30.03.11 L'Observateur – Choix du câble à fibres optiques en RDC
L'information que la presse congolaise avait présentée innocemment sur l'installation du câble à fibres optiques, selon laquelle le câble-mère du réseau numérique " Moanda-Kinshasa " " contient vingt-quatre mèches ( ou fibres) G 652 " ne doit pas être prise à la légère car elle présuppose déjà le degré d'efficacité ou d'inefficacité du réseau censé réduire la fracture numérique en RDC. Parce que la connexion de notre pays au câble à fibres optiques sous-marin intercontinental représente des enjeux colossaux tant sur le plan national, sous-régional (il s'agit de la sous-région " Afrique centrale ") qu'international. Cependant, cette information passée inaperçue pour le Congolais moyen nécessite d'être décortiquée. Ainsi, après avoir posé des questions fondamentales sur le développement d'un réseau à fibres optiques (cf. L'Observateur du 21 mars 2011), je m'en vais me focaliser sur ce câble qui vient de matérialiser l'entrée de notre pays dans la Société Mondiale de l'Information (SMI). En tout cas, la connexion de notre pays au câble à fibres optiques sous-marin est un préalable pour la réalisation du grand projet de déploiement de la dorsale de fibres optiques devant interconnecter toutes les 26 provinces à naître – 11 aujourd'hui – non seulement avec la capitale, mais également avec le reste du monde. Vu sa position stratégique de notre pays non seulement en Afrique centrale, en Afrique en général, mais également dans le monde, il était temps que la RDC se dote d'infrastructures de premier ordre sur les plans des télécommunications et de Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, infrastructures qui lui permettront de faire son entrée triomphale dans la Société Mondiales de l'Information (SMI).
Rappel sur l'architecture d'un réseau numérique à fibres optiques
L'opinion doit savoir ceci : un réseau à fibres optiques national comprend trois grandes catégories, à savoir : 1) le WAN (Wide Area Network), réseau longue distance. La connexion Moanda-Kinshasa n'est qu'un segment du WAN qui constituera la " Dorsale des fibres optiques congolaises " estimée à 5467 km. Toutes les villes ou centres urbains connectés à ce WAN constituent ses " nœuds " ; 2) le MAN (Metropolitan Area Network) qui correspond au réseau mis en oeuvre dans une grande ville comme Kinshasa, réseau permettant de relier non seulement le principal backbone de l'Hôtel de la Poste aux 24 communes , mais aussi ces communes entre elles ; 3) le LAN (Local Area Network ), réseau de distribution permettant d'acheminer les FTTx, c'est-à-dire les informations à l'abonné.
Le WAN Moanda-Kinshasa nécessite un câble de type G-655 C
Il conviendrait de noter ici – c'est très important – que chacune de ces trois catégories de réseau utilise un type précis des fibres. Pour les WAN, par exemple, l'Union Internationale des Télécommunications – normalisation des Télécommunications (UIT-T) a défini et spécifié 5 types des fibres, allant de G-651 à G-655. Seules deux normes occupent aujourd'hui le devant du marché des fibres optiques dédiées aux réseaux longue distance. Il s'agit de G-652 et G-655.
Conçue en 1980 et commercialisée depuis 1983, la fibre monomode G-652 est le premier type de fibres que l'UIT-T a normalisé. Fibre à dispersion non décalée, la fibre G.652 permet d'envoyer des longueurs d'onde sur 1300 et 1550 nanomètres. Prévue pour une capacité de transmission de 2,5 Gbps au maximum, cette fibre a montré ses limites dans la mesure où, partout au monde où elle a été utilisée pour développer un réseau longues, la G-652 distances présente des effets non linéaires de dispersion chromatique et de dispersion de mode, conjugués aux forts niveaux de puissance produits à la sortie des amplificateurs. De profil d'indice simple, fibre supportant un système de transmission à 2,5 Gbit/s, avec un pas de régénération de 90 km en moyenne, l'utilisation de la G-652 impose donc l'emploi de dispositifs de compensation coûteux et potentiellement pénalisants pour l'ingénierie des systèmes dès que le débit unitaire par canal atteint 10 Gbit/s. Pour résoudre ce problème dont seuls les initiés peuvent mesurer les conséquences sur l'efficacité d'un réseau à fibres optiques, l'UIT-T recommande l'utilisation de la G-652 C. Celle-ci est plus efficace si on l'utilise pour le déploiement d'un MAN (Metropolitan Area Network).
Définie comme la NZDF (Non Zero Dispersion Fiber), c'est-à-dire comme la fibre à dispersion non nulle, la G-655 et surtout sa variante G-655 C est la norme utilisée aujourd'hui pour des infrastructures terrestres de longue distance. Conçue en 1995, cette technologie a été normalisée en vue de faire face au haut débit et toutes les applications de type WDM/DWDM ( cf. L'Observateur du 21 mars). Ces deux technologies nées de l'idée d'injecter simultanément dans la même fibre optique plusieurs trains de signaux numériques à la même vitesse de modulation, mais chacun à une longueur d'onde distincte peuvent permettre à la G-655 et surtout la G-655 C d'atteindre des capacités de 80, 160, 320, 800 Gb/s en prenant un débit nominal de 10 Gb/s, voire une capacité de 4 000 Gb/s (4 Tera b/s) avec 400 canaux optiques à 10 Gb/s, en technologie U-DWDM.
Depuis 2000, la plupart des réseaux WAN recourt à cette technologie surtout quand les distances sont au-delà de 400 km. En effet, optimisée pour les applications très haut débit et compatibles avec les signaux multiplexés en longueur d'onde (D-WDM), la fibre G-655 et surtout la fibre G-655 C répondent aux exigences les plus strictes des opérateurs de télécommunications. Sa faible PMD garantit non seulement la qualité du signal transporté, mais aussi et surtout l'homogénéité de ses performances dans la bande 1528-1565 nm.
Des questions qui nécessitent des réponses
De ce qui précède, l'opinion devra comprendre que la fibre optique monomode en silice G-655 C est actuellement incontournable en transmission longue distance à très haut débit. A ce jour, aucun autre matériau ou milieu de propagation ne peut rivaliser avec ses 0,2 dB/km d'atténuation à la longueur d'onde dans la fenêtre (ou bande) 1528-1 550 nm. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement congolais, via ses experts, a choisi la G-652 pour construire le WAN Moanda-Kinshasa.
Comment, pour le premier tronçon du " principal boulevard numérique congolais ", les ingénieurs Télécoms congolais ont accepté qu'on utilise une fibre (la G-652) qui se caractérise en particulier par une dispersion chromatique s'annulant dans la plage à 1,3 ?m et donc élevée (17 ps/nm.km) dans la plage à 1,55 ?m des transmissions longue distance ? Pourquoi n'ont-ils pas opté pour la G-655 C, fibre dont les performances ne sont plus à démontrer, une fibre utilisée aux quatre coins du monde pour le développement des WAN? Aboutissement de deux décennies de recherche, la fibre optique G-655 C s'est imposée de façon exclusive dans les réseaux de transport terrestres mondiaux à cause des avantages qu'elle présente, parmi lesquels : 1) elle est utilisable à 1310 nm et optimisée pour haut débit dans les bandes C (1530 – 1565 nm) et L (1565 -1625 nm) ; 2) ses valeurs de dispersion optimisées ( 2,6 à 6,0 ps/nm.km entre 1530 et 1565 nm – 4,0 à 8,9 ps/nm.km entre 1565 et 1625 nm) minimisent constamment les effets non linéaires, limitent les actifs de compensation de dispersion et surtout facilitent le déploiement ultérieur du très très haut débit à moindre coût ; 3) sa pente de dispersion est plus faible que celle des fibres à grande surface effective, son double revêtement acrylate permet d'assurer la pérennité des fibres à long terme, surtout quand on sait que le changement du câble Moanda est prévu dans 20 ans ; 4) sa PMD et dispersion réduites permettent de garantir l'évolutivité des réseaux et plus particulièrement l'augmentation des débits de 10 à 40 Gbits/s ; 5) ses caractéristiques géométriques optimisées permettant de réduire les pertes aux épissures (soudures).
Certes, l'on me dira qu'il n'existe pas à ce jour un consensus sur la fibre idéale pour la transmission longue distance et haut débit, domaine où les caractéristiques de la fibre sont les plus sensibles tant le compromis entre la dispersion chromatique, les effets non linéaires et les types de modulation sont délicats à trouver. Qu'on n'oublie pas que nous sommes en 2011. La technologie dans le domaine de la communication et de la télécommunication a sensiblement évolué. Tous les réseaux WAN du monde longs de plus de 400 Km recourent à la technologie G-655 C. Pourquoi la RDC fait l'exception ?
Où sont passées les recommandations d'Alternatives-RDC ?
A propos du réseau numérique congolais par câble à fibres optiques, une source proche du ministère des PTT et de la délégation générale de la Société congolaise des Postes et Télécommunications (SCPT, ex-OCPT), qui a requis l'anonymat, m'a informé, preuves à l'appui, que, conformément à la recommandation de la ministre des PTT contenue dans sa lettre n° CAB/MIN/PTT0227/2006 du 07 juin 2006, la délégation générale de l'ex-OCPT avait tenu une réunion mardi 11 juillet 2006 concernant l'étude de faisabilité du backbone national en RDC.
A l'issue de cette réunion, dans sa lettre du 10 août 2006 n° OCPT/DG/2293/0116 lrs/2006, la délégation générale de l'OCPT a commandé une étude de faisabilité de ce backbone auprès de l'agence Alternatives-RDC, dirigée à l'époque par monsieur Jean-Claude Pwepu. Publiée en juin 2007 et réalisée en collaboration avec le Centre de recherche pour le développement international (CRDI), la firme canadienne XitTelecom et par la Dynamique multisectorielle sur les TIC (DMTIC), l'étude de 156 pages portait sur " l'Etude de faisabilité pour une dorsale Internet ouverte en République démocratique du Congo ". En pages 104-106, ses auteurs ont recommandé à l'OCPT " le déploiement de câble … qui sera composé de 24 fibres ITU-T G.652.C ainsi que 24 fibres de type ITU-T G.655 " comprenant 24 paires, donc 48 fibres. " Les 12 paires (24 fibres) type ITU-T G.655 vont servir à interconnecter les équipements DWDM de la dorsale ". Par contre " les 12 paires (24 fibres) ITU-T G.652.C vont servir à faire de la distribution d'un point de présence à une sous-station, ou d'une sous-station à une autre, au moyen d'équipements Ethernet standards ". Les auteurs ont, noir sur blanc, déconseillé l'utilisation de la fibre optique G-652 à cause de sa " piètre performance… au point de vue de la dispersion chromatique d'environ 17 ps/nm-km, donc 3 fois supérieur à la fibre ITU-T G.655 ".
Questions : pourquoi les responsables de l'ex-OCPT n'ont pas tenu compte de ces recommandations dans le choix de type de fibre optique monomodale devant matérialiser le WAN Moanda-Kinshasa ? Où sont passées les recommandations d'Alternatives-RDC ?
Déjà en juin 2007, cette étude a mis en cause l'efficacité de la G-652. En tenant compte du progrès réalisé dans la technicité des fibres optiques, pourquoi en 2011, pour le WAN congolais, on a opté pour la même fibre qui est aujourd'hui est utilisé pour un MAN ? Même si cette étude concernait un réseau ouvert utilisant les infrastructures existantes de la SNEL, cela revient au même.
Avec la G-652, l'autoroute numérique congolaise est-il compromise?
Vu la piètre performance de la fibre G-652, peut-on dire que l'efficacité de l'autoroute numérique congolaise est compromise ? Pas encore. S'il est vrai que le câble qui matérialise le WAN Moanda-KInshasa est composé de 24 fibres G-652, en réalité, le seul problème qui se poserait est celui de transport de débits nécessaires à la demande nationale en données numériques. Or, pour y parvenir, le réseau numérique congolais doit assurer la transmission de 40 Gbit/s par longueur d'onde. Ce qui est impossible avec la G-652 conçu au départ pour un débit de 2,5 Gbit/s. Avec les nouveaux progrès technologiques réalisés dans le domaine de la fibre optique, si on maintenait la G-652, le salut du WAN Moanda-Kinshasa ne proviendrait que de la manière dont les ingénieurs congolais maîtriseront la technique de l'amplification optique et du multiplexage en longueur d'onde.
Ainsi observée sur divers sites à travers le monde, l'amplification optique est donc capable d'amplifier l'ensemble des N longueurs d'onde d'un multiplex sans distorsion du signal utile. Ce qui nous ramène à la technique WDM/DWDM dont nous avons parlé. Avec cette technique, un seul amplificateur optique est capable de se substituer aux N régénérateurs en chaque site de ligne, procurant ainsi une économie d'équipements croissante avec la longueur de la liaison et le nombre de canaux.
Avec l'amplification optique, on peut même exploiter des systèmes à 16/32 longueurs d'onde à 2,5 Gbit/s, extensible à 64 soit une capacité maximale de 160 Gbit/s. En tout cas, si tout est faisable techniquement, l'équation sera un peu difficile avec la G-652, car sa conception remontant au début des années 80 est incompatible aux principes qui ont nourri l'évolution des systèmes de transmission. A titre d'exemple, avec la WDM/DWDM la dispersion chromatique totale cumulée acceptable pour un débit de 10 Gbit/s est de l'ordre de 1 000 ps/nm. Pour la fibre, G-652, cela équivaut à 60 km de longueur. Comme notre pays ambitionne 40 Gbits/s, si l'on utilise la fibre G-652 classique, cette valeur tombera à environ 60 ps/nm, soit l'équivalent de 4 km de cette fibre.
Espérons que la presse congolaise avait omis de mentionner "C" quand elle avait annoncé que le câble reliant Moanda à Kinshasa était constitué de 24 mèches G-652. Si ce n'est pas le cas, il est temps de revoir l'installation du câble faisant office de "boulevard numérique" congolais. Avec la G-652 classique, le réseau va fonctionner. Mais le problème se situera au niveau de la performance du flux débité, c'est-à-dire en termes de capacité. Pour répondre aux besoins en numérique, tous les pays qui ont investi et qui investissent en câble à fibres optiques ne rêvent que des réseaux pouvant fournir une capacité minimum de 40 Gbit/s. Et quand on sait que la G-652 a été conçu pour 2,5 Gbit/s, débit pouvant être amplifié jusqu'à 10 Gbit/s dans un MAM de quelques km et quand on s'aperçoit que le même câble est utilisé pour WAN national de 650 km, il y a de quoi prier Newton de revenir sur terre…
Qu'on se le dise : l'efficacité d'un réseau à fibres optiques dépend avant tout de la qualité des fibres utilisées. Aujourd'hui, la fibre optique G-655 C apparaît comme la plus performante pour les architectures de réseaux longue distance et haut débit, exactement comme celui de la dorsale numérique de la RDC, dont le premier tronçon " Moanda-Kinshasa " mesure 650 km. Pour les initiés, cet article doit être considéré comme une contribution d'un citoyen congolais à l'entrée effective de son pays dans la très sélective Société Mondiale de l'Information (SMI), marquée, entre autres par la démocratisation de l'internet, la téléphonie et la Télévision numérique terrestre (TNT) via l'ADSL. Or sur ce dernier point, malgré nos cris répétés, les choses piétinent. Pardon, elles avancent en reculant.
Dr José Mambwini Kivuila-Kiaku
Consultant et spécialiste en NTIC (Paris)