21.03.11 L'Observateur Télécommunications, Fibres optiques : la RDC a-t-elle fait un bon choix?

Depuis que j’ai participé à un échange international informel tenu dernièrement à Paris, échange qui a permis à quelques spécialistes en Nouvelles technologies de l’Information et de la communication de réfléchir sur les implications des NTIC aux télécommunications de demain, cette question ne cesse de tarauder mon esprit comme une vrille dans le bois.

Compte tenu de la complexité que représente ce mode de transmission de télécommunications, il me paraît important de réfléchir sur ce sujet, en posant des questions essentielles qui pourraient amener les responsables du réseau «câbles à fibres optiques congolais» à s’assurer de la réussite de ce projet qui, dans un premier temps, a coûté plus de 31 millions de dollars aux contribuables congolais, même si cette somme vient d’un emprunt. Il est clairement établi que la presse congolaise avait fait son devoir en publiant urbi et orbi que « la RDC est désormais interconnectée au câble optique à partir de Moanda». Mais aucun des journaux congolais n’a posé des questions essentielles sur cette nouvelle technologie qui devrait révolutionner les télécommunications congolaises et amener les citoyens congolais à goûter des bienfaits de NTIC comme dans des pays développés. C’est dans le souci de pallier ce manquement journalistique que je mets mon expertise à profit afin d’attirer l’attention de tous que beaucoup reste encore à faire sur cette question.

Dans un pays comme la RDC dont le secteur de la télécommunication est en désuétude, la fibre optique est-elle un bon choix? Pour certains esprits, cette question est saugrenue. Ils n’ont peut-être pas tort pour cette raison. La fibre optique offre un débit d’informations nettement supérieur à celui des traditionnels câbles coaxiaux et supporte un réseau de large bande par lequel peuvent transiter entre autres la télévision, le téléphone, l’internet, les données informatiques, etc. Parce qu’elle est aujourd’hui bien adaptée à la transmission numérique à haut débit, ses performances ont un impact très important dans la diminution des coûts du transport à longue distance.

Bref, la fibre optique offre plusieurs avantages, notamment sa grande capacité de transmission, son faible poids, un affaiblissement très faible et une insensibilité quasi totale aux interférences électromagnétiques.

Pourquoi la G.652 et pourquoi pas la G.655C?

En lisant la presse congolaise, qui avait parlé de cet événement, voici ce qu’on peut découvrir entre autres « le câble contient vingt-quatre mèches G 652». Comme spécialiste en NTIC, je suis offusqué par cette phrase. Ce qui me rend provisoirement sceptique. L’information a été, semble t-il livrée par China International Telecommunication Construction Corporation (CITCC), la société qui a réalisé les travaux de pose souterraine de ces 650 km de câble optique entre Moanda et Kinshasa. Et personne n’a cherché à savoir ce qui se cache derrière cette abréviation : «G652».

Simplifions les choses : la «G652» est l’une des plusieurs normes définies par l’Union internationale des télécommunications (UIT). Concrètement la fibre G.652 est la fibre optique monomodale (on peut aussi dire «unimodale) 9/125 (9 étant le diamètre en microns du «coeur» du câble et 125 étant en microns le diamètre du revêtement primaire de la fibre, c’est-à-dire de sa gaine, étant bien entendu que sa protection extérieure doit au minimum avoir un diamètre de 230 microns) utilisées pour le réseau d’accès et en multiplexage en longueur d’onde (WDM) pour les longues distances.

« De quelle G.652 s’agit-il pour la RDC? » Voilà la question qu’un spécialiste de la question se verra dans l’obligation de se poser. A moins que la presse congolaise n’ait pas repris textuellement l’information technique de CITCC. Retenons que la G.652 comprend trois catégories (A, B et C). Et chaque catégorie correspond aux besoins du client (ici la RDC) et influe sur les capacités que celui-ci attend de cette fibre. La G.652 A est la fibre classique qui permet le transport de débit à 2,5 Gbit/s dans les bandes O, C et S. La fibre G.652 B permet des canaux en DWDM à 10 Gbit/s dans les bandes O, C, L et S. La fibre G.652 C est plus performante et elle est employée dans les bandes O, E, C, L et S. Etant donné que, selon les données publiées par la société commerciale des postes et télécommunications (SCPT, ex- OCPT) , la capacité de transmission du réseau national congolais est de 10 gigabits par seconde, pourquoi n’a-t-on pas choisi une autre norme que la G652?

C’est le cas de la G.653 (fibre à dispersion décalée) employée au Japon et en Italie pour les transmissions dans la bande C. Parce que la distance qui sépare le terminal de Moanda à Kinshasa est de 650 km, pourquoi n’a-t-on pas choisi le câble à fibres optiques G.655C? Laissons de côté les explications concernant les «bandes» évoquées plus loin. On y reviendra plus tard. Précisons ici que, utilisant le multiplexage en longueur d’onde dans les bandes S, C et L, fibre à dispersion décalée non nulle –NZ DSF ayant un espacement inter canal de 100 MHz, la G655C est mondialement utilisée pour des liaisons supérieures à 400 km. Pourquoi ne l’a-t-on pas alors choisi pour «interconnecter» notre pays au reste du monde?

Pourquoi avoir choisi un câble à 24 mèches ou fibres?

L’opinion doit savoir qu’un câble à fibres optiques réagit de la même manière qu’un câble électrique : tout est question de son diamètre et de son revêtement. Il existe plusieurs structures de câble à fibres optiques, entre autres : 1)le câble à structure libre tubée dont la capacité type est de 2 à 432 fibres, 2) le câble ruban à tube central dont la capacité type est de 12 fibres par 18 rubans, soit un total de 216 fibres (son avantage est de pouvoir souder simultanément la totalité des fibres d’un même ruban), 3) le câble à jonc rainuré dont la capacité type est de 400 à 600 fibres. Avec les besoins que notre pays a identifiés en NTIC et surtout ce que le Congolais attend (à savoir : la Téléphonie sur IP, Internet Haut Débit et TNT HD (haute définition), la visioconférence de qualité (grâce au débit symétrique proposé), le téléchargement et le chargement ultra-rapide de gros fichiers multimédia, etc.), pense-t-on que le câble à 24 fibres (ou 24 mèches) est suffisant? J’ai des doutes. La demande en données informatiques ou en services liés aux NTIC est si importante que le câble choisi pour le réseau Moanda-Kinshasa risque d’être saturé… Qu’on ne soit pas étonné qu’il y ait des buggs à répétition. Les Congolais risquent alors de voir d’autres «délestages», cette fois-ci dans les télécommunications.

A-t-on maîtrisé les paramètres essentiels?

Pour qu’un câble à fibres optiques puisse donner au «client» les résultats escomptés, ses techniciens doivent maîtriser certains paramètres essentiels de transmission. L’opinion doit savoir que la fibre optique n’est pas quelque chose de magique. Ses performances dépendent de quatre facteurs, à savoir : l’atténuation kilométrique (ou affaiblissement linéique), les effets non linéaires de la propagation, la dispersion chromatique et la dispersion du mode de polarisation. Comme la propagation du flux lumineux porteur du débit numérique est sujette à un certain nombre de phénomènes non linéaires, l’attention des techniciens doit être très soutenue sur la PMD (Polarization Mode Dispersion ou dispersion du mode de polarisation) et sur la dispersion chromatique (CD).

La SCPT dispose-t-elle déjà d’un personnel technique à même de maîtriser ces deux paramètres? Quel type de multiplexage a-t-on choisi pour le terminal de Moanda et celui de Kinshasa? Est-ce le multiplexage par répartition en longueur d’onde (DWDM, Dense Wavelength Division Multiplexing) ou le multiplexage par répartition approximative en longueur d’onde (CWDM, Coarse Wavelength Division Multiplexing). Cette question est capitale étant donné que la première partie du réseau congolais comprend 650 km. C’est dire qu’avec cette longueur, il faut penser à amplifier le câble. Or l’amplification d’un câble à fibres optiques se fait en fonction des paramètres de transmission préalablement définis et maîtrisés.

En effet, tout comme le courant électrique, le flux lumineux transporté dans un câble à fibres optiques (surtout quand il est assez long, c’est le cas de celui de Moanda-Kinshasa) exige une amplification. Or, dans ce domaine, on distingue trois types d’amplificateurs, à savoir : les amplificateurs optiques à semi conducteurs (SOA, Semiconductor Optical Amplifiers), les amplificateurs laser à fibre dopée à l’erbium, (ou EDFA, Erbium Doped Fiber Amplifiers), et les amplificateurs optiques à effet Raman.

Chacune de ces catégories d’amplification vise à réduire les effets de la dispersion chromatique et de l’atténuation du signal optique sur les parcours optiques les plus longs. Cependant, pour chaque type d’amplification, le câble réagit différemment. Question : quel type d’amplification a-t-on choisi pour le réseau Moanda-Kinshasa? Je me permets de poser toutes ces questions parce que le câble à fibres optiques est une technologie très complexe qui exige la maîtrise de certains paramètres essentiels, sinon «bonjour l’échec!»

Quel type de commutation choisi pour ce réseau?

Un réseau à fibres optiques se développe de la même manière qu’un réseau électrique. Etant donné que le câble Moanda-Kinshasa a aussi relié les autres villes ou centres urbains du Bas-Congo, son OTN (Optical Transport Network) et son système de commutation doivent être bien réfléchis pour ainsi assurer la sécurité du réseau. J’ignore le type de commutateur qui a été choisi. Est-ce l’OXC, (Optical Cross Connect) ou le PXC (Photonic Cross Connect) ? J’espère que, pour assurer un transport très efficace du protocole de signalisation, l’on a mûrement réfléchi avant de définir le type de réseau choisi. Concrètement, pour desservir tout le Bas-Congo et Kinshasa, quel type de réseau a été mis en place? Est-ce l’ASON (Automatic Switched Optical Network ou réseau d’accès optique commuté ) ou l’ASTN (réseau de transport à commutation automatique) . Entre Moanda et Kinshasa, combien de «sous-stations» seront-elles mises en service? Toutes ces questions ne sont pas anodines. Que nos ingénieurs s’y penchent, sinon peine perdue.

Devant l’inexistence d’un réseau filaire, comment va-t-on réaliser le FTTX?

La presse congolaise a salué le travail accompli par le »carré d’as qui a conçu, suivi et qui voit aujourd’hui la réalisation de ce projet», à savoir «:»le vice-Premier ministre, ministre des Postes et Télécommunication, Simon Bulupyi Galati, le délégué général de la société congolaise des Postes et Télécommunications (SCPT), Jean-Pierre Muhongo et le DG adjoint Simon Bolenge Mokesombo, le directeur technique et d’exploitation Télécoms, Malwango Izanga et le directeur des Projets Télécoms Casimir Ilunga Kazadi» . Ce «carré d’as» a eu l’ingénieuse idée de faire installer des CLS (Cable landing stations) à Boma, à Matadi, à Songololo, à Kimpese, à Mbanza-Ngungu, à Kisantu, à Kasangulu et à la station de jonction de Kinshasa, à l’Hôtel de la Poste. Oublie-t-on que la technologie de câble à fibres optiques ne fonctionne qu’avec un réseau filaire existant? Il n’est un secret pour personne qu’aucun de ces lieux cités ne dispose des «réseaux téléphoniques filaires». Puisque la fibre optique fonctionne dans un environnement qui dispose d’un réseau domestique filaire, a-t-on pensé au câblage de toutes les rues de la capitale, des villes et des centres urbains des provinces?

En état d’espèce, comment va-t-on opérer le FTTx (Fiber To The …) qui est l’aboutissement de tout? Simple précision pour les néophytes : le FTTx consiste à amener la fibre optique au plus près de l’utilisateur, afin d’augmenter la qualité de service (en particulier le débit) dont celui-ci pourra bénéficier. Comment les responsables de ce grand projet vont-ils s’y prendre pour faire bénéficier les effets de la fibre optique aux Congolais? Quand on sait qu’il y a 5 façons d’opérer le FTTx ( à savoir : le FTTH «Fiber To The Home « c’est-à-dire connexion de la fibre jusqu’à domicile ; la FTTB «Fiber To The Building» ou connexion de la fibre jusqu’à l’immeuble ; la FTTO «Fiber To The Office» ou connexion de la fibre jusqu’au bureau ; la FTTC «Fiber To The Curb» ou connexion de la fibre jusqu’au trottoir et la FTTcab «Fiber To The cabine «, c’est-à-dire connexion de la fibre jusqu’au sous-répartiteur) et quand on sait aussi que Kinshasa ne dispose même pas d’un centimètre de réseau téléphonique filaire, il y a de quoi s’interroger sur la réussite d’un projet qui a coûté plusieurs millions de dollars.

Que vaut un câble à fibres optiques si l’on n’est pas sûr que les citoyens disséminés dans des quartiers auront facilement accès à un réseau Ethernet via le noeud de raccordement d’abonnés (NRA) ou via le réseau optique actif qui met en oeuvre des équipements soit au niveau de l’immeuble (FTTB), soit à celui d’un répartiteur de rue (FTTC)? Que vaut un réseau à fibres optiques si l’on est pas en mesure de doter les gros clients ( les entreprises) d’un réseau PON (Passive Optical Network) ou réseau multipoint?

Le projet TNT piétine

Les questions que je viens de poser pour le réseau de câble à fibres optiques sont presque les mêmes que celles que j’avais posées pour le réseau de la Télévision Numérique Terrestre (TNT) dont la réalisation a été confiée à la firme italienne Teleconsult. Jusqu’à ce jour le projet TNT piétine, peine à se concrétiser, alors qu’il y a une possibilité de développer rapidement à moindre coût la TNT à Kinshasa, peu importe la norme. Sur ce point j’ai eu l’occasion d’offrir mes services à mon pays qui, malheureusement, reste sourd. Aujourd’hui, j’exprime temporairement les mêmes inquiétudes pour le réseau câblé congolais.

La presse congolaise a souligné les avantages d’un tel réseau pour notre pays. On ne va pas y revenir. On sait, par exemple, que grâce à ce réseau, la RDC pourrait facilement développer sa TNT par ADSL. Pour votre information, l’ADSL (Asymetric Digital Subscriber Line) est une technique de communication qui permet d’utiliser une ligne téléphonique ou une ligne RNIS pour transmettre et recevoir des données numériques ( tels que l’internet, la TV HD) de manière indépendante du service téléphonique. Grâce à ce réseau, la SCPT (ex-OCPT) deviendra le premier opérateur de télécommunications pouvant fournir des services à un tarif qui sera à la portée de toutes les bourses. Alors, vu les enjeux que représente ce réseau, plaise au ciel que les responsables Télécoms de notre pays portent une attention particulière à ces quelques questions que je viens de poser, au lieu de se lancer dans des rhétoriques d’un triomphalisme douteux. Je le répète, la télécommunication par câble à fibres optiques est un domaine très complexe, un domaine qui nécessite la maîtrise totale d’un certain nombre d’éléments que je pourrais éventuellement expliquer dans un autre article. Il va sans dire qu’une formation de plusieurs mois (et non de quelques jours) est nécessaire aux ingénieurs congolais qui seront chargés de l’exploitation de ce câble. L’Etat congolais a investi plus de 31 millions de dollars américains dans ce projet. Il faut que cet investissement serve à quelque chose et surtout profite à tout citoyen congolais. Le XXIè siècle est un siècle de télécommunication numérique. Celle-ci doit être mise à la portée de tous. Qu’on ne l’oublie pas. Pour que le choix fait par la RDC soit bon.

Dr José Mambwini Kivuila-Kiaku

(Spécialiste en NTIC (Paris)

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