autosuffisant sur le plan alimentaire. Il nous faut aussi veiller à payer les salaires de nos fonctionnaires, de nos enseignants, de nos militaires. On y travaille. La situation, par rapport à ce quelle était en 2001 ou même il y a vingt ans ne souffre pas de comparaison. Voici quinze ans, le taux dinflation dans ce pays était à quatre chiffres. Largent circulait dans des valises, des camionnettes… Aujourdhui il y a une vraie stabilité monétaire. Le social, on y travaille, avec des objectifs à long terme.
Quelles sont vos priorités ?
L‘agriculture, cest la priorité des priorités : 65 % de la population vit en milieu rural. Mais il ne sagît pas de nimporte quelle agriculture : nous avons pour objectif de mécaniser cette agriculture, de lui apporter un plus. Cest pourquoi nous avons entamé un programme de mécanisation, mille tracteurs ont déjà été commandés cette année, mille autres sont prévus pour 2011. En outre, nous devons reprendre la plupart des plantations qui existaient naguère dans lEquateur, le Maniema, le Bas-Congo. Alors quà lépoque coloniale nous exportions de lhuile de palme, du cacao, aujourdhui nous sommes devenus importateurs. Le Congo a la capacité de devenir le premier producteur de ces produits, mais nous devons avancer méthodiquement, avec une bonne planification.
Pourquoi avez-vous suspendu la commercialisation des produits miniers dans les provinces de lEst du pays ? Depuis lors léconomie tourne au ralenti…
Mais de quelle économie sagit-il ? Léconomie de la fraude, peut-être… Il est souvent question des richesses de notre pays. Mais il faut aussi que nous puissions contrôler à 100% nos ressources. Or, nous navions pas ce contrôle. Lobjectif de la suspension de lexploitation et de lexportation des produits miniers est donc de nous permettre de mener une étude afin dexaminer comment la RDC et sa population pourraient mieux profiter de ces ressources. On ne me convaincra pas du fait que cest en exportant des matières brutes que lon crée des richesses. Voyez Walikale, la plus grande zone de production minière du Nord-Kivu : là-bas, il ny a pas dhôpitaux, pas décoles, rien, zéro. Mais chaque jour une vingtaine davions atterrissent pour évacuer les minerais ! Il y a un problème, et il faut équilibrer tout cela. Certes, nous allons continuer à exporter nos minerais. Mais parallèlement, nous avons besoin aussi dhôpitaux, décoles. En ce qui concerne lor, le diamant, cest la même chose… Au Kasaï, je suis allé à Tshikapa et Mbuji Mai, à deux reprises. On y exporte beaucoup de diamants, mais cela ne se reflète pas dans le développement sur le terrain…
Chassés des carrés miniers, les creuseurs pensent que vous leur êtes hostile…
Il est vrai que je suis contre cette histoire de creuseurs. Mais il est vrai aussi que lon ne peut pas demander demblée à tout le monde de quitter, il faut une transition. Voyez le Botswana, la Namibie, eux aussi exportent des diamants mais là-bas, il ny a pas de creuseurs, pas plus quen Angola, ou quau Canada…
Ici, on avait libéralisé lexploitation dans les années 80, mais maintenant, il est temps de se demander si cette exploitation ouverte à tous a été bénéfique pour la population ou si, au contraire, elle a été contreproductive. Nous allons apporter les corrections nécessaires et avancer ensuite. Ce type dexploitation na rien apporté, ni en termes dinfrastructures ni en termes de développement. La transition devrait durer quelques mois et peut-être deux ou trois ans…
Durant combien de temps allez-vous maintenir la mesure de suspension ?
Les études sur les mesures à mettre en place sont maintenant terminées La suspension des activités minières dans lEst devrait durer encore un mois ou deux…
Si les civils sont effectivement bloqués, tout le monde assure, au Nord-Kivu en tous cas, que les militaires continuent à exploiter les mines… Avez-vous les moyens de les maîtriser ?
Nous disposons de ces moyens, à 100%. Dailleurs, il est beaucoup plus facile de contrôler les militaires que les civils: ils ne peuvent creuser et aller à la frontière pour exporter, ils sont obligés de vendre…
Mais les militaires, à raison dun dollar le kilo, embarquent le minerai dans leur véhicule et lamènent à la frontière…
Cest à vérifier. Le jour où on les attrapera, ils seront certainement sanctionnés. On accuse les militaires de faire du business, mais il faut en apporter la preuve. Nous avons une armée de plus de 100.000 hommes, déployés sur toute létendue du territoire national ; or je nai jamais vu aucun rapport accusant les militaires déployés au Katanga, au Bas-Congo ou au Kasaï, de faire du business… Ce qui est vrai, cest que durant la transition nous avons dû intégrer dans nos forces armées des éléments qui nauraient pas dû sy trouver car ils ne remplissaient pas du tout les critères requis, entre autres la discipline. Mais comme il nous fallait faire la paix, nous les avons intégrés ; cest une situation que nous corrigeons petit à petit.
Certains militaires refusent dêtre déplacés dans dautres régions du pays…
Jusquà présent, on na pas encore donné lordre aux militaires de se déplacer. Mais le jour où, dans le cadre de la réorganisation de larmée, on leur en donnera lordre, je suis convaincu du fait que la plupart de nos unités accepteront de partir, sans résistance. Dautres unités seront alors déployées à lEst…
Discutez-vous de la situation sécuritaire à lEst avec vos homologues les présidents des pays voisins ? Avec le Rwanda lentente semble bonne…
Oui, mais pas seulement avec le Rwanda. Avec tous les pays voisins, nous entretenons de très bonnes relations, quil sagisse de lAngola, de la République Centrafricaine, de lOuganda. Avec tous nos voisins, cela va de mieux en mieux. Tous, y compris les belligérants dhier, ont compris quavoir la stabilité dans la région, cétait notre intérêt à tous.
La situation au Soudan où un référendum aura lieu dans le Sud en janvier risque-t-elle davoir des répercussions au Congo ?
La situation au Sud-Soudan nous interpelle, nous la suivons de très près. Vu létendue du territoire national, il y aura toujours des problèmes dans un coin ou lautre… Actuellement, le contentieux avec lOuganda concerne la LRA (Lords resistance army) et lADF/Nalu. Cest un problème que nous sommes en train dévacuer, cest une question de temps. Mais il est vrai quà lEst du pays, on nest plus très patient… Et cela alors que la situation sest améliorée. Par rapport à ce quelle était voici deux ans, cest le jour et la nuit… Il faut voir les évolutions. Ceux qui critiquent le Congo ce sont ceux qui nont jamais mis les pieds sur le terrain. Si vous ne connaissez pas la RDC vous pouvez tout dire. Cest un pays qui avance, qui a encore beaucoup de défis à relever mais la détermination est là. La population se réveille…
Cette année, la mort de Floribert Chebeya a secoué lopinion. Quavez-vous ressenti ?
Lorsque, à la veille du Cinquantenaire jai été informé de cette affaire, le premier rapport que javais reçu parlait dun accident, il était question de crise cardiaque, dinfarctus. Finalement, les enquêtes ont montré autre chose. Ce nétait pas du tout le moment de perdre quelquun comme Chebeya. Lessentiel est que le procès est maintenant en cours, espérons que la vérité va éclater. A la veille du 30 juin, cette affaire a été un très grand choc pour moi…
Cependant, Chebeya se montrait très critique à votre égard…
Oui, il était critique, mais il ne faisait que son travail…
Cette mort a effrayé les autres défenseurs des droits de lHomme…
Ils ne doivent pas avoir peur. Jai toujours dit aux défenseurs des droits de lHomme que jétais leur premier allié. Je serai toujours là pour les défendre.
Les journalistes aussi ont peur, certains dentre eux ont été assassinés…
Ils ne doivent pas avoir peur. On a besoin deux pour quils dénoncent ce qui ne va pas, et ce que nous ne savons peut-être pas, ni moi, ni mes services de renseignements, ce que peut-être on nous cache…Il est bon de révéler les choses, mais il faut avoir les éléments et pas se baser sur des rumeurs…
Vous aviez promis la tolérance zéro face à la corruption, à lillégalité. Or, plusieurs contrats avec des sociétés étrangères ont été mis en question…
Au moment de la revisitation des contrats miniers, sur une soixantaine de dossiers examinés, deux sociétés nont pas accepté de renégocier avec lEtat congolais, First Quantum et Tenke Fungurume. Avec cette dernière, le dialogue sest maintenu et voici deux mois, nous sommes arrivés à une conclusion. Mais avec KMT cétait larrogance ; ils étaient catégoriques, refusaient de négocier. Cette arrogance, je la refuse : on ne peut pas venir au Congo et chercher à nous imposer ainsi des desiderata ; cest inadmissible, nous ne pouvions laccepter. Ils sont allés en justice, et ont fait beaucoup de bruit. Ce qui donne limpression que cela ne va pas dans lensemble du pays alors quil ne sagit que dune seule société… Un autre cas est celui de la société Tullow qui veut exploiter le pétrole dans le lac Albert. Cette société, qui était déjà implantée en Ouganda est revenue après la guerre, entre-temps nous avons trouvé mieux. Nous avons demandé aux gens de Tullow daméliorer leur offre et ils ont refusé. Il faut aussi savoir que pour avoir accès au bloc pétrolier dans le lac Albert, il faut disposer dune ordonnance signée, ce que Tullow navait pas. Une autre société nous a proposé une meilleure offre et nous lui avons accordé lexploitation. Ce contrat-là est meilleur pour le pays même si, au fur et à mesure, il faudra laméliorer. Nous allons aussi bientôt adopter le code pétrolier…
Comment appliquez-vous la « tolérance zéro » face aux cas de corruption ?
A lépoque où jai parlé de cela, on a compris que le président allait devenir, en même temps, le policier qui arrête les gens, le procureur, le tribunal… Jai énoncé le principe selon lequel, dans ce pays, personne ne sera au-dessus de la loi. Mais il appartient à nos institutions, à nos organes compétents de faire leur travail. Cest là que nous rencontrons beaucoup de difficultés, de faiblesses. Ce nest pas pour rien que lon a déjà changé à deux reprises les responsables au niveau de la justice, quon les adjure sans cesse de faire leur travail. Ma volonté, cest que soit effectivement pratiquée la tolérance zéro vis-à-vis des criminels dans ce pays. Mais je ne peux pas tout faire, être contremaître sur les chantiers, jouer au justicier…
Avez-vous quelquefois du temps libre ?
Ces derniers temps, pas du tout. Dailleurs ça se voit : je vieillis beaucoup plus vite que la plupart des gens…
Ce que vous aimez en guise de loisir, cest conduire vous-même sur les pistes de brousse ?
Si je fais cela, cest aussi pour vivre la même situation que tout le monde, que tous les usagers de nos routes et nos pistes. Je nappellerais pas cela loisirs… Comment voudriez-vous que je moffre le luxe de prendre des vacances ? Ce nest pas ma façon de faire, de voir les choses. Le Congo a besoin de moi ! Tant que jai encore cette énergie, que je suis encore en bonne santé, cest le moment de travailler, de donner 110% pour ce pays, pour le relever… Ce qui me pousse à aller de lavant, cest que jai toujours de lamour pour ce pays, le Congo…
Pourrait-on imaginer au Congo un scenario comme celui de la Côte dIvoire ?
Je ne crois pas. Il y a chez nous une autre culture politique, dautres coutumes et traditions. Chez nous, il y a eu cette volonté de démocratiser le pays, daller de lavant, cela a beaucoup joué. Les choses ont beaucoup avancé. Je ne dirais pas que lon a atteint le point de non retour, mais on est arrivé loin, très loin. A lavenir il sera beaucoup plus difficile de ramener le pays, le peuple congolais, à la case départ, à la guerre, à la partition du pays. Je ne crois pas à un tel scenario chez nous… Ce qui nous lie est beaucoup plus fort que ce qui peut nous diviser. Le peuple congolais la démontré : il est impossible de diviser ce pays. Les élections vont nous aider à renforcer davantage cette unité, elles représenteront un pas en avant. Dici une quinzaine dannées, le Congo occupera lun des premiers rangs en Afrique, cest faisable. Pour cela, nous avons besoin de stabilité, nous devons contrôler nos ressources, ce que nous sommes en train de faire. Ajoutons-y une bonne utilisation de nos ressources humaines et dici dix ou quinze ans, cest parti… Dautres pays ont aussi des ressources, cest vrai, mais nous, en plus, nous avons la population. Et quelle population ! Dynamique, capable de se débrouiller…
Avec le recul, vous réjouissez-vous davoir conclu des contrats avec les Chinois ?
Certainement : malgré la résistance de beaucoup de nos partenaires, due sans doute au manque de communication, nous sommes allés de lavant. Mais aujourdhui, qui peut venir ici et nous convaincre du fait que le Congo aurait eu tort…Les Chinois certes, nous ont beaucoup aidés, mais nous-mêmes nous avons aussi mis des moyens en œuvre : nous avons continué à consolider notre armée, à renforcer notre capacité de défense mais au lieu dacheter des chars de combat, nous avons donné priorité à la reconstruction. Avant le début des travaux, personne ny croyait vraiment. Aujourdhui, les gens voient ce qui se fait, la confiance est là, ils constatent que cétait une bonne décision… La reconstruction de ce pays, cest un travail de longue haleine, il y aura toujours des chantiers, même après nous. Ceux qui viendront après nous seront obligés de continuer… Il nous faut aussi souligner la forte participation du secteur privé : à Kinshasa le secteur privé contribue pour 40% à la reconstruction de la ville ! La capitale change à toute vitesse, à nous de veiller à être plus rigoureux en matière durbanisme, de planification. La ville compte de 7 à 8 millions dhabitants, ce sera peut être le double dici 5 ou 10 ans… Il nous faudra donc aller beaucoup plus vite en matière durbanisme, à Kinshasa mais aussi dans dautres villes comme Bukavu ou Goma. On va bientôt constituer la « réserve stratégique de lEtat », afin de planifier lextension de la plupart de nos villes…Pendant une vingtaine dannées, on a complètement oublié quil y avait un Etat à gérer, puis il y a eu la guerre…Maintenant le temps est venu de réglementer, de remettre de lordre dans ce pays…
Propos recueillis le 4 décembre 2010 à Kinshasa par Colette Braeckman
© Le Potentiel, 08.12.10