05.07.11 Le Potentiel – Abdou Diouf : « lavenir de la Francophonie se joue en RDC »
Selon plusieurs experts, la baisse du niveau de lenseignement en RDC est liée à la non maîtrise de la langue française. Si la Francophonie en a conscience, comment compte-t-elle éviter la mort programmée de la langue française en RDC ?
Je ne parlerai certainement pas de mort programmée du français en RDC mais il est certain que nous sommes conscients des problèmes que connaissent certains de nos systèmes éducatifs nationaux. Tous les observateurs de lEducation en Afrique sont unanimes pour reconnaître que ces dernières années, même si le taux de scolarisation saméliore, la qualité de lenseignement est en baisse constante. Plusieurs causes sont à lorigine de cette situation : malaise du corps professoral, sérieux manques de moyens des États, forte croissance démographique, etc. La Francophonie, consciente de cette situation, a toujours accompagné ses Etats membres dans la recherche de lamélioration de la qualité de lenseignement soit par lappui à la réforme des curricula, soit par le renforcement des capacités des enseignements, soit par la mise en œuvre doutils pédagogiques innovants tels que lIFADEM ou encore la didactique convergente assortie de bi-grammaire. Dans le domaine de la production doutils pédagogiques, lOIF a contribué en collaboration avec les experts de la RDC, à la conception et à la production dun guide pour le formateur en didactique convergente français/lingala. Je tiens également à souligner les efforts importants déployés en RDC par lAgence universitaire de la Francophonie (AUF) pour promouvoir lenseignement supérieur et la recherche en français. Ainsi, votre pays compte 26 universités ou départements universitaires membres de lAUF et deux campus numériques. Les projets de lAUF en RDC tendent, tout comme ceux de lOIF, à mieux arrimer la langue française au contexte scolaire et linguistique national. Enfin, je noublie pas le rôle essentiel que joue TV5 Monde dans lapprentissage du français dans le monde.
La RDC dispose de multiples atouts et continue à jouer un rôle majeur au sein de lespace francophone. En dépit de tout, elle ne bénéficie pas de projets à impact visible comme cest le cas dans les pays de lAfrique de lOuest. Comment expliquez-vous cet état des choses ?
Vous ne pouvez pas dire cela. Lun des programmes les plus emblématiques de la Francophonie et qui touche le plus directement les populations est justement lun de ceux qui sont mis en place actuellement par les Autorités congolaises, en partenariat avec lOIF. Un premier réseau de 9 centres de lecture et danimation culturelle (CLAC) est en train de se déployer et apportera les ressources culturelles, éducatives et récréatives auxquelles chacun aspire. Par ailleurs, lOIF participe activement au programme « Bibliomalle » coordonné par la Délégation générale de la Francophonie et le Centre Wallonie-Bruxelles à Kinshasa. Je tiens également à mentionner lInitiative francophone de Formation à distance des Maîtres (IFADEM), dont nous lançons une première phase pilote, en partenariat avec le ministère de lEnseignement primaire, secondaire et professionnel en RDC et lAUF. Ce projet a pour but, grâce à un dispositif de formation ouverte et à distance, de renforcer les compétences des instituteurs dans lenseignement du et en français. En outre, louverture de la Maison des savoirs de Kinshasa indique clairement limportance que notre organisation reconnaît à la Francophonie congolaise. Mise en place conjointement par lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF) et lAssociation internationale des maires francophones (AIMF) auxquelles sassocient lAgence universitaire de la Francophonie (AUF) et TV5 MONDE, cette maison sera la quatrième du genre dans le monde. Tout ce dispositif est entièrement justifié par le fait que la République démocratique du Congo est le plus grand pays francophone du continent. Daprès les estimations de notre Observatoire de la langue française, on peut considérer que près de la moitié de la population (46%) est capable de lire et décrire le français et que, rapporté aux personnes âgées de 10 ans et plus, ce score passe à 68%. Et encore, cette vision purement quantitative ne rend pas compte la pratique orale du français qui concerne une grande majorité de Congolais. Si nous savons aujourdhui que lavenir de la Francophonie se trouve en Afrique, qui recèlera 85% des 750 millions de francophones en 2050, nous pouvons dire que nous le devrons pour une grande part à la Francophonie congolaise.
Les élections présidentielle et législatives seront organisées en RDC à cette fin dannée 2011. Par expérience, lAfrique se distingue par des conflits postélectoraux. La Francophonie, qui tient son sommet en 2012, a-t-elle prévu une alternative au cas cela les troubles éclateraient ?
Tout doit être fait pour que les élections de novembre se déroulent dans les meilleures conditions et soient un facteur de paix, de stabilité et de renforcement de la démocratie en RDC et dans toute la région. Je suis conscient que leur préparation est une très lourde tâche. Nous avons déjà commencé à apporter un appui à ce processus et nous le poursuivrons jusquà son terme. La RDC et toute lAfrique centrale attendent ce Sommet depuis des décennies. Les autorités congolaises sont engagées avec enthousiasme et détermination dans la préparation de cet événement et lOIF est également pleinement mobilisée.
La francophonie va-t-elle sadapter au présent monde en pleine mutation ? Je fais allusion, notamment, aux pays émergents qui prennent de plus en plus de lespace.
La Francophonie cherche les meilleures réponses quelle puisse apporter aux défis nouveaux qui ne cessent de se poser à ses membres, en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables, avec la création dun marché global, la financiarisation de léconomie, la démographie et les mouvements de populations ou le changement climatique et les problèmes liés à lénergie. Il est clair que des équilibres longtemps considérés comme immuables se modifient et que des pays non seulement ont réussi leur développement, mais sont en voie daccéder aux premières places de léconomie mondiale. Il est tout aussi clair que la plupart dentre eux ne sont pas membres de la Francophonie. Il est enfin clair quil existe des pays francophones qui ont le potentiel pour rejoindre ce groupe des pays émergents. Jai donc deux ambitions : dabord, que les pays émergents actuels reconnaissent la place et le rôle de la Francophonie dans le monde ; ensuite, que les pays francophones disposant dun potentiel puissent le concrétiser et rejoindre les autres émergents. Pour la première ambition, je note simplement que le nombre de Chinois qui parlent et utilisent le français est aujourdhui plus élevé que la population de certains pays historiquement francophones et que cette dynamique ne semble pas se ralentir. Pour la seconde, à travers toutes nos actions au bénéfice de nos Etats et gouvernements membres, nous travaillons au renforcement des capacités, à lacquisition de compétences diverses, en négociations commerciales, en normalisation, en matière dénergie et denvironnement : ainsi nos pays pourront accéder à la place quils méritent au regard de leurs ressources naturelles et humaines, au regard de leur évolution vers une démocratie apaisée, vers lEtat de droit et la sécurité juridique pour les entreprises, petites ou grandes.
La crise financière internationale dominait le Sommet de Québec en 2008. A loccasion, un soutien a été prévu en faveur des pays francophones frappés. Où en est-on aujourdhui ?
Jai eu loccasion de rappeler, tout au long de lannée, que la sortie de la crise économique de 2008 reste fragile et que la reprise de la croissance tarde à saccompagner dune réduction des inégalités et de nécessaires créations demplois, sans lesquelles la jeunesse, les femmes continueront de se sentir marginalisés. Jai également exprimé le vœu que la Francophonie contribue plus encore que par le passé au bon fonctionnement dun système économique multilatéral en pleine mutation et soumis à de fortes tensions. Dans cet esprit, le secrétaire général du Commonwealth et moi-même poursuivons notre action conjointe auprès du G20 et de différents groupes de travail que celui-ci a mis en place. Après avoir été invité en juin 2010 par le Premier ministre canadien, à la veille du G8/G20 de Toronto, nos deux organisations ont été conviées par la Corée du Sud – qui nest membre ni de lune ni de lautre – à poursuivre notre travail de sensibilisation lors du G20 de Séoul en novembre 2010.Jespère quaprès la France, qui a dores et déjà prévu de nous recevoir avant le Sommet du G20 à Cannes, en novembre 2011, le Mexique, qui présidera à son tour le G20 en 2012, nous associera aux réflexions de ce Groupe. Je note que nos démarches ont également conduit à notre association aux réunions du groupe spécial des Nations unies sur les financements innovants, qui vient de se réunir à Bamako, et du Groupe de Travail sur le développement du G20, qui sest réuni fin juin au Cap. La recherche de financements innovants, tant publics que privés, figure désormais explicitement dans tous les textes adoptés tant par le G8 que par le G20. Et nous poursuivons la concertation francophone au niveau des Assemblées des Institutions financières internationales, à Washington, en vue de ladoption aussi rapide que possible de mécanismes de financement innovant.
Que répondez-vous à ceux qui accusent la Francophonie, dune part de néo-colonisation, et dautre part de faire la promotion de la langue française au détriment des langues nationales ou autochtones ?
Ce débat est largement dépassé. Je le dis souvent : la langue française nappartient plus seulement aux Français mais elle est devenue notre langue. Dailleurs, les populations ne sy trompent pas qui manifestent leur attachement au français et lui reconnaissent une place essentielle. Ainsi, grâce à une enquête conduite en 2009 auprès dun échantillon représentatif de la population kinoise, nous savons quentre 90% et 99% des gens considèrent que la connaissance de la langue française est indispensable pour obtenir un travail, sinformer dans les médias, réaliser des démarches administratives et faire des études supérieures. Il y a une complémentarité dans le sens où le français et nos langues nationales ou autochtones contribuent à la formation de lêtre et à son ouverture sur le monde. Au niveau de lenseignement primaire, toutes les études sont daccord sur un point : il est indispensable, dans un premier temps, dinstaller confortablement lenfant dans sa langue maternelle pour louvrir, ensuite, à la langue française. Et cest ce que la Francophonie préconise à ses Etats membres. La RDC est très intéressée par cette approche. Elle a officiellement demandé à intégrer linitiative « Ecole et langues nationales en Afrique », ELAN. De même, lOIF semploie à promouvoir les langues partenaires de notre espace : que cela soit dans les domaines culturel, économique, environnemental, politique ou linguistique, nos programmes se placent sous le signe de la solidarité et du développement dans le respect, et même la promotion, des cultures et des langues nationales. Jen veux pour preuve les soutiens que nous accordons aux œuvres audiovisuelles ou littéraires réalisées directement dans les langues nationales.
Comment la Francophonie va-t-elle sy prendre dans les crises en Afrique quand on sait linfluence ou limplication dun pays comme la France dans ses anciennes colonies ?
La Francophonie, et lOIF en particulier, ont multiplié avec succès les actions de médiation, daccompagnement des processus électoraux, dappui aux transitions et aux processus de sortie de crise dans tous les pays en difficulté au sein de lespace francophone. Cest vrai, la période est difficile parce que jamais nous navons été confrontés à autant de crises et de transitions simultanées dans nos pays. Mais nous avons toujours répondu présent et nous avons fait la démonstration de lutilité et de la spécificité et la plus-value de nos interventions. Dailleurs, lannée dernière, au Sommet de Montreux, les chefs dEtat et de gouvernement de la Francophonie ont réaffirmé avec force que les principes de Bamako et de Saint Boniface demeuraient au cœur des valeurs de la Francophonie. En ce qui concerne la dernière partie de votre question, je dois dire que jen ai assez de cet amalgame fallacieux entre la Francophonie et la France. LOIF rassemble 75 Etats membres pleins, associés et observateurs et montre chaque jour quelle est capable de développer sa vision propre et sa démarche originale. Encadré T/ Le Secrétaire général de la Francophonie à Kinshasa pour la 37ème session de lAPF
Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, participera, le 6 juillet 2011, à la cérémonie douverture de la 37ème session de lAssemblée parlementaire de la Francophonie (APF) organisée à linvitation du Président de lAssemblée nationale de la RDC.
Le secrétaire général sadressera ensuite aux quelque 250 parlementaires représentant plus de 50 pays participant à cette 37ème session de lAssemblée parlementaire de la Francophonie, avant de répondre à leurs questions. « La RDC est un pays central, essentiel, capital pour notre communauté avec plus de 30 millions de francophones. Le prochain Sommet des chefs dEtat et de gouvernement de la Francophonie qui se tiendra à Kinshasa en 2012, sera pour nous loccasion de dire toute notre gratitude et notre soutien constant à ce grand pays », a déclaré Abdou Diouf avant son départ. Ce déplacement sera loccasion de rencontrer les plus hautes autorités congolaises pour évoquer, notamment, lorganisation du XIVème Sommet des chefs dEtat et de gouvernement francophones qui sera organisé à Kinshasa à lautomne 2012.
Le 7 juillet, le secrétaire général de la Francophonie inaugurera la Maison des Savoirs de Kinshasa, située dans le quartier populaire de Kasa-Vubu, au cœur de la ville. Cette Maison, dune superficie de 600 m² et dotée d'une bibliothèque, d'une ludothèque, dun espace numérique et de salles de formation, est la quatrième Maison des Savoirs avec celles dHué au Vietnam, de Chisinau en Moldavie et de Ouagadougou au Burkina Faso. Mis en place conjointement par lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF) et lAssociation internationale des maires francophones (AIMF) auxquelles sassocient lAgence universitaire de la Francophonie (AUF) et TV5MONDE, ces espaces publics numériques offrent, à la population de la capitale, un accès facile et peu coûteux aux savoirs, à la langue française et à la culture numérique.
La création des Maisons des Savoirs de la Francophonie a été décidée en 2006 au Sommet des chefs dEtat de Bucarest (Roumanie), afin de favoriser le développement de lutilisation de nouvelles technologies par le plus grand nombre et la promotion de la langue française.
Le même jour, le Secrétaire général de la Francophonie présidera la cérémonie de signature de la Convention sur lInitiative francophone pour la formation à distance des maîtres du primaire (IFADEM). Ce dispositif, mis en place en partenariat avec le ministère de lEnseignement primaire, secondaire et professionnel, lOIF et lAUF a pour but de renforcer les compétences des instituteurs dans lenseignement du et en français. LP