Les élites congolaises et la question de la démocratie (JP Mbelu)

« Nous sommes en démocratie », « la RD Congo est une jeune démocratie » telles sont de petites phrases que certains d’entre nous ne cessent de débiter à longueur des journées quand ils parlent de la marche politique de notre pays. Quels sont les signes indiquant que le Congo, notre pays, est en démocratie ou est une jeune démocratie ? Avoir une constitution rédigée ailleurs, aller aux élections financées par autrui, avoir des gouvernants qui ne rendent compte à personne, avoir des médias muselés et/ou autocensurés, des représentants du peuple ( ?) corrompus à plusieurs reprises avant le vote des lois, avoir des couches entières de nos populations non représentées aux différents niveaux de la gestion du pouvoir politique, est-ce cela être « en démocratie » ou être une jeune démocratie ?

Voyons-nous là un verre à moitié vide ? Peut-être ! Qu’est-ce qui poussent certaines élites congolaises à qualifier le mode de gestion de pouvoir chez nous de démocratique ? Toute accession au pouvoir par les élections au suffrage universel doit-il être qualifié de démocratique ? Ne serions-nous pas encore prisonniers de la rhétorique des « missionnaires de la démocratie » qui nous ont dit, à la chute du mur de Berlin, que toute aide aux pays africains sera conditionnée par leur engagement sur la voie de la démocratie ? Rhétorique démentie aussitôt après par le soutien que « les mêmes missionnaires de la démocratie » ont offert à la françafrique et à certains dictateurs new look dont ceux de la région des Grands Lacs.

Il semble que le désir de certaines élites congolaises de répondre positivement à cette rhétorique ne leur a pas permis de questionner « la pratique démocratique » des années ayant suivi la chute du mur de Berlin dans plusieurs pays. Même dans ceux d’où part « la mission démocratique ». Certaines décisions graves ont été prises dans ces pays sans l’aval des citoyens et/ou contre leur opposition. « On pourrait dire que la seule mesure à même de garantir la démocratie serait la capacité des citoyens à révoquer leurs représentants lorsque ceux-ci cessent de les représenter. Ainsi, la volonté du peuple pourrait renverser un gouvernement qui s’apprêterait à entrer dans une guerre en dépit de l’opposition de la majorité des citoyens. Si cette possibilité de « véritable démocratie » avait existé, bon nombre de gouvernements européens se seraient écroulés au début de l’invasion de l’Irak. » ( J. GOODY, Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard, 2010, p.364)

Questionner la pratique démocratique aurait pu conduire à remarquer que même chez « les missionnaires de la démocratie », les principes démocratique, monarchique et aristocratique coexistent au point de rendre la doctrine de la souveraineté populaire obsolète. De plus en plus, les oligarchies liées à la richesse et « les experts monétaires » y dictent la loi. Et ils sont minoritaires !

Quand ces oligarchies liées à la richesse se mêlent des élections prévues dans « un pays tiers », elles organisent leur marketing pour y vendre « leur produit », leur marionnette.

Que certaines de nos élites congolaises puissent croire, encore aujourd’hui, que les élections organisées avec l’argent de ces oligarchies est une garantie à la souveraineté populaire, c’est tout simplement triste. Cela prouve le niveau atteint par l’hégémonie culturelle occidentale dans certains de nos cœurs et de nos esprits. (Qui dit changement des mentalités devrait d’abord viser un travail permanent sur ce cas flagrant du viol de l’imaginaire !)

Rompre avec la fausse rhétorique des « missionnaires de la démocratie », briser le lien économico-financier de notre avilissement passent par une réécriture de l’histoire reconnaissant « les bailleurs de fonds » comme appartenant à une région du monde (qui n’est pas le monde.) Cette réécriture de l’histoire fondée sur une certaine redécouverte de l’anthropologie nous aiderait à comprendre que « les valeurs humaines varient nécessairement selon les collectivités humaines, mais certaines valeurs sont quasi universelles, telles que l’idée de justice distributive, de réciprocité, de coexistence pacifique, de fertilité, de bien-être, voire l’idée de représentation dans la conduite de l’Etat ou d’autres instances hiérarchisées de pouvoir- une représentation qui peut prendre bien des formes, la « démocratie », telle que l’Occident la comprend, n’étant qu’une d’entre elles. » (Ibidem, p.355)

Disons qu’il y a lieu d’organiser une représentation du pouvoir fondée sur les valeurs universelles sans qu’elle soit qualifiée de « démocratie » avec toute sa charge idéologique occidentalisante. L’Afrique a connu des royaumes au sein desquels le roi étaient tenus au respect du principe de la réciprocité dans sa responsabilité vis-à-vis du peuple et ses conseillers le surveillaient ; ils avaient même le pouvoir de le sanctionner sans qu’on parle de « la démocratie ». (Lire J. KIZERBO, A quand l’Afrique. Entretien avec René Holenstein, Paris, Editions de l’Aube, 2003) D’ailleurs, cette démocratie est de plus en plus une ploutocratie où les majorités obéissent à une minorité organisée. Et le Congo actuel en est un modèle dévoyé ; c’est-à-dire une ploutocratie où une infime minorité (sécurisé par les escadrons de la mort faisant partie du jeu) jouit de toutes les richesses du pays et des privilèges y afférant aux dépens de la majorité de nos populations, sans un minimum de justice distributive.

Et au niveau de la représentation, cette ploutocratie a écarté nos chefs coutumiers, nos mamans maraîchères, nos paysans, nos jeunes chômeurs, nos mamans commerçantes, nos villageois, etc. Dans les instances où elle se rencontre, la voix de tous ces sans-voix n’est pas audible. Les députés cooptés (après leur élection par le peuple (?)) pour des raisons électoralistes par « la majorité au pouvoir » sont devenus des caisses de résonnance de la « haute hiérarchie ». La remise des élections locales aux calendes grecques est une astuce pour soumettre la majorité de ces laissés-pour-compte au diktat de la minorité des ploutocrates et leurs clients, tous au service des oligarchies d’argent occidentales.

Focaliser nos débats sur « la démocratie » en oubliant toute sa charge idéologique et en évitant de questionner sa pratique quotidienne peut mener à une impasse : la réduction de cette « démocratie » à l’organisation des élections au suffrage universel à un rythme régulier au profit d’une minorité de ploutocrates se moquant éperdument des valeurs universelles fondant l’exercice humain du pouvoir.

La question que nous posons a des dimensions historique, culturelle (spirituelle) et anthropologique très importantes. Il y a des ruptures et des reconversions à opérer dans l’immédiat. D’autres dans le moyen et le long terme. La question de la sortie de l’hégémonie culturelle occidentale au profit d’une sage inter-culturalité par exemple prendra beaucoup de temps. Le viol de l’imaginaire (l’Odeur du Père pour parler comme Mudimbe) est allé loin dans la manducation des cœurs et des esprits de certaines élites congolaises (aux affaires, dans les églises, dans l’éducation ou dans la formation de la jeunesse). Au point que leur reformatage pourra ressembler à une révolution copernicienne. Peut-être que cela pourrait aller vite avec un autre leadership collectif…Il nous faut urgemment une autre éco

Par JP MBELU

le et/ou d’autres lieux d’alphabétisation de nos élites et nos populations.

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