18.07.11 CongoIndependant – Questions directes à Etienne Tshisekedi wa Mulumba
Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Photo CIC
Né à Luluabourg (Kananga) le 14 décembre 1932, docteur en droit (université de Lovanium), Etienne Tshisekedi wa Mulumba a été plusieurs fois ministre et Premier ministre respectivement sous la IIème République et durant la Transition 1990-1997. Président de lUDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), «Tshi-Tshi», comme lappellent affectueusement ses compatriotes, est candidat à lélection présidentielle prévue en novembre de cette année. «Jirai jusquau bout, avait-il déclaré lors de lannonce de sa candidature. Et je gagnerai. Je nai aucun doute là-dessus». Jeudi 14 juillet, le leader de lUDPS a bien voulu accorder à Congo Indépendant un entretien qui sest déroulé dans un hôtel bruxellois. Son état de santé, la motivation de sa candidature, son bras de fer avec le président Mobutu, lopposition à Laurent-Désiré et à Joseph Kabila, le thème de campagne du candidat Tshisekedi, les relations avec Vital Kamerhe sont parmi les sujets évoqués.
"La victoire de M. Kabila à lélection présidentielle est une hypothèse impossible!"
Comment allez-vous ?
Comme vous pouvez le voir, je vais très bien !
Cela fait dix mois depuis lannonce de votre candidature à lélection présidentielle. Vous savez maintenant lampleur de la tâche titanesque qui vous reste à accomplir jusquau 28 novembre prochain. Si cétait à refaire, seriez-vous toujours candidat président de la République?
Absolument ! Lampleur du travail qui reste à faire ne meffraie nullement. Bien au contraire. Les trente années de combat de lUDPS na jamais eu quune seule finalité : lavènement de la démocratie dans notre pays. Cest bien cette démocratie qui doit émerger le 28 novembre prochain. Nous allons arriver au pouvoir par la voie démocratique. En créant lUDPS, notre ambition a toujours été la naissance dun «Congo nouveau». Je suis candidat à la Présidence de la République pour réaliser le projet de société de mon parti. Ce projet peut être résumé comme suit : un Etat de droit, un Etat où règne la justice et la bonne gouvernance ; un Etat qui lutte contre la corruption et les anti-valeurs.
Quelle est la motivation profonde qui a déterminé votre candidature?
Je crois vous lavoir dit. Depuis son accession à lindépendance, le Congo na jamais été un Etat digne de ce nom. Le Congo na jamais été autre chose quune république bananière, une jungle où les plus forts prennent plaisir à brimer les plus faibles. Nous avons mené notre lutte pour obtenir lavènement dun Etat où règne la justice et la sécurité juridique au niveau de lenvironnement des affaires. Et la sécurité tout court pour les personnes et les biens. Linstauration de lEtat de droit paraî être la condition fondamentale avant damorcer tout projet de développement. Ma candidature à lélection présidentielle est une suite logique de la lutte de trente ans que jai menée contre les différentes dictatures qui ont gouverné notre pays.
Quel sera votre thème de campagne ?
«LEtat de droit !» sera justement mon thème de campagne. Je ne doute pas que mes compatriotes partageront le souci qui est le mien. Que voit-on ? La corruption et les détournements de deniers publics sopèrent en toute impunité. Il est urgent de refonder lEtat. Un Etat crédible parce que respecté et respectable.
Vous venez dachever une tournée euro américaine. Que répondez-vous à ceux qui allèguent que le «candidat Tshisekedi» est allé solliciter lonction ou ladoubement de lOccident ?
Ce genre dallégations ne peut venir que de certains milieux du PPRD. Jen profite pour leur rappeler que leur «chef» na jamais été élu par le peuple congolais. Il a été imposé par le monde extérieur. Les propagateurs de ces assertions sont mal placés pour donner des leçons. Lors de mes rencontres, jai exhorté mes interlocuteurs occidentaux à sabstenir de toute ingérence dans nos affaires comme ce fut le cas en 2006. Je leur ai demandé de laisser le peuple congolais choisir librement la personne de son choix pour le diriger. Je crois pouvoir dire que le message a été bien reçu. Et ce excès doptimisme, je pense que nous pouvons avoir nos apaisements de ce côté-là. Personne ne viendra nous imposer «quelquun» choisi à lextérieur.
Maintenez-vous de rentrer à Kinshasa via la ville de Lubumbashi au Katanga ?
Bien sûr. Jai prévu de rentrer au Congo en passant par le Katanga. Je compte visiter non seulement Lubumbashi mais aussi Kipushi, Likasi et Kolwezi.
Avez-vous appris que le maire de Lubumbashi ne verrait pas dun bon œil votre venue dans «sa» cité urbaine ?
Cest son droit de sexprimer. Que voulez-vous que cela me fasse?
Navez-vous pas de craintes pour votre sécurité ?
Nullement. Ma sécurité est toujours assurée. Je nai aucune crainte.
Faisons un petit retour en arrière pour parler de lHistoire. Vous avez commencé votre lutte en vous opposant au régime du président Mobutu avant de combattre Kabila père et «fils». Que reprochiez-vous à son régime?
Le régime de qui ?
Du président Mobutu…
(Rires). Je viens de vous dire que depuis son accession à lindépendance, le Congo est une jungle. Cest un non-Etat. Cette situation a commencé avec Mobutu qui était le président-fondateur dun parti unique. Il faisait la pluie et le beau temps. La population, elle, nétait là que pour danser et chanter pour sa gloire. Cest tout cela quon reprochait à Mobutu…
Et Laurent-Désiré Kabila?
Il a été pire que Mobutu. A fortiori, si jai combattu Mobutu je ne pouvais que le combattre également. Lui et son fils.
Justement, que reprochez-vous à «Joseph Kabila»?
Quelquun qui prive la population de sa liberté nest rien dautre quun dictateur. Le monde actuel naccepte plus le régime "dhommes forts" qui régentent tout. Cest terminé ! Le monde moderne veut que le peuple soit dirigé par les représentants quil sest librement donnés.
Que répondez-vous à ceux qui disent que votre bras de fer avec le président Mobutu a fini par prendre le pays en otage et a permis à Laurent-Désiré Kabila et son AFDL de semparer du pouvoir ?
Pas du tout. Qui dit ça ? Ce bras de fer était une nécessité pour permettre lémergence des valeurs démocratiques au Congo. Rappelez-vous que Mobutu avait lhabitude de jurer que tant quil sera vivant il ny aura pas deux partis politiques au Congo. Ce bras de fer la amené justement à prononcer son discours du 24 avril 1990 ouvrant le pays au multipartisme. Le cas de Laurent Kabila est, en revanche, un autre problème. Après le génocide au Rwanda, les Hutus se sont réfugiés dans les provinces du Kivu. Au lieu de les désarmer et les installer à plus de 150 kilomètres de la frontière commune avec leur pays dorigine, Mobutu na pas accomplit ces deux conditions exigées pourtant par la réglementation internationale.
Certains disent que cest aux Nations Unies – à travers le Haut commissariat aux réfugiés – quincombait la charge de «déplacer» ces réfugiés…
Le HCR nest pas le «chef» du Congo. Cest Mobutu qui devait assurer cet éloignement. Les réfugiés hutus ont profité de cette proximité pour mener des incursions au Rwanda à partir de notre territoire. Qui est le chef dEtat qui peut accepter une telle situation ? Voilà comment Kagame a imaginé dattaquer le territoire congolais pour régler des comptes à Mobutu. Il a, pour ce faire, demandé à lancien président tanzanien Julius Nyerere de lui trouver un citoyen congolais pouvant servir de «couverture». Cest ainsi que Laurent Kabila – qui se livrait au trafic dor dans la région de Fizi – a été contacté et placé à la tête de lAFDL {Ndlr : Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo}. Voilà comment Kabila est entré au Congo ! A lépoque, le processus démocratique se poursuivait normalement. Nous avions, à linstar dautres Etats africains, organisé la Conférence nationale souveraine. Celle-ci avait pris des résolutions dune haute importance, accueillies favorablement par la population. Comme vous le savez, jai élu Premier ministre en août 1992. Le pays se trouvait sur la bonne voie. La guerre de lAFDL est venue tout bouleverser.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent votre voyage à Kigali, au Rwanda, à lissue des travaux du Dialogue inter congolais organisé en décembre 2002 en Afrique du Sud ?
Savez-vous pourquoi je me suis rendu à Kigali ?
Cest justement ce que lopinion congolaise voudrait savoir…
Alors quon se trouvait à Sun-City, Messieurs Kabila et Bemba ont quitté le Dialogue frauduleusement pour rentrer au pays. Ils ont par la suite envoyé leurs délégués à Matadi pour former un gouvernement. Le premier gardant son poste, le second, Premier ministre. Ils ont donc abandonné le dialogue. Jai dû alors me rallier au troisième belligérant en loccurrence le RCD dAzarias Ruberwa. «Cest idiot, ai-je dit à Monsieur Ruberwa. Nous sommes venus ici pour instaurer la paix. Comment pourrait-on réaliser cet objectif en labsence de deux autres belligérants?» Vous le savez autant que moi que le RCD était le belligérant le plus puissant au plan militaire. Il pouvait éliminer les deux autres. LUDPS sest allié au RCD pour faire contrepoids aux deux belligérants. Nous avons décidé deffectuer une tournée de sensibilisation non seulement à Kigali mais aussi à Abuja, au Nigeria et à Harare, au Zimbabwe. Lobjectif se limitait à solliciter des pressions diplomatiques afin de ramener Kabila et Bemba à la table de négociations. Ils sont effectivement revenus. Sans cette démarche, il ny aurait jamais eu de Dialogue intercongolais. Notre but nétait nullement daller nous entretenir avec le président Paul Kagame. Je tiens à rappeler quaprès la reprise de ces négociations politiques, les belligérants se sont accaparés de tous les postes en oubliant lUDPS. Cest ainsi que leur «comédie» dite «1+4» a vu le jour.
Faisons un peu de la «futurologie politique». Le 6 décembre prochain, vous êtes élu Président de la République démocratique du Congo. Quelles sont les trois premières mesures que vous allez annoncer?
La première mesure consiste à moraliser la société congolaise.
En faisant quoi, concrètement ?
Par un «discours moral», je vais exhorter les citoyens à réapprendre à faire la distinction entre le bien et le mal. Depuis laccession de notre pays à lindépendance, notre peuple a perdu le sens des valeurs. Notre peuple a perdu ses repères. Notre peuple a perdu la capacité de faire la distinction entre lintérêt général et lintérêt particulier. Lintérêt public et lintérêt privé. Jentends rappeler à la population que lexercice dune parcelle de responsabilité est une charge. Cest un service à rendre à la communauté. Quand on est chef de lEtat ou ministre, cest avant tout pour servir la collectivité.
Pensez-vous changer la mentalité des Congolais rien que par une «causerie morale» ?
Il faut bien commencer quelque part. LUDPS a lambition dexercer le pouvoir afin de réformer la société congolaise.
Les deux autres mesures…
La deuxième mesure concerne la sécurité nationale. Il sagit de la mise sur pieds dune véritable armée nationale. Il en est de même dune police nationale. Le Congo na jamais eu de véritable armée nationale capable de garantir lintégrité du territoire national tout en assurant la sécurité des personnes et des biens. La troisième mesure concerne le bien-être de la population par laccès aux services sociaux de base. A savoir : leau courante, la santé, lélectricité et léducation. Il va sans dire quil faudra construire des routes, moderniser le réseau de chemins de fer pour rapprocher les Congolais vivant aux quatre coins du pays. Voilà les premières actions que je me propose de mettre en œuvre dès mon entrée en fonction.
Vous avez sans doute appris la résurgence du choléra et de la rougeole dans plusieurs provinces notamment la Province Orientale, lEquateur, le Bandundu, Kinshasa. Navez-vous pas le sentiment que lHomme a été «oublié» par les différents gouvernements ?
Absolument! Rien détonnant dans un pays où lEtat est inexistant. Des individus se sont accaparés du pouvoir dEtat pour se servir. Ces individus nont aucun souci du bien commun. Le constat est là : les hôpitaux du pays sont essentiellement ceux construits à lépoque de la colonisation belge. Voilà pourquoi, nous estimons quil faut réhabiliter lEtat pour que le pays soit non seulement gouverné mais aussi administré pour le bien de tous.
Parlons un peu des élections. Comment lopposition compte-t-elle contrer la tricherie ?
Par tous les moyens. Cest dailleurs le sens du mémo que le secrétaire général de lUDPS a remis le 4 juillet aux responsables de la Commission électorale nationale indépendante. Nous avons relevé plusieurs irrégularités de nature à favoriser la fraude. Ma présence à lextérieur est motivée notamment par la nécessité de demander aux gouvernements occidentaux qui financent lorganisation des élections au Congo de faire pression sur Kabila et dautres afin quils sabstiennent de toute action frauduleuse pour se maintenir au pouvoir. Ils doivent laisser le processus électoral se dérouler librement.
A moins de quatre mois de lorganisation de lélection présidentielle et les législatives, le parti présidentiel, le PPRD, continue à jouir dune sorte de monopole au niveau des médias publics. Pourquoi lopposition semble timorée sur cette question ?
Depuis mon retour au pays le 8 décembre dernier, des actions ont été entreprises. En observant bien, vous remarquerez que les médias commencent à souvrir à tous les courants politiques. La liberté a toujours été le résultat dune conquête après une lutte politique. Rien ne se donne gratuitement. Je peux vous assurer que la pression de lopposition est assez forte pour le moment. Jai la conviction que nous allons arracher laccès de tous les courants politiques dans les médias dEtat.
Avez-vous de contacts avec Vital Kamerhe et son parti lUnion de la nation congolaise ?
Non !
Pourquoi ? Y a-t-il un problème?
Il ny a aucun problème. Je considère simplement que ce nest pas à moi à aller voir Kamerhe. Sil ne veut pas me voir, cest son problème.
Quen est-il de la désignation du «candidat commun» de lopposition à lélection présidentielle ?
La question sera examinée à mon retour à Kinshasa. Je me propose de rentrer au Congo dans une semaine. Lopposition a déjà accepté le principe du «candidat unique». Nous avons remis à plus tard la mise sur pieds dune plateforme commune. Dès mon retour, nous allons entamer la deuxième étape consistant à lorganisation des composantes de cette structure.
Un militant de lUDPS, Serge Lukusa, est décédé lors du sit-in organisé le 4 juillet devant la Ceni. Les autorités policières ont laissé entendre que cette manifestation nétait pas autorisée. Quelle est votre réaction au sujet de la répression policière?
Je ne peux que «féliciter» Monsieur Kabila. Depuis quil est à la tête du pays, il ne fait que tuer. Il tue des fonctionnaires. Il tue des journalistes. Il tue des défenseurs des droits de lHomme. Notre «combattant» est mort simplement parce quil a exprimé son opinion sur la voie publique. Cest ça le régime de Kabila. Un régime qui nest nullement différent des régimes précédents. LUDPS combattra toujours ce genre de système.
Le président fédéral de lUDPS-Lukunga, Claude Kabala Muimba, a été arrêté sans mandat le 8 juillet. Avez-vous été informé ?
Bien sûr ! Je suis régulièrement informé sur tout ce qui touche la vie de notre parti. Le secrétaire général de lUDPS a été instruit dexiger sa libération. Nos militants sont constamment lobjet dintimidation. Cest tout simplement inacceptable. On ne peut plus intimider un parti comme lUDPS. Notre parti vient de loin. Et ce ne sont pas des «gamins» qui vont lempêcher datteindre son but.
Nous sommes le 6 décembre 2011. «Joseph Kabila» est proclamé «vainqueur» de lélection présidentielle. Comment réagirez-vous ?
Cest impossible ! Il ne pourra pas remporter cette élection. Et ce, même en cas de fraude massive.
Quelle serait votre réaction dans cette hypothèse?
Cest une hypothèse impossible !
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
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