22.05.11 Violences sexuelles "Ubakaji" au Sud Kivu
Le drame des violences sexuelles au SUD KIVU défraie la chronique au niveau national et international – nous navons donc pas la prétention dapporter une information nouvelle. Cependant, en tant que voix de sans voix qui lutte contre les violations des droits de la femme dans cette province, œuvrant et habitant au SUD KIVU même et parmi les victimes de ce crime, il est de notre consternation à propos de ce phénomène. La question quon doit se poser, cest comment, quand et par qui ces crimes sont-ils commis ? Il nous faut, pour ce faire, nous situer dans le temps : avant, pendant et après la guerre.
Les violences faites aux femmes et aux filles se poursuivent au SUD KIVU, autant que pendant la guerre.
Longtemps attribué aux groupes armés, lacte sest gravement étendu à dautres groupes sociaux, armés et non armés. Cest le cas par exemple des militaires des FARDC (, les éléments de la Police nationale Congolaise, les Milices Rwandais FDLR(Forces Démocratiques pour la libération du Rwandais) présents en RDCONGO depuis 1994, les responsables d églises, les creuseurs des minerais et dautres civils.
Actuellement, les auteurs présumés de violences sexuelles choisissent pour cible privilégiée les petites filles de tranches dâge inimaginables. Lanalyse de la situation actuelle démontre que les criminels poursuivent un but précis : détruire lorgane procréateur de la femme du SUD KIVU. Il faut remonter loin dans lhistoire des guerres et de la ruine des peuples pour comprendre la barbarie qui sévit dans notre province. Ce sont les mêmes méthodes qui sont utilisées partout et les mêmes acteurs, avec les mêmes motivations et stratégies, pour nuire à la dignité de la femme et pour lui enlever son pouvoir reproducteur. Des pratiques similaires à celles subies par la femme avant, pendant et après la guerre. Autrement dit, il y a une guerre dans la « paix » au SUD KIVU.
Trois principaux facteurs expliquent, parmi tant dautres, la recrudescence de ce crime :
ü Limpunité : Elle est la principale cause de la continuation des violences sexuelles. La population et les victimes attendent avec impatience la mise en application de la loi N° 06/019 du 20 juillet 2006 du code pénal congolais, relative aux violences sexuelles. Sans une application stricte de cette loi, dont le but est de « prévenir et réprimer sévèrement les infractions se rapportant aux violences sexuelles et dassurer une prise en charge systématique des victimes de ces infractions », on ne peut obtenir un quelconque changement. Bien au contraire, si, avant, on attribuait les crimes aux seuls groupes armés (nationaux et étrangers), aujourdhui, ce sont les militaires congolais, les éléments de la police, les pasteurs déglises, les creuseurs dor et autres jeunes qui sont le plus fréquemment cités.
ü Les tradipraticiens : Dans les zones minières du SUD KIVU, il nest plus surprenant de voir un homme adulte pris en flagrant délit en train de commettre un viol sur une enfant mineure, peu importe lâge (2 ans, 4 ans…). La plupart de ces bourreaux obéissent aveuglement aux prescriptions de leurs féticheurs qui leur promettent des forces surnaturelles pour découvrir des puits dor, de Coltan ou dautres minerais. Pour que les fétiches produisent un effet, ces hommes doivent coucher avec une fille qui na jamais connu dhomme.
ü Les fausses croyances sur le VIH/SIDA : Il est répandu dans le milieu quavoir des relations sexuelles avec une fille vierge peut guérir le VIH/SIDA. Comme il est de croyance que les adolescents ne sont généralement plus vierges, les personnes atteintes du VIH/SIDA ont recours à de petites filles….
Pour votre information, en 2010 lHôpital Général de REFERENCE de PANZI au SUD KIVU/RDCONGO a soigné 14600(quatorze mille six cent) femmes violées.
Les Conséquences des Violences Sexuelles sur les Femmes et les Communautés du Sud-Kivu
Il ressort clairement que les violences sexuelles ont sévèrement affecté non seulement les victimes elles-mêmes, mais aussi leurs familles et les communautés auxquelles elles appartiennent. Les victimes ont été atteintes dans leur intégrité physique et morale, ainsi que dans leur dignité. Par leur ampleur, leur nature et leurs conséquences dévastatrices sur les femmes et les communautés, les violences sexuelles constituent un grave problème de santé publique pour le Congo. Elles ont de même contribué à lérosion des fondements économiques et sociaux des communautés rurales, et à lappauvrissement des couches sociales les plus défavorisées du Sud-Kivu.
Sur leur santé physique et reproductive
La majorité des victimes des violences sexuelles, soit 91,5% de léchantillon, souffre dune ou plusieurs affections consécutives au viol dont le(la) : Leucorrhées, Dyspareunie, Asthénie, Aménorrhée sans grossesse, Ecoulement vaginal (sang) , Ecoulement vaginal (urines ou selles) , Dysurie , Douleur au bas ventre, Lombalgie , Descente de lutérus (prolapsus utérin) , Avortement après viol , Céphalées , Insomnies et cauchemar, Irrégularité des règles, Diverses blessures par coups de machette ou bâtons, Inflammation vulve , Déchirure du vagin, Peur et honte , La phobie des soldats , Dysménorrhée, Grossesse après viol, Dégoût sexuel.
La plupart des affections ci hautes mentionnées, ont des incidences néfastes sur la santé de la reproduction, dautant plus que la majorité des femmes enquêtées sont en âge de procréer. Les leucorrhées abondantes par exemple, font directement penser à une infection sexuellement transmissible. La dysurie, les douleurs au bas ventre, lirrégularité des règles, peuvent également être les symptômes dinfections vaginales.
Ces affections peuvent provoquer une stérilité primaire chez les nullipares, ou secondaire chez celles qui ont déjà eu au moins un ou plusieurs enfants. En effet, si elles ne sont pas traitées à temps et convenablement, ces infections peuvent remonter la filière pelvienne pour infecter et obturer les trompes, rendant ainsi la fécondation quasi impossible et compromettant de ce fait, lavenir obstétrical de ces femmes. Il en est de même pour le prolapsus utérin (descente de lutérus visible dans le vagin) et la déchirure du vagin. Une intervention chirurgicale réparatrice simpose, surtout chez les femmes en âge de procréer.
Les écoulements vaginaux durines ou de selles, sont le signe de fistules vésico-vaginales et recto-vaginales, qui requièrent elles aussi une intervention chirurgicale. Les femmes souffrant de ce mal, doivent porter en permanence des serviettes hygiéniques, ou, dans la plupart des cas, étant donné la précarité ambiante, un morceau de pagne, quelles sont obligées de laver fréquemment. Les femmes atteintes de fistules vaginales vivent souvent isolées du reste de la communauté, en raison des odeurs nauséabondes quelles exhalent.
Une victime déclare à NINDJA/KABARE à ce sujet :
« Depuis que jai été violée, jai de leau qui coule en permanence entre mes jambes. Je suis obligée de porter un morceau de pagne que je dois laver cinq à sept fois par jour et je dois avoir de leau et du savon disponibles. Parfois quand je suis au milieu des convives, je les vois se lever une à une ou carrément changer dhumeur, couper court à la conversation pour sen aller presque en courant. Alors je comprends que je commence à dégager…et je rentre me laver et ensuite menfermer dans ma case, distiller mon affront. »
La plupart des femmes et jeunes filles victimes, ne mesurent pas toujours lampleur ou la gravité des problèmes et complications quimpliquent pour leur santé les leucorrhées et les écoulements vaginaux, et les dissimulent à leur famille et à leur époux. Cette situation ne peut quexacerber leur détresse, dautant plus quelles ont besoin dassistance médicale et du soutien moral de leurs proches.
Concernant linfection au VIH/SIDA, il a été impossible dans le cadre de cette enquête de déterminer le nombre de femmes infectées parmi les enquêtées. Cependant, il ressort que près de 60% des combattants engagés dans la guerre en RDC sont séropositifs 54, ce qui permet de dire que le risque de contamination est élevé. En outre, lon sait que le risque de transmission du VIH/SIDA lors de relations sexuelles forcées et violentes, est beaucoup plus élevé que lors de relations sexuelles consentantes. Les blessures génitales, y compris les déchirures et les écorchures des parois vaginales ou dautres organes, augmentent la probabilité de transmission si lagresseur est séropositif. De plus, les sécrétions vaginales de protection, normalement présentes dans des relations sexuelles consentantes, sont absentes en cas de viol. Les filles qui nont pas encore atteint la puberté courent un risque élevé de contamination par le VIH, dans la mesure où elles sont plus sujettes que les jeunes filles plus âgées et les femmes adultes, à souffrir de blessures vaginales lors du viol.
Le viol comme volonté dextermination du peuple congolais
57,3% des femmes interrogées, sont fermement convaincues que la violence et la cruauté extrêmes dont des éléments des forces combattantes étrangères et congolaises(loyalistes)dorigine Rwandaises ont fait preuve à leur encontre, attestent bien lexistence dun plan de destruction et dextermination du peuple congolais, ou des communautés auxquelles elles appartiennent.
Pour de nombreuses femmes qui soutiennent cette opinion, la thèse de la satisfaction des besoins sexuels ne résiste pas à lanalyse. Comme la dit une femme interviewée :
« Ils viennent tuer et détruire, car si cétait seulement pour satisfaire les besoins sexuels, ils ne se mettraient pas à violer des femmes de 86 ans ou des enfants de moins de 11 ans. Cest pour dire quils cherchent à nuire et à détruire. »
En outre, 19% des victimes pensent que le Congo est convoité et jalousé par ses voisins, pour ses immenses richesses.
Selon lanalyse dun groupe de femmes interrogées à Shabunda en mars 2011 :
« Ils usent de la torture pour nous maîtriser et nous détruire, parce quils sont jaloux de nous. Nous avons un grand pays avec beaucoup de richesses.»
Il existerait, selon les victimes, une politique délibérée de propagation du VHI/SIDA à autant de femmes Sudkivutiennes que possible, afin que celles-ci infectent à leur tour les hommes de leur communauté. Les viols viseraient également, selon elles, la destruction de lidentité des femmes, par la « purification ethnique ». Engrosser délibérément les femmes afin de produire des bébés non congolais, sinscrirait directement dans ce projet.
Le viol comme arme de répression politique contre les militantes des droits humains
Les femmes activistes qui, au sein de leurs communautés, se mobilisent pour dénoncer publiquement les viols, violences sexuelles, enlèvements et séquestrations commis sur les femmes et les jeunes filles, sont souvent, à leur tour, enlevées et violées. Lune dentre elles, interpellée par des agents de renseignement (ANR ) en juin 2010 et incarcérée pendant neuf jours dans les locaux des services de sécurité, y a été violée chaque nuit à tour de rôle, par les agents en service.
Des difficultés rencontrées par la société civile du SUD KIVU
Les ONG et associations, les journalistes et Artistes Comédiens( Auteur Dramatique) œuvrant dans le Sud-Kivu se heurtent à des difficultés dordre structurel, social et financier.
En effet, déjà enclavées avant les conflits en raison de lincurie administrative, certaines contrées de la région du Sud-Kivu sont très difficilement accessibles, tel quà Shabunda et dans les zones reculées du Territoire de Fizi et Mwenga. La voie aérienne, très onéreuse et hors de portée, demeure le meilleur moyen de transport. Dans ce contexte, pourvoir aux besoins des victimes dans les zones rurales reculées savère souvent impossible.
Par ailleurs, linsécurité persistante dans la région, due aux guerres récurrentes et opérations des milices rend périlleuses toutes les activités hors du périmètre urbain, confinant les ONG et associations à ne soccuper souvent que des victimes qui ont réussi à se rendre dans les centres urbains.
La chape de plomb de la stigmatisation et la censure sociale pèsent de leur poids sur les femmes victimes, qui préfèrent garder silence sur leur sort dramatique, de peur dêtre répudiées par leurs maris ou par respect des prescriptions des coutumes locales, ce qui les prive de lassistance dont elles ont grandement besoin.
La prise en charge des victimes des viols et violences sexuelles est une entreprise très onéreuse. Même si la société civile peut compter sur la participation bénévole de ses membres, elle manque cruellement de financement adéquat, qui lui aurait permis daider davantage de femmes violées et de pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs familles et communautés.
RECOMMANDATIONS
Les atrocités commises sur les femmes et filles du Sud-Kivu, dénotent incontestablement dune barbarie inouïe et constituent une insulte, mais surtout un défi à la civilisation humaine en ce début de troisième millénaire. Tout doit être mis en œuvre afin que, plus jamais, elles ne se reproduisent. Etant donné que lampleur des viols et violences sexuelles sur les femmes au Sud- Kivu résulte directement de la situation militaire et sécuritaire dans la région des Grands Lacs, avec pour corollaire latomisation et la multiplication de groupes armées étrangers ou nationaux opérant sur le terrain, et au regard des violations massives des droits humains, des crimes de guerre et des crimes contre lhumanité, nous recommandons :
A. Au Conseil de Sécurité des Nations Unies :
• Dexiger des gouvernements des pays agresseurs du Congo, réparation pour les divers crimes commis, dont les viols et violences sexuelles subis par les femmes, en indemnisant les victimes, à travers le gouvernement de la RDC;
• Denvisager la création de mécanismes appropriés, plus particulièrement dun mécanisme international à linstar du Tribunal Pénal pour le Rwanda (TPR) pour le Congo, afin déradiquer la culture de limpunité au Congo et dans la région des Grands Lacs;
• De diligenter une enquête internationale indépendante, en vue détablir les responsabilités individuelles et collectives en ce qui concerne les violences sexuelles faites aux femmes;
• De sassurer que la restructuration et la réintégration des forces combattantes dans la nouvelle armée, seffectuent de manière rigoureuse et transparente, afin de promouvoir une véritable armée nationale républicaine en RDC;
• De rendre effective lopération de désarmement, et démobilisation et rapatriement (DDR) en prenant des mesures conséquentes et efficaces pour le retour des milices étrangères dans leur pays dorigine, conformément au chapitre 7 de la Charte des Nations Unies.
B. A la communauté internationale :
• De sassurer que lappui financier accordé au gouvernement de la RDC par la Banque Mondiale, lUnion Européenne et les autres institutions internationales, prend en compte les besoins des femmes congolaises (précisément le SUD KIVU), en particulier les femmes rurales, qui constituent le groupe social le plus défavorisé et le plus affecté par les
violences sexuelles perpétrées pendant la guerre,
• De fournir des appuis adéquats aux organisations locales de gestion et de promotion des droits des femmes, de manière à implanter des projets durables car la construction dun Etat de droit passe aussi par la promotion des droits des femmes;
• De promouvoir lEtat de Droit en soutenant la bonne gouvernance au Congo et dans les pays voisins;
• Dexiger des gouvernements rwandais et burundais une indemnisation des victimes pour les atrocités commises par leurs milices et armées nationales.
C. Au Gouvernement de la RDC :
• De tout mettre en œuvre afin dindemniser les femmes victimes des violences sexuelles commises par les forces combattantes congolaises, compte tenu de la présence de certains responsables des crimes, des viols et violences sexuelles dans les institutions de transition;
• De renforcer la législation nationale en matière de viol et harcèlement sexuel par une redéfinition du concept de viol et la prise en compte de toute la typologie des viols et abus sexuels et de leurs causes et conséquences et de la dimension genre;
• Dintégrer dans la législation congolaise, les dispositions du droit international en matière de
violences sexuelles;
• Daccorder la priorité, dans les programmes de reconstruction nationale, aux besoins des femmes rurales, en particulier celles qui ont été le plus affectées par les violences sexuelles commises pendant la guerre;
• Ainsi quau Parlement de prendre des mesures administratives urgentes et efficaces, afin de garantir une prise en charge totale aux filles et femmes victimes;
• Dassurer dans les meilleurs délais la restructuration de larmée nationale, afin de garantir linviolabilité de lensemble du territoire national;
• De compenser les victimes des violences commises par les forces congolaises Maï Maï.
- Aux ongs de défense des droits de lhomme:
De collaborer étroitement avec les organisations nationales et internationales, qui luttent contre la
violations des droits de la femme et des filles au SUD KIVU.
CONCLUSION
Le climat dimpunité généralisé a favorisé la recrudescence des viols, qui ne sont plus uniquement le fait des seules forces combattantes, mais sont également commis par la police dans les commissariats, par des gardiens de prison ou des individus à des postes de décision et de pouvoir. Des civils sont aussi impliqués dans les viols, comme indiqué plus haut. Dans ce contexte, 84% des victimes ont déclaré être sûres et certaines de continuer à vivre le calvaire et labsolue terreur, tant quil ne sera pas mis fin à limpunité.
Bukavu, le 15 mai 2011.
KURHENGAMUZIMU BALAGIZI Laurent
Journaliste, Artiste Comédien et Défenseur des Droits Humains.
E-mail : renafsudkivu@yahoo.fr, adeprop@yahoo.fr et balagizilaurent@gmail.com
Téléphones : +243993345914 et +243859489356
Troupe Théâtrale ZIWA KIVU
B.P. 185 CYANGUGU-RWANDA
Missionnaires Xavériens de Bukavu-RDCONGO(SUD KIVU)
PAROISSE DE MUHUNGU/Mater-Dei
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