LE CONGO… MALADE DE SES UNIVERSITAIRES ? (A. Mobe)

Cinglant, vif, le démenti des
professeurs remet les pendules à l’heure : l’Etat se porte caution de
l’exécution d’un contrat de vente à crédit que l’Association de professeurs de
l’université de Kinshasa a signé avec un concessionnaire automobile.

Cet échange est révélateur de la
nature des relations – complexes, contradictoires et souvent compromettantes –
qu’entretiennent certains milieux universitaires congolais et étrangers avec
les pouvoirs politiques depuis que le colonel Mobutu caporalisa les
universitaires dans son funeste « Collège des commissaires généraux en
septembre 1960 ». Certains milieux politiques et diplomatiques se sont
convaincus –à tort ou à raison- qu’il suffit de peu de choses – prébendes,
gloriole – pour domestiquer les universitaires congolais. Force est de
constater que depuis lors, les universitaires congolais n’intègrent les rivages
du leadership politique que sous la férule d’un homme fort : avant-hier…
le « Guide suprême » Mobutu ; hier… le « Mzee »
Kabila ; aujourd’hui… le « Raïs » Joseph Kabila.

Oui, le Congo souffre d’une
conception (néo) coloniale de l’université réduite à une fabrique d’élites
chargées de pérenniser le système (néo) colonial. En 1954-1956,les rivalités entre l’université catholique de
Louvain et les Pères Jésuites ainsi qu’entre les anti- cléricaux et les catholiques
ne doivent pas occulter les véritables desseins coloniaux lors de
l’introduction de l’enseignement universitaire au Congo : chacune de
grandes universités belges était un lieu de production des sciences coloniales
servant de corpus doctrinal au projet colonial.

Il y a 50 ans naissaient l’Union
générale des étudiants congolais (mai 1961) et l’Association générale des
étudiants de Lovanium(juillet 1961). Il y a 40 ans, le Président Mobutu
embrigadait les étudiants dans l’armée et rabaissait l’université au rang d’un
simple organe du Parti unique devant justifier et consolider le régime établi.

Oui, le Congo n’arrive pas à combler
le déficit d’intelligence du politique ni la carence d’intelligence politique
de certains universitaires dévoyés dans les sphères du pouvoir servant de
caution technocratique à des régimes inféodés aux intérêts étrangers.

Oui, le Congo paye les inconséquences
de la pusillanimité de certaines intelligences universitaires en politique.
Affligeant contraste avec la vigueur de pensée et l'acuité d'analyse des
intellectualités de Paul Panda Farnana ,de Conscience Africaine et de l'Abako-
germées pourtant au coeur de contradictions coloniales- qui ont fertilisé le
terreau qui a nourri l'invention de notre modernité politique.

Stupéfait, le peuple congolais
s’interroge sur cet asservissement des intelligences alors que le mouvement
étudiant s’est voulu un creuset de formation d’une intelligentsia dont les
compétences scientifiques fourniraient aux Congolais des instruments culturels
pertinents afin qu’ils élaborent des stratégies de développement pour s’assurer
un mieux-être social collectif épanouissant. Pendant des décennies, les
engagements intellectuels des étudiants ont ainsi suscité un immense espoir
dans la société congolaise qui s’est persuadée qu’elle pouvait compter sur des
élites universitaires dont la conscience politique a été aiguisée par un
militantisme clairvoyant.

En faisant de l’engagement
intellectuel, une dimension essentielle de la formation universitaire et en
inscrivant l’analyse critique de l’université au cœur de son action, le
mouvement étudiant (Ugec et Agel) a donné un contenu dynamique à la culture
pour en faire un exercice de la pensée critique afin de dégager
l’université-ses enseignements, ses (non)orientations académiques – de
certitudes engluées dans l’impensé colonial de la majorité du corps professoral
et académique.

 Dès
1968, utilisant les ressources militaires que lui octroyaient les coopérations
belge, américaine, française et israélienne ainsi que les ressources
culturelles des universitaires cooptés au gouvernement et dans les instances du
Parti unique, Mobutu brisa avec férocité les intellectualités que charriait le
mouvement étudiant.

Certes, la tragédie congolaise
résulte, notamment, des convoitises étrangères les plus sordides faites des
tutelles diplomatique et militaire, de pillages des ressources économiques
relayées, localement, par des politiques diplômés universitaires qui ont,
intellectuellement, opté pour le mandarinat.

 Dans
un contexte culturel appauvri par l'attrait qu'exerce le modèle universitaire
américain où, selon le professeur Jacoby Russel,il n’y a plus d’intellectuels,
c'est-à-dire d’hommes connus du public qui s’adressent à l’ensemble de
l’opinion ou une audience cultivée, ,il nous faut redéfinir le rôle des intellectuels
et revaloriser la place de l'université au milieu de la supercherie
intellectuelle et de l’escroquerie politique de nombreux universitaires. Si
dans son exposé du 11 octobre 2006 à Bruxelles; le professeur Lututala Mumpasi
se réfère aux propositions de la Banque mondiale dont les politiques des
ajustements structurels réduisent l'université en un outil au service de
l'économie mondialisée libérale; en revanche nous pouvons nous enrichir de
l’inventivité sociale des masses et de la créativité culturelle foisonnante de
diplômés universitaires et autres, désireux de façonner une théorie
générale
critique des intellectualités congolaises
répondant aux exigences du présent pour mieux se projeter vers l’avenir.

Il convient alors d’éviter certains
écueils :

· la confusion entretenue entre diplômé
universitaire-
ou
autre- et intellectuel dont la vocation s'accomplit par la fonction
critique qu'il exerce grâce au verbe et à l'écrit. Producteur des outils
conceptuels, indispensables pour façonner l'espace public où la société débat
des problèmes de la cité, l'intellectuel peut ainsi, par sa droiture, ainsi que
la qualité et la pertinence des instruments culturels qu'il produit, permettre
à la société d'accomplir des avancées significatives. En revanche, les compromissions,
la trahison des clercs et la médiocrité de leurs publications ont souvent
désorienté une société pour la plonger dans les affres de la régression.

la tentation du prophétisme
intellectuel
qui
érigerait l’intellectuel en « mage » investi d’un rôle messianique,

le «  lapsus » qui empêche de nombreux
universitaires de se remettre en question et de soumettre à la critique des
masses leur démarche et leurs productions scientifiques.

Un pays qui veut se reconstruire sur
des fondements – culturels, économiques, politiques et éthiques – assainis, ne
peut se passer du concours intellectuel et scientifique d’une élite pétrie
d’éthique intellectuelle clairvoyante. Les années d’étude constituent une étape
cruciale dans l’éclosion des élites intellectuelles, surtout si les étudiants
sont conscients des enjeux du rôle des cadres universitaires dans le
développement d’un pays.

 Anicet MOBE

 Chercheur
en Sciences Sociales

Membre du Collectif des intellectuels congolais
« DEFIS »

Co-auteur de –
« Congo Meuse, vol. 5, 2002, pp.637-683 : Intellectuels congolais… à
la dérive ? »« Congo Meuse,vol.6. ,2008,
pp.115-144 :Les Intellectualités estudiantines congolaises
revisitées »-

 

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