Opposition, Majorité, Société civile et enjeux de l’heure (JP Mbelu)

Qu’est-ce qui
commande notre mode d’organisation sociétale ? Les enjeux géostratégiques,
géopolitiques et géoéconomiques de notre monde avec ce qu’ils induisent comme
conséquences du point de vue éthique et spirituel ou une imitation servile d’un
modèle supposé universel ? Serions-nous devenus tellement esclaves
du modèle « capitalo-parlementaire », de « la démocratie bourgeoise » ou de « la
ploutocratie » que nous voudrions à tout pris reconduire sans une petite prise
de conscience du fait que « la création en commun du destin
collectif » n’est possible que dans le dépassement des divisions classiques de
la sphère publique ? Quand les Egyptiens et les Tunisiens décident de renverser
par l’action collective les dictatures corrompues au service des
multinationales, ils créent « un évènement » en tombant dans « l’illégalité »,
pacifiquement : ils se passent, au cours de la création de cet « évènement », de
la voie qui aurait été jugée légale (les élections) pour ce faire.

Ils créent un
lieu où « il y a toutes sortes de gens dont un peuple se compose, toute parole
est entendue, toute proposition examinée, toute difficulté traitée pour ce
qu’elle est. Ensuite, ils surmontent toutes les grandes contradictions dont
l’Etat prétend que lui seul peut les gérer sans jamais les
dépasser : entre intellectuels et manuels, entre hommes et femmes, entre pauvres
et riches, entre musulmans et coptes, entre gens de province et gens de la
capitale… » (A. BADIOU, Tunisie, Egypte : quand un vent d’est balaie l’arrogance de l’Occident, dans Le Monde du 19
février 2011) De ce lieu se sont dégagées de
possibilités neuves d’actions solidaires. « On voit des jeunes femmes médecin
venues de province soigner les blessés, dormir au milieu d’un cercle de
farouches jeunes hommes, et elles sont plus tranquilles qu’elles ne le furent
jamais, elles savent que nul ne touchera un bout de leurs cheveux. On voit aussi
bien une organisation d’ingénieurs s’adresser aux jeunes banlieusards pour les
supplier de tenir la place, de protéger le mouvement par leur énergie au combat.
On voit encore un rang de chrétiens faire le guet, debout, pour veiller sur les
musulmans courbés dans la prière. On voit les commerçants nourrir les chômeurs
pauvres. On voit chacun parler à ses voisins inconnus. »
(Ibidem) Bien qu’étant pacifiques, les
manifestations égyptiennes et tunisiennes ont enregistré des martyrs de cette
création solidaire de la part « des employés » des multinationales. Néanmoins,
elles ont rendu possible la renaissance des peuples auxquels les
indépendances formelles ont apporté dictatures et injustice
sociale.

Cet exemple de
création solidaire devrait davantage inspirer les pays africains se situant au
Sud du Sahara dont la RD Congo. Que « l’opposition politique » resserre ses
rangs face aux enjeux politiques internes, que les jeunes (surtout à l’est de
notre pays) se mettent debout et créent leurs cellules d’autodéfense, c’est déjà
très bien. Néanmoins, face aux enjeux majeurs de l’heure, il serait important de
demander à « l’opposition politique » de dire en permanence à quoi
elle s’oppose. Il est vrai que pour certains partis de cette
« opposition », la rupture avec le système actuel est une priorité. La question
reste de savoir jusqu’où cette rupture peut aller ; le système actuel n’étant
qu’un arbre qui cache la forêt (de la néocolonisation).

Et la
néocolonisation opère en utilisant les divisions classiques
de notre sphère publique (entre les pro et les contre leurs
marionnettes) ! 

Supposons que
nous nous rendions compte, dans notre immense majorité, que nous poursuivons les
mêmes objectifs : notre émancipation de la néocolonisation, notre refus
du néolibéralisme et notre option pour une création collective et solidaire d’un
autre Congo. Dans quel intérêt reconduirions-nous ces divisions classiques ?
« Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances
coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué- et
contribuent encore- au suicide  de l’Afrique » (« Africains,
levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba prononcé à Ibadan
(Nigeria), 22 mars 1959
 ) et du Congo. Comment
pouvons-nous avoir les mêmes objectifs et détruire les bases mêmes
de leur réalisation ? ( La Côté d’Ivoire a fait l’expérience amère de sa
division entre les pro-Ouattara et les pro-Gbagbo. La France
néocoloniale s’en est servie.)

Avoir les mêmes
objectifs pour notre pays et entretenir des divisions classiques copiées chez
« les capitalo-parlementaires », c’est prêter flanc à leur politique du
« diviser pour régner ».

Aujourd’hui,
nous parlons encore « des partis de l’opposition » congolaise et des efforts
qu’ils déploient pour avoir des vues communes. Demain, les spécialistes de la
politique du « diviser pour régner » et leurs hommes et femmes
liges les rattacheront à tel ou tel autre leader et à sa « côterie » dans le but
de créer l’atomisation des forces solidaires.

Il est possible
que dans la poursuite des objectifs communs, nous n’ayons pas toujours présent à
l’esprit une bonne connaissance du modus operandi des spécialistes du
« diviser pour régner », surtout en ce temps de crise économique mondiale aiguë.
Et pourtant, ils ont revu et corrigé certains de leurs principes sans toucher
aux autres. Un exemple. Dans Le Grand Echiquier. L’Amérique et le reste du
monde
, voici ce que Zbigniew Brzezinski, conseiller à la Sécurité
nationale de Jimmy Carter disait au sujet de « trois grands
impératifs géostratégiques » de son pays : « Eviter les collusions entre vassaux
et les maintenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité ; cultiver
la docilité des sujets protégés ; empêcher les barbares de former
des alliances offensives. » (Z. BRZEZINSKI cité par N. CHOMSKY, La
doctrine des bonnes intentions
, Paris, Fayard, 2008, p. 61) (Pour
rappel, Z. Brezezinski est l’un des stratèges de l’actuel président américain et
il est très proche « l’empereur américain du pétrole » David Rockefeller.) L’atomisation des « vassaux » conduit à leur
affaiblissement, entretient leur docilité à l’endroit du « maître » dont
dépendent leur sécurité jusqu’au jour où il décide de s’en
débarrasser. L’union des cœurs et des esprits serait dommageable pour la
puissance hégémonique.

L’émiettement de
notre pays en plusieurs organisations de la Société Civile et partis politiques
sert, dans une certaine mesure, la politique des puissances néocoloniales tout
en caressant l’ego (parfois surdimensionné) de certains de leurs
« présidents ». Accuser les néocolons ne suffit pas pour nous dédouaner.
Les dimensions prises pour l’ego de certains d’entre nous posent aussi
problème.

Comment
« convertir » cet ego afin qu’il se mette au service de l’intérêt général, qu’il
meure à la vaine recherche de la gloriole et des intérêts personnels ? Il est plus facile d’accuser les néocolons  que de
s’engager dans une démarche individuelle et collective de conversion au service
de la création solidaire. Pourtant, résister aux conquêtes néolibérales des
néocolons exige une forte organisation structurelle (une
grande union d’idées et d’actions conduisant à la mise sur pied d’un Etat fort)
et une permanente conversion individuelle et collective.

Sauver les
divisions classiques de notre sphère publique est possible dans la création de
grandes coalitions politiques, de grands « mouvements populaires » travaillant
en réseau et incluant les masses de nos laissés-pour-compte. Cela d’autant plus
que politiser toutes nos populations est un devoir citoyen. Il faut arriver à la
création collective d’une masse critique capable de créer « l’évènement » comme
en Egypte et en Tunisie. Elle seule renverse les rapports de force les plus
complexes.

 

J.-P. Mbelu

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