Emploi – L'OMS pense à délocaliser

Le gros cube solidement planté sur deux pilotis qui abrite
l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a des airs immuables sous le
soleil de plomb de juillet. Pourtant, l'institution vacille. Pour 2010
et 2011, son budget estimé entre 3,7 à 3,9 milliards de dollars comporte
un trou de 600 millions.

Confrontée à une baisse de 10 à 15% de ses contributions volontaires à
cause de la crise financière, et à la force du franc, devise dans
laquelle elle est contrainte de payer ses salariés suisses,
l'organisation devra subir une cure d'austérité drastique.

Quelque 350 postes, sur les 2370 que compte le siège genevois, vont
être supprimés d'ici à la fin de l'année. «Si le dollar se dégrade
encore, cela pourrait toucher jusqu'à 500 personnes», précise Lahouari
Belgharbi, le chef de l'association du personnel de l'OMS.

A cela, il faut ajouter 167 départs à la retraite prévus dans les
deux prochaines années, «dont certains pourraient ne pas être
remplacés».

Mais ces réductions de postes ne sont pas de simples coupes
linéaires. Elles s'inscrivent dans une stratégie à long terme, visant à
délocaliser une partie des activités accomplies au coûteux siège
genevois. «Bien que le nombre d'employés n'ait crû que de 8% entre 2006
et 2010, les frais de personnel ont augmenté de 40% durant la même
période», détaille l'organisation dans une circulaire publiée sur son
intranet et dont L'Hebdo a obtenu copie.

La force du franc, mais aussi le coût élevé de la vie et des salaires
sont en cause. «Actuellement, même si nos frais restent stables, nous
perdons de l'argent en raison des fluctuations du taux de change,
précise Andrew Cassels, directeur de la stratégie au sein de la
direction générale de l'OMS.

A cette aune, redéployer du personnel à l'étranger permettrait
d'accroître notre efficience financière.» Une partie des licenciements
genevois pourrait se transformer en délocalisations.

Hubs régionaux. Concrètement, l'organisation
souhaite renforcer sa présence dans ses hubs régionaux (Brazzaville,
Delhi, Manille, Le Caire, Washington, Copenhague) aux dépens de Genève.
L'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine seraient en première ligne.
«Cette idée est en phase d'exploration», confirme Andrew Cassels.

Un document de travail daté du 23 mars 2011 concernant la division
general management indique que le ratio actuel de 70:30 entre le siège
et les régions devra sans doute être renforcé, «ce qui impliquera de
nouvelles coupes significatives» à Genève.

Si la réduction des coûts est la raison d'être de ce projet, ce n'est
pas la seule logique à l'œuvre. «Cela permettrait de rapprocher le
personnel qualifié du terrain, là où sont les besoins, de résoudre les
problèmes de mobilité qui se posent dans certaines régions comme
l'Afrique ou, encore, de créer des pôles thématiques, par exemple autour
des vaccins à Bangkok», explique Andrew Cassels.

Il met d'ailleurs en garde contre une logique purement financière:
«Un centre régional comme celui de Brazzaville ne coûte pas forcément
beaucoup moins cher – proportionnellement – que le siège de Genève,
notamment en raison des frais élevés de sécurité.»

Une première expérience de délocalisation a déjà eu lieu: en 2008,
l'ensemble de la gestion administrative de l'OMS a été déplacé dans un
centre offshore à Kuala Lumpur. L'opération a touché 276 employés du
siège qui ont pu être replacés ailleurs ou ont bénéficié d'une retraite
anticipée – et devait permettre d'économiser 51,7 millions de dollars
sur huit ans, selon un rapport de l'ONU publié en 2009, qui précise
«qu'un professionnel de niveau P-3 coûte 75% de moins à Kuala Lumpur
qu'à Genève».

Retombées locales. «Globalement, on va vers une
réduction du personnel au siège», estime Lahouari Belgharbi, qui se
demande «si les autorités genevoises ont vraiment pris la mesure de ce
que cela impliquerait pour l'économie locale».

Ce n'est pas certain. «Cela fait vingt ans qu'on parle de
délocalisations, note, peu ému, Olivier Coutau, délégué à la Genève
internationale.

Le CICR a déplacé sa comptabilité aux Philippines dans les années 90
et le HCR a déménagé ses services administratifs à Budapest en 2008,
mais il n'y a pas eu de fluctuations dans le nombre de personnes
travaillant pour la Genève internationale.» Ils sont 28 173 et suscitent
des retombées de 3 milliards de francs par an, soit 9% du PIB cantonal.

Ces dernières années, les ONG œuvrant dans la santé publique comme le
Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme
ou l'Alliance globale pour les vaccins et l'immunisation, se sont
fortement développées, tout comme le CERN depuis le lancement du LHC,
constate Olivier Coutau. «Des organisations arrivent et d'autres
partent; il s'agit d'un milieu mouvant.»

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