31.01.11 Le Carnet de colette Braekman : Lumumba / un sort scellé par les Belges
Lassassinat de Lumumba était-il inévitable, compte tenu du personnage et de ses positions politiques ?
Lumumba disait parfois :«je mourrai comme Gandhi »… Il pressentait que ce quil faisait ne plaisait pas à tout le monde et pouvait le mener à la mort. Il aurait pu éviter tout cela mais ne la pas voulu… Ainsi, lorsquil sest rendu aux Etats Unis en août 1960, on lui aurait fait certaines propositions, mais il ne les a pas acceptées, ce qui a scellé son sort…Quant aux Belges, il comptait des amis parmi eux et il a reçu un peu dargent de tout le monde, car les donateurs misaient sur tous les Congolais qui étaient en vue. Mais il tenait à sa ligne politique, tout comme plus tard Laurent-Désiré Kabila ; il répétait quil nallait « jamais trahir le Congo » et sen tenir aux principes.
Était-il dabord un nationaliste, un libéral, avait il comme on la dit à lépoque des sympathies communistes ?
Communiste, il ne létait pas du tout. Lorsquon lui posait la question, il répondait que dans son enfance il avait été protestant, que ses parents étaient catholiques et que lorsquil est arrivé à lécole primaire, il nétait pas encore baptisé ! Il a du se rendre à Kindu, (Maniéma) pour chercher largent afin dacheter son uniforme, arrivé là, il travaillera sur place pour la Symetain et ensuite se rendra à Kisangani.
Profondément autodidacte, il était en sympathie avec le parti libéral et cest ce dernier qui laidera à sortir de prison où on lavait jeté pour « indélicatesse » lors de son travail à la poste de Kisangani…On lui procurera alors un travail de directeur commercial à la Bracongo. Jai aussi retrouvé certains documents qui montrent quil sest aussi frotté avec les Rosicruciens, tout comme Albert Kalonji…Quand vous lisez ses articles de presse, de 1948 à 1956, vous découvrez que Lumumba, véritablement, épousait la cause des Belges. Il souhaitait lassimilation, il voulait que la colonisation belge puisse réussir. Dailleurs son premier livre sappelait « Le Congo, terre davenir, est-il menacé ? » Il voulait que la colonisation soit un succès…Mais cétait aussi quelquun qui lisait beaucoup. Il était ouvert. Or il a subi certaines vexations et fait des découvertes qui lont troublé. Un exemple, entre autres : un jour il se rend à Brazzaville et dans un café, une serveuse blanche sapproche de lui pour prendre la commande. Il nose même pas demander du vin ou de la bière (car à Léopoldville il était interdit aux indigènes de consommer de lalcool) et se contente deau minérale. Se disant que normalement les Noirs ne peuvent même pas entrer dans un tel établissement, il finit par sortir sans vider son verre. Mais le déclic avait eu lieu : à Brazzaville il avait pu entrer dans un café pour Blanc, à Léopoldville, ce nétait pas possible… Dautres mésaventures lui sont arrivées par la suite : un « crédit bicyclette » quil avait demandé pour pouvoir sacheter un vélo ne lui a pas été accordé, pas plus quun crédit pour le mobilier. En effet, il voulait être un « évolué » et devait donc avoir une maison, des meubles comparables à ceux des Blancs. Président de lassociation des évolués de Stanleyville, il entendait être à la hauteur de ce statut. Cest pourquoi il sollicite un crédit, qui ne lui sera pas donné. Toutes ces petites choses lavaient blessé. Mais il se disait aussi « si je veux réussir, je dois jouer la carte du « bon évolué »… Cest ainsi quil sera lun des premiers immatriculés, en 1953.
Il écrit aussi un article dans la « Voix du Congo » demandant pourquoi dans les églises il y a des prie Dieu réservés aux Blancs, des chaises et des bancs à larrière pour les Noirs. Il demande pourquoi Blancs et Noirs sont séparés dans les cimetières…Tout cela montre quen lui quelque chose couve : il pose des questions gênantes, se demande pourquoi un Congolais ne peut pas sexprimer ouvertement.
Lorsquil se rend à Accra, où il rencontre Sekou Touré, il se rend compte que dans dautres pays quau Congo, les mêmes problèmes se posent. La jonction alors est faite, dautant plus que les participants à la conférence dAccra proclament quaucun pays ne peut rester sous domination coloniale après 1960. Il va alors se lancer, soutenu par des amis belges comme Jean Van Lierde, ces derniers vont continuer à le former, à lui envoyer des livres…
Au fond, les Belges auraient du être fiers davoir dans leur colonie une personnalité comme Lumumba, un Congolais tellement désireux de progresser…
Exactement. Il faut savoir que Lumumba na pas terminé sa cinquième année primaire, mais à force de volonté, il sest inscrit dans les cours du soir donnés par les Pères Maristes à Stanleyville, ce qui lui a permis de se présenter au concours de lécole postale. Il va réussir, mieux même que son ancien professeur de primaire. Les Belges, certes, auraient du le pousser. Mais dans le contexte colonial, on naime pas ceux qui font preuve de trop de personnalité, le colonisé doit faire profil bas. Or Lumumba voulait émerger. Bolikango, le doyen des négociateurs à la Table Ronde de Bruxelles, avait coutume de déclarer : « Lumumba, cest quelquun qui na pas peur… Il veut saffirmer… »
Quels étaient les rapports de Lumumba avec le roi Baudouin ? Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps…
Lorsque le roi Baudouin est arrivé à Stanleyville en 1955, Lumumba était déjà une figure de proue, il a été présenté au Roi et des témoins se souviennent quil y a eu tout de suite un aparté entre les deux hommes. Lumumba parlait avec force gestes, il était très grand, (un mètre 82) avait de longs bras quil agitait en tous sens. Les témoins congolais se souviennent quils étaient honteux et se disaient « mais comment Lumumba peut il parler ainsi avec de grands gestes, il nous a fait honte… »Le Roi et Lumumba ont du se revoir, à la fin de la Table ronde…
Lorsque, devant le roi, Lumumba prononce son fameux discours du 30 juin, son sort nest il pas déjà scellé, nest il pas condamné à disparaître?
Je ne le pense pas. Avant le 30 juin, Ganshof Van der Meersch, le gouverneur de lépoque, dit quil na pas confiance en Lumumba parce quil est imprévisible. Il aurait sans doute préféré quelquun comme Kasa-Vubu… Comme Lumumba sentait cela, il a fait le forcing début juin, exigeant de pouvoir former le gouvernement. Ce qui sest passé le 30 juin, cest un désaccord entre le chef de lEtat et lui. Lumumba était Premier Ministre et selon la loi fondamentale, il était responsable du gouvernement. Le chef de lEtat aurait donc du, comme en Grande Bretagne, se référer au gouvernement. Dans ce cas précis, le président Kasa-vubu aurait du présenter son discours au Premier Ministre Lumumba ou même demander au gouvernement de rédiger son texte. Mais Kasa-Vuvu, se disant quil était chef de lEtat, a rédigé et présenté lui-même son discours. Lumumba était indigné et il voulait prononcer lui-même un discours qui allait immortaliser le 30 juin dans lesprit des Congolais. Cest donc aux Congolais quil sadresse et lorsquon revoit les images de lépoque on le voit encore griffonner en dernière minute. Ce quil ajoute, cest « Sire » car il ne pensait pas sadresser au roi, il était tourné vers les Congolais…
Son discours devait marquer le 30 juin pour ses compatriotes, souligner ce quil fallait retenir de cette date. Il voulait aussi signifier à Kasa-Vubu que le chef du gouvernement cétait lui, montrer son autorité. Mais il na certainement pas voulu choquer les Belges. La preuve, cest quaprès, lorsquon est venu lui faire part des réactions, il sest étonné et a prononcé laprès midi même le « toast réparateur ».
En créant la dualité dun pouvoir partagé entre un président, un premier ministre, les Belges navaient ils pas préparé un piège, réuni les conditions dun futur clash ?
Jai déjà entendu cette hypothèse, car cest la Belgique qui a finalisé la loi fondamentale. Mais était ce intentionnel ? Jignore si les Belges ont pu être à ce point machiavéliques…Je nai trouvé aucun texte à ce sujet…
Si Lumumba avait vécu, quel personnage serait-il devenu ?
Nous les historiens, nous ne sommes pas des devins…Si on se met dans la peau des lumumbistes, on se dit que le pays serait allé de lavant. Et ceux qui étaient opposés à lui disent le contraire… Voyez le cas du Mzee, de Laurent-Désiré Kabila : il est arrivé au pouvoir en 1997, il a prôné les idées de Lumumba, il a été éliminé. Certainement parce quil y a toujours certaines forces qui ne veulent pas de quelquun qui affirme son nationalisme de manière radicale…
Lumumba avait dautres ennemis que les Belges : rappelez vous quun médecin américain (ndlr. le Dr Gottlieb) envoyé par la CIA, avait préparé un produit incolore, inodore qui aurait du être déposé sur sa brosse à dents, afin de lui inoculer une maladie qui se serait développée comme le Sida et laurait tué petit à petit! Déjà à lépoque, on menait des recherches sur la guerre bactériologique ! Je me dis que pour lui et pour les Congolais, il vaut peut-être mieux quil soit mort en héros, plutôt que de cette manière là, à petit feu…
A-t-on tout dit sur les responsabilités internationales dans lassassinat de Lumumba ?
La commission parlementaire qui a travaillé à Bruxelles, cest une affaire belgo-belge, nous les Congolais nous ne savons pas ce qui sy est dit. Les documents nont pas été transmis officiellement à Kinshasa et pour nous, aller faire des recherches sur Internet, cest cher et compliqué. Donc, nous sommes les moins bien informés…Nous avons toujours ignoré quaprès 1960 et jusque dans les années 70, la Belgique avait gardé des « fonds secrets » pour sa politique africaine. Ce que nous avons toujours su, cest quaux Congolais qui acceptaient de collaborer avec eux, les Belges proposaient de largent pour acheter une villa, un bien immobilier…Au Congo, le lien entre la corruption et la politique sest noué dès 1960. Il y avait cependant des Congolais honnêtes : lorsque le président Kasa-Vubu se rendait en mission à létranger, il remettait dans les caisses de lEtat les sommes qui lui avaient été allouées et quil navait pas utilisé. Lorsquil sest rendu en Ethiopie, il a dit à son entourage que lempereur Haïlé Sélassié les ayant pris en charge, il fallait donc restituer largent non dépensé.
Lumumba était-il honnète ?
Il y a eu cette affaire de Stanleyville, où il a été condamné pou indélicatesse. . Par la suite, il a du recevoir de largent donné par ses amis comme Kwame NKrumah, du Ghana, pour lui permettre de mener sa campagne électorale. Honnète, quest ce que cela veut dire ? Il avait certainement besoin dargent pour pouvoir réaliser ses ambitions politiques…
Les historiens ont-ils fait leur travail, ou y a-t-il encore des parts dombre qui devraient être investiguées ?
A mesure que des gouvernements déclassifient des documents darchives, il y a toujours du travail pour les historiens…Les Etats Unis ont ouvert laccès à certains documents et un jour Wikileaks fera le reste…Laffaire Lumumba ne se jouait pas uniquement entre les Congolais et les Belges, cétait lépoque de la guerre froide, le monde était divisé en deux et cela jouait dans la propagande des Occidentaux contre Lumumba. Pour garder le Congo, les Occidentaux étaient prêts à utiliser tous les moyens. Pierre Mulele a eu des contacts avec les pays de lEst, en particulier les Tchèques, qui lui ont donné des cours de marxisme. Mais Lumumba était foncièrement un nationaliste, et non lhomme dune idéologie. Comme Nehru, il était acquis au neutralisme positif, ni à gauche ni à droite…
Mais nul nétait prêt à accepter que le Congo prône et affiche ce neutralisme positif, déjà cela cétait trop…Même aujourdhui, le Congo continue à souffrir parce quil est trop riche, à être puni parce quil se tourne vers les Chinois…
Propos recueillis à Kinshasa
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