La Réforme indispensable de l’Etat congolais (BOKOMBA Kassa-Kassa)

Dans la quasi-totalité des sociétés
traditionnelles négro-africaines, particulièrement chez les Bantous ; 
l’accès au pouvoir est soumis à des conditions qui passeraient
volontiers pour étranges, inhumaines  et même sauvages aux yeux des non
avertis.

Parce qu’il est conçu, sur le continent
noir, comme la capacité spirituelle, intellectuelle, sociale et morale
de gérer les intérêts des membres d’une communauté humaine, de fournir
des réponses à leurs interrogations et des solutions aux maux ainsi
qu’aux crises  qui les affectent ; le pouvoir n’est concédé ici qu’à des
personnes remplissant certaines conditions très strictes et ayant
satisfait à bien des épreuves.

En Afrique, les futurs candidats au
pouvoir subissent, en effet, des actes de mortification souvent d’une
cruauté telle qu’ils dépassent,  en férocité, les peines qu’on inflige
aux criminels. Le but étant de s’assurer que le futur chef ne trahira ni
les siens, ni  leurs intérêts, ni leurs terres; qu’il ne dévoilera pas
un secret reçu sous la promesse du silence ; qu’il a compris la réalité,
la servitude et les tabous inviolables liés à l’exercice du pouvoir.

A partir de ce moment, on peut vouer une
confiance absolue au chef que rien, ni la mort, ni la souffrance, ni
aucune espèce d’intimidation ou de chantage ne peut contraindre à trahir
le serment prononcé lors de la séance d’initiation finale. Pratiquement
toutes les ethnies du Congo connaissent les redoutables
responsabilités, visibles et invisibles que doivent assumer les
dirigeants, mais aussi les qualités morales, la sagesse et les interdits
qui sont inséparables du pouvoir.

N’est pas dirigeant qui veut

A dire vrai, le choix des futurs dirigeants chez les Négro-africains est
programmé et connu avant même leur naissance, grâce aux oracles des
mages, aux prédictions des astrologues qui interrogent les astres, ainsi
qu’à l’interprétation des rêves et de certains événements qui marquent
non seulement leur conception dans le sein maternel, mais aussi le jour
de leur venue au monde.

Diriger la destinée d’une communauté
humaine, conduire et régenter la vie de femmes, d’hommes et d’enfants ne
peut être laissé à une quelconque improvisation, ni dépendre des seules
qualités intellectuelles, ni se rapporter uniquement au monde visible,
ni être livré aux riches et abandonné aux puissances d’argent.

Pour le Négro-africain, il existe une
part de divin en chaque être humain et donc, de spirituel et
d’invisible. C’est pourquoi, dans les sociétés traditionnelles du
continent noir, les femmes et les hommes chargés de conduire l’existence
de leurs communautés passent nécessairement par une période
d’initiation. C’est l’unique porte d’accès au sanctuaire où sont gardés
les secrets pour l’acquisition de certaines facultés supra humaines.

Il s’agit, en particulier  de dons  qui leur permettent de voir ce que le commun des mortels ne voit pas.

A part la clairvoyance, d’autres initiés
acquièrent aussi la faculté de clairaudience pour entendre les messages
qui nous parviennent d’un univers inaudible à l’oreille humaine
ordinaire. Dotés de telles facultés, les chefs négro-africains, qu’ils
assument des rôles politiques ou remplissent des tâches religieuses,
peuvent ainsi servir d’intermédiaires entre le monde des hommes qui est
visible  et celui, invisible, des êtres d’esprit.

Par conséquent, le pouvoir spirituel
transcende tous les autres, qu’ils soient de nature  politique,
économique, financière ou morale.

Le sort ingrat des prophètes autochtones

A dire vrai, tous les prophètes, les vrais, à quelque race, religion,
nation ou continent qu’ils appartiennent ; de même que les anciens
pharaons noirs appartenaient tous, sans exception, à la caste des
initiés. Il en va de même des shamans et… des sorciers.  On comprend dès
lors le danger et même l’absurdité d’adhérer à la foi ou aux croyances
religieuses importées, provenant d’autres races et nations. A contrario,
on doit s’étonner du sort ingrat qui est habituellement réservé à nos
prophètes autochtones.

Pour le Congo, le cas du prophète  Simon
Kimbangu, mais aussi le destin des adeptes de Kimpa Vita, des
Kitawalistes et de bien d’autres courants politico-religieux illustrent
bien ce paradoxe. Ils existent, certes,  mais n’occupent pas la place
qui aurait dû leur revenir. Pour moi, tant que le pouvoir spirituel
dominant dans notre pays ne sera pas authentiquement congolais, le
pouvoir politique congolais dépendra toujours de loges occultes ou
d’ordres initiatiques étrangers, servira des intérêts allochtones et
souvent hostiles aux nôtres, éloignant du coup toute chance de
libération spirituelle, d’émancipation politique, de progrès social et
de développement économique.

Il ne s’agit pas de renier, de rejeter 
ou de condamner les religions d’importation, venues d’autres continents
et fondées par d’autres prophètes. Le propos ici, consiste simplement à
réajuster l’échelle des priorités et à redonner aux prophètes, aux
initiés et aux fondateurs de religions nées de l’histoire et de
l’univers spirituel congolais la première place qui leur revient dans
notre société.

Dès le 30 juin 1960, les dirigeants
politiques congolais, depuis le Chef de l’Etat jusqu’au bourgmestre
d’une quelconque commune rurale, auraient dû trouver leur source
d’inspiration, puiser leur force et bâtir leur puissance sur le socle de
nos valeurs spirituelles ancestrales.  Il devrait, forcément,  en aller
de même du pouvoir économique et financier au Congo. Ils seraient, de
la sorte,  dépendants des seules autorités spirituelles nationales
congolaises, et non pas étrangères. Par conséquent, les décisions
engageant le destin du Congo et de son peuple  ne leur seraient plus
imposées de l’extérieur. Ainsi, conditionnés spirituellement pour le
service et le bien-être de nos populations, agissant en véritables
agents d’Etat, ils pourraient, enfin,  oeuvrer en faveur des seuls
intérêts du peuple congolais à qui ils accepteraient spontanément de
rendre des comptes.

Proclamer le caractère sacré de l’homme
me fait courir le risque de  passer pour un bigot, un passéiste ou un
conservateur poussiéreux. En réalité, il n’en est rien. A ceux qui
porteraient de tels soupçons sur ma modeste personne, je dis que je ne
renonce pas à cette théorie et que j’en assume tous les  risques. Pour
confondre mes éventuels détracteurs, je tiens néanmoins à leur affirmer
mon adhésion entière et totale à la thèse scientifique de
l’évolutionnisme selon Charles Darwin.

Le travail inlassable de l’évolutionnisme

Malheureusement,  le grand savant barbu s’est arrêté au règne humain ;
comme si, pour une raison inconnue,  sa célèbre théorie cessait
brusquement de fonctionner à partir de l’homme. Certes, nous
représentons actuellement la crête de la pyramide des êtres vivants et
visibles sur la planète terre, mais la loi de l’évolution reste toujours
opérationnelle au-delà de nous autres humains. A travers les races
humaines, au fil des siècles et des millénaires, elle travaille
inlassablement,  occupée à transformer le genre humain afin de le
façonner pour de futurs destins ; oeuvrant à préparer les entités
humaines pour que, le moment venu, il puisse assumer une autre nature et
une autre identité.

Il arrivera nécessairement un âge où
l’homme, à force d’évoluer conformément à la loi du darwinisme,
franchira la frontière du stade humain qu’il occupe actuellement  pour
basculer dans le prochain règne. C’est pourquoi, je pense que l’homme,
physiquement, mentalement, moralement et surtout spirituellement, 
évolue vers un statut supérieur à celui qu’il occupe aujourd’hui et que,
dans quelques millions d’années, il deviendra à coup sûr un être plus
intelligent, doté de plus de pouvoir et donc de plus de  volonté pour
l’exercer. Simultanément, il manifestera plus d’amour. Je veux
travailler à l’avènement de cet homme-là.

Le destin final de l’être humain est
d’abandonner sa condition actuelle avec ses limitations, ses pulsions
animales et ses illusions; pour accéder à un règne promis aux êtres plus
élevés, plus spirituels.  L’humanité s’éloignera alors définitivement
de l’animalité.

C’est la raison pour laquelle, à la
naissance des futurs chefs négro-africains, et tout au long des années
qui précèdent la cérémonie finale précédant leur accès effectif du
pouvoir, les futurs récipiendaires doivent traverser toutes sortes
d’épreuves, les unes plus dures que les autres, afin de leur forger une
volonté d’acier, inoxydable aux souffrances physiques et morales,
insensible aux tentations matérielles.

Aux yeux du profane, tout cela paraît cynique, gratuitement cruel, bête et méchant. Voire.

Parmi ces « tortures », l’une des plus
féroces consiste à enduire le corps du futur chef de miel et à le placer
sur une fourmilière. Dévoré par les insectes, en proie à d’indicibles
douleurs, l’homme apprend le silence et découvre la  patience. Il s’agit
de deux parmi les vertus les plus capitales dans la conduite des
destinées humaines et pour l’exercice du pouvoir. C’est le bouquet
final.

Auparavant, d’autres tests probatoires
lui auront enseigné le sens de la justice, de l’abnégation, de la
générosité, de l’hospitalité, du sacrifice, du service, du partage, de
la générosité, de la sagesse et de l’humilité.

La trahison des clercs et des intellectuels

Rien de tel, depuis le 30 juin 1960,  avec les ministres, les députés,
les sénateurs, les mandataires publics, les ambassadeurs, les cadres
militaires et surtout avec les Chefs d’Etat congolais. Pour moi,
l’absence d’initiation explique bien des actes d’abomination, de
trahison, d’infamie et d’ignominie dont ils se sont rendu coupables.
Dans les sociétés traditionnelles négro-africaines, les chefs sont
souvent à plaindre. Par contre, depuis les indépendances africaines et
l’apparition d’entités étatiques dites modernes, les fonctions publiques
excitent les pires cupidités et font l’objet d’une véritable guerre où
tous les coups sont permis.

La profession de guide ou de chef, qu’il
s’agisse d’un empereur, d’un roi, d’un Président de la république, d’un
ministre ou du président directeur général d’une entreprise
industrielle est un métier à haut risque. Les Négro-africains le savent
depuis des millénaires. Ils ont appris à ne pas la confier à n’importe
qui et prennent soin de s’assurer, par l’initiation et à travers une
longue série d’épreuves physiques, mentales et morales ; que l’impétrant
dispose de toutes les aptitudes requises pour assumer sa charge.

Pour quelle raison historique, morale ou politique a-t-on évacué de la direction des affaires de l’Etat, dès le 1er
juillet 1960,   les héritiers des anciens royaumes et empires installés
sur le territoire de l’actuelle République démocratique du Congo, de
même que les autorités coutumières, les chefs traditionnels et les
propriétaires des terres qui avaient pourtant participé aux travaux de
la Table ronde de Bruxelles,  à la veille de l’indépendance du Congo, du
20 janvier au 20 février 1960 ? En ma connaissance, ils représentaient
les seules et vraies victimes de la politique domaniale du roi Léopold
II en 1885, à la Conférence de Berlin, 75 ans plus tôt.

La classe politique congolaise et ses
formations politiques nées, pour certaines d’entre elles, l’avant-veille
du 30 juin 1960, ont en réalité confisqué un pouvoir politique qui,
historiquement, n’aurait jamais dû leur revenir puisqu’elles étaient
notoirement absentes lors de la conférence internationale organisée en
février 1885 sur Wilhelmstrasse, à Berlin, lors de la reconnaissance  de
l’Etat indépendant du Congo, l’EIC, propriété privée de l’ancien
monarque belge, sous l’égide du chancelier allemand Otto von Bismarck.

Il aura fallu un demi-siècle d’errances
politiques et de tâtonnements à la recherche de solutions susceptibles
de guérir le Congo de ses maux, pour reconnaître la vanité de nos
efforts.  De manière inexorable, le pays continue sa chute. Le présent
paraît compromis tandis que l’avenir échappe à toute visibilité.

A la recherche d’une clef égarée

Et si nous portions notre regard vers le passé, par delà les décennies
de  colonisation et les siècles d’esclavage, pour interroger la mémoire
de nos ancêtres, pour fouiller au milieu des décombres de notre histoire
tourmentée ? Nous pourrions peut-être y découvrir la clef, qu’on
croyait à jamais perdue, qui permettra d’ouvrir la porte donnant accès à
la paix des cœurs et des esprits, à la justice, au progrès social, au
développement économique, à l’essor spirituel de notre peuple si fatigué
de souffrir.

Il n’est même pas nécessaire d’aller si
loin puisqu’il nous suffit de baisser nos yeux pour apercevoir, assis à
nos pieds,  les gardiens, longtemps réduits au silence et à un rôle
purement folklorique, de cet ordre  ancien. Il s’agit de nos rois,
reines, empereurs et impératrices, autorités traditionnelles et
notabilités, tous descendants autant qu’ayants cause et ayants droits
des terres fusionnées sous la férule de l’Etat indépendant du Congo,
jadis propriété privée de Léopold II et qui forment aujourd’hui les
2.345.000 km² de la superficie de la République démocratique du Congo.
Les uns et les autres sont les détenteurs du seul pouvoir légitime au
Congo parce que antérieur à l’entité étatique actuelle.

Le débat sur la place que les autorités
traditionnelles congolaises devaient tenir dans notre pays après le 30
juin 1960  avait été soulevé bien avant l’organisation de la table ronde
de Bruxelles. La controverse, totalement surréaliste, alimentée par des
politiciens démagogues,  mit aux prises « les légitimistes » et « les
légalistes ». Les seconds, et c’était couru d’avance, l’emportèrent.
Pour notre plus grand malheur, la question essentielle sur les
détenteurs authentiques, véritables et historiques du pouvoir dans le
nouveau Congo fut ainsi rapidement abandonnée, escamotée  et étouffée
par la nouvelle classe politique. Ce faisant, nos futurs dirigeants ont
en réalité rejeté la pierre angulaire qui aurait permis d’ériger le
temple de l’avenir d’un pays à la fois stable et moderne.

Eloignés de l’exercice du pouvoir dès le
30 juin 1960, écartés pendant 50 ans des responsabilités publiques à
l’échelle nationale par le nouvel establishment politique, les
dirigeants traditionnels ont assisté à la descente aux enfers du Congo
indépendant, dans l’attente que dans son mouvement pendulaire, le fléau
de la balance de l’histoire reviendrait un jour vers eux. C’est à
présent quasiment chose faite.

Face à l’échec patent et à l’incapacité
désormais avérée des pères de l’indépendance, au milieu des
intellectuels désemparés et de la meute des arrivistes de tout bord, il
est temps d’approcher ceux qu’on a oubliés en chemin tout au long des
décennies qui viennent de s’écouler, qu’on a écrasés sous le talon de
notre mépris et réduits à jouer des rôles dignes d’un théâtre
d’opérette.

Le temps de la réconciliation et le rôle de la Chambre des Chefs coutumiers

Désormais, l’Etat congolais, ses ministres, ses grands commis et ses
petits agents doivent se dédouaner, faire amende honorable et tendre la
main vers les autorités traditionnelles. L’heure a sonné à l’horloge de
ces Chefs historiques du Congo afin qu’ils deviennent non seulement des
acteurs politiques majeurs, mais aussi des interlocuteurs écoutés,
dignes et respectés sur la scène publique congolaise. Mais quelle place
leur confier, que rôle leur faire jouer, quels pouvoirs leur concéder et
quelles prérogatives doivent leur être dévolues ?

Il serait funeste, avant de répondre à
toutes ces interrogations, de considérer les détenteurs du pouvoir
traditionnel comme des quémandeurs et encore moins, comme partie
négligeable.  Au demeurant, on compte dans leurs rangs de nombreux
diplômés d’université, des juristes, des médecins et des ingénieurs. Dès
lors, c’est dans le cadre de négociations et d’arbitrages à armes
équitables sinon égales que des réponses justes, sages  et pondérées
peuvent être apportées à ces questions.

Dans un premier temps, il nous apparaît
indispensable d’ériger l’ensemble des autorités traditionnelles  au rang
d’une institution nationale disposant d’un pouvoir et de prérogatives
politiques de très haut niveau. On pourrait ainsi leur confier les
fonctions de contrôle des actes, des arrêtés, des décrets et des
ordonnances du Chef de l’Etat. Il leur incomberait ainsi la fonction et
la responsabilité d’apprécier leur conformité avec les intérêts et les
exigences de légitimité des entités ethniques et tribales sur l’ensemble
du territoire congolais.

Après tout, pourquoi pas puisque  les
femmes et les hommes qui se disent congolais d’origine sont
nécessairement et antérieurement  membres de l’une quelconque de ces
ethnies et tribus ? D’autre part, les terres qui forment aujourd’hui la
superficie du territoire congolais furent, depuis les temps immémoriaux,
leur propriété exclusive, indivise et inaliénable jusqu’à la défaite
militaire que leur infligea, aux 18e et  19e siècles, la Force publique
de l’Etat indépendant du Congo.

Sans vouloir chercher à  récupérer  la
plénitude de leurs pouvoirs politiques d’avant la colonisation ni la
jouissance exclusive de leurs terres, les autorités traditionnelles
devraient néanmoins s’asseoir, désormais,  aux premiers rangs, à côté
des autres dirigeants de l’Etat congolais moderne, pour gérer ensemble
le destin de la République et la destinée de ses peuples dans une
communauté nationale qui a vaincu ses vieux démons séparatistes, qui a
tourné le dos aux forces centrifuges et qui est définitivement
réconciliée avec sa véritable histoire.

Destinée à camper au centre du cercle
formé par les autres  institutions comme la présidence de la République,
le parlement, le sénat, l’armée ou le conseil d’Etat, l’assemblée des
chefs traditionnels apportera un nouveau pilier pour l’équilibre de
l’ensemble des pouvoirs à qui elle servira à la fois de lieu
géométrique,  de source d’inspiration et d’ultime recours pour relever
les défis, qu’ils soient visibles ou invisibles.

Dûment dotées des pouvoirs spirituels
que leur confère l’initiation, les autorités exerçant le pouvoir 
coutumier savent, de science certaine, que les périls que nous
affrontons dans le monde visible  puisent en réalité leur origine, et
donc leur solution, dans l’univers invisible, celui-là même qui leur est
familié.

Le secret de la remarquable stabilité
politique des royaumes comme ceux du Lesotho ou du Swaziland ainsi que
d’une République comme le Bénin réside, selon notre entendement, d’une
heureuse symbiose, d’une coexistence apaisée, d’un respect mutuel et
d’un partage équitable des pouvoirs entre l’Etat moderne et le pouvoir
traditionnel.

Toutes affaires cessantes, la République
démocratique du Congo doit explorer cette piste, si nous tenons à la
survie de notre pays au-delà des périls  et des  enjeux qui  semblent
vouloir hypothéquer son existence.

Réduits à un humiliant rôle folklorique,
ravalés au rang de rois et d’empereurs de cirque, ceux qu’on appelle
désormais, avec une pointe de mépris « les chefs coutumiers »
ne participent plus ni à la gestion, ni au partage de la moindre
parcelle de pouvoir politique de l’Etat congolais  indépendant. La
question de la légalité et de la légitimité du pouvoir au Congo, mais
aussi des personnes et des entités habilitées à l’exercer attend
toujours d’être posée et tranchée de manière définitive.

La clef de bien de tragédies qui ont
ensanglanté le peuple congolais depuis 1960, le mystère de nombreux
périls qui planent aujourd’hui au dessus du Congo, allant jusqu’à
hypothéquer son existence en tant que nation se trouve dans le sort
infâmant réservé à nos « autorités traditionnelles », et dans l’oubli où elles sont maintenues.

Pour les dirigeants traditionnels
congolais, héritiers légitimes des droits, des terres et du pouvoir
politique légués à travers les siècles, de génération en génération ;
rien n’a changé, en réalité,  depuis 1885, mis à part la couleur de la
peau des spoliateurs. Rien ne pourra nous empêcher de soulever ce débat
évident mais qui, jusqu’à présent, a été systématiquement escamoté,
échappant du coup à l’attention de tous.

Deux conceptions du pouvoir

Il existe, selon mon entendement, deux différences fondamentales dans la
conception et surtout, dans la pratique du pouvoir entre les sociétés
qualifiées de traditionnelles et les pays dits civilisés et
démocratiques.

Dans le premier camp, la capacité de
diriger les communautés humaines et d’assumer le pouvoir  est innée,
dans ce sens que le futur chef est repéré avant sa naissance. Les
épreuves auquel il sera soumis ne servent qu’à confirmer ou à infirmer
cette prédestination. D’autre part, selon la conception
négro-africaine,  le chef joue le rôle d’intermédiaire entre les mondes
visible et invisible, entre les vivants et les morts, entre le matériel
et le spirituel.

C’est une différence fondamentale même
si, de nos jours, la fonction de médiation est laissée aux médiums.
Jadis, au dirigeant incombait  la redoutable responsabilité d’équilibrer
les deux univers et d’en harmoniser les rapports dans le plus strict
respect de la  loi d’équilibre qui gouverne la Nature. Nous avons
affaire ici à une vision fondamentalement spirituelle, c’est-à-dire,
globalisante du pouvoir.

Par contre, les sociétés modernes, dites
démocratiques privilégient presque exclusivement le côté matérialiste
du pouvoir dont l’exercice consiste essentiellement en la mise en œuvre
des forces de production destinées à créer les services et les biens
matériels, mais aussi à assurer leur distribution et à faciliter leur
consommation.

Il se fait que les modalités de
production et la clef de répartition des biens posent souvent problème,
induisent des frustrations, provoquent des déséquilibres, suscitent des
tensions et engendrent des crises sociales qui finissent par déboucher
sur des conflits armés. C’est la preuve que l’équilibre entre le monde
visible et l’univers invisible a été rompu et que les principes qui
régentent la nature ont  été violés. Le pouvoir, ici, est désacralisé.

La profanation du pouvoir

Qu’il s’agisse des deux Guerres mondiales qui faillirent précipiter la fin de l’humanité durant le 20e
siècle, de la crise de la vache folle, de celle de la dioxine, du
réchauffement climatique, des gaz à effets de serre, du phénomène de
l’immigration clandestine, des sans papiers ou de la crise financière
qui a ébranlé l’économie mondiale en 2009 ; tout indique en réalité un
mésusage du pouvoir, une profanation et une banalisation de ce don divin
concédé à l’humanité.

Depuis les Nations unies à New York
jusque dans l’intimité des ménages et des foyers, on assiste désormais
au galvaudage du pouvoir et aux funestes conséquences de cette pratique.
Les critères du choix du secrétaire général de cette organisation
mondiale n’impliquent pas l’initiation et n’obéissent pas, de toute
évidence,  aux préalables d’humanisme, de justice, de silence, de
patience et de sagesse comme l’entend la tradition négro-africaine qui,
en matière de pouvoir,  des conditions de son accès et de son exercice,
est infiniment plus qualifiée qu’on ne veut l’admettre. Le continent
noir n’a pas, en effet,  abrité le premier berceau de l’humanité pour
rien. Par conséquent, il est censé posséder une durée et une somme
d’expérience sur le genre humain qu’aucune autre partie du monde ne peut
lui contester.

La même crise s’observe de plus en plus
au sein des couples, entre un homme et son épouse, où la tendance au
divorce se généralise, parce que le pouvoir y est mal compris et mal
assumé.

L’évidence du pouvoir surgit dès qu’il y
a un binôme, une paire d’individus. Cette exigence découle de la
nécessité d’établir une hiérarchie entre les membres d’une communauté.
C’est ici qu’intervient la première loi qui régente l’exercice du
pouvoir au niveau de l’univers à savoir, « le premier sera le dernier et le dernier sera le premier ».
En d’autres termes, le plus grand, c’est-à-dire le chef, celui qui
exerce le pouvoir suprême sera le plus petit, autrement dit, le plus
humble, le plus prompt à servir, tandis que celui qui détient le moins
de pouvoir, le dernier de la communauté, sera le plus grand autrement
dit, sera électivement l’objet de la justice et de la protection du
dirigeant.

Il suffit de lire la chronique des
périodes passées et de contempler le spectacle des temps présents  pour
se convaincre que  nous sommes loin du compte, que le pouvoir, tel qu’il
aurait dû être exercé selon les lois d’équilibre et d’harmonie dans
l’univers est bafoué de manière systématique, que l’égoïsme individuel
et collectif, la recherche des honneurs et des privilèges, la
satisfaction des besoins matériels et des pulsions les plus inavouables
commandent  les décisions des dirigeants. Les rois et les empereurs, les
tsars et les shahs, les guides éclairés et les timoniers, les « pères  de la nation »
et les présidents de la République, les ministres et les députés
commettent ainsi de graves infractions envers le code qui régit le monde
à portée de nos sens et celui qui leur échappe.

Ne peut valablement assumer un pouvoir
quelconque, que ce soit depuis le sommet de l’Empire state  building à
New York, siège de l’ONU ; dans le bureau d’un chef d’Etat, à la tête
d’un ministère quelconque  ou au sein d’une famille que celui qui
connaît l’être humain et qui est prêt à lui sacrifier sa vie.

Pouvoir, amour et mort

Le pouvoir est  indissociable de l’amour autant que de la mort, aussi
bien pour les donner que pour les recevoir.  Une telle vision peut
sembler naïve, pleine de candeur et d’angélisme. C’est pourtant, selon
ma modeste conception,  l’unique mode d’exercice de cette faculté qui
puisse nous distinguer du règne animal.  Autrement, en quoi serions-nous
différents du coyote, du répugnant dragon de Komodo ou du diable de
Tasmanie ?

C’est parce que des misanthropes,  des
ennemis de l’homme et des personnes qui haïssent leurs semblables ont
accédé au pouvoir que l’humanité présente aujourd’hui ce spectacle de
désolation, des guerres, des famines, d’injustice, des enfants qui
meurent de faim sur un hémisphère du globe terrestre tandis que sur
l’autre moitié de la même planète, des adultes se demandent s’ils auront
le courage de continuer le régime basse calorie pour perdre leur
surcharge pondérale.

Les qualités essentielles requises pour
l’exercice du pouvoir font de plus en plus défaut et la démocratie,
telle qu’elle est comprise et appliquée dans nos sociétés, loin
d’apporter le correctif indispensable a, au contraire, contribué à 
empirer la situation. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter les
discours des candidats au suffrage populaire et  la liste des promesses
qu’ils soumettent à leurs électeurs. Leurs programmes portent toujours
sur des questions classiques et matérielles comme l’augmentation des
salaires, le plein emploi,  la lutte contre la hausse des prix et
l’inflation, etc…

Et quand, d’aventure,  des hommes
politiques abordent des sujets à caractère moral comme la liberté ou
l’égalité,  c’est pour les cantonner sur le plan physique grossier alors
qu’en réalité, il s’agit de notions qui nous renvoient à des niveaux
plus élevés, plus spirituels.

Parce qu’il permet de modifier les
conditions de nos vies individuelles et collectives, l’exercice du
pouvoir devrait s’assigner pour principal dessein l’accélération de
l’évolution humaine et son passage au règne suivant. Dans le même temps,
il appartiendrait aux détenteurs du pouvoir  de veiller à éviter
l’involution, c’est-à-dire, la régression qui menace à tout moment  de
nous précipiter de nouveau vers l’animalité.

Pour ce faire, le simple choix
démocratique ne suffit pas. Il n’a, par exemple, jamais empêché
l’élection de monstres à la tête des Etats, autrement Adolphe Hitler et
bien d’autres tyrans sanguinaires, les uns connus mais d’autres ignorés,
n’auraient jamais été portés au pouvoir.

Donc, l’usage d’une faculté aussi
cruciale pour nos destins devrait préalablement reposer sur l’initiation
des futurs dirigeants. Et seuls ceux qui auront subi avec succès une
période probatoire pourront prétendre au redoutable honneur de mener les
hommes et de diriger nos sociétés.

A l’instar des autorités traditionnelles
négro-africaines, tous ceux qui, de par le monde,  accèdent aux trônes
reçoivent une initiation, si partisane, incomplète et empirique
soit-elle. Par contre, les animateurs des fonctions électives en sont
privés.  Il ne faut pas chercher ailleurs  la cause du malaise
démocratique actuel. Et si on ne pense pas à y remédier, il ira en
s’accentuant.

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