1961. La mort de Dag Hammarskjöld
Des témoignages oculaires selon lesquels un deuxième appareil avait tiré sur
lavion soulèvent des interrogations sur létouffement du crash de 1961 par les
Britanniques
et de ses causes
De nouvelles preuves sont apparues au sujet dun des mystères les plus
persistants de lhistoire de lONU et de lAfrique. Elles suggèrent que lavion
qui transportait le secrétaire général de lONU Dag Hammarskjöld a été abattu
au-dessus de la Rhodésie
du nord (lactuelle Zambie) il y a cinquante ans, et que cet assassinat avait
été étouffé par les autorités coloniales britanniques[2].
Une commission denquête conduite par les Britanniques avait impute le crash
à une erreur du pilote et une enquête ultérieure de lONU avait largement
entériné ses conclusions. Elles avaient ignoré ou minimisé des témoignages de
villageois qui vivaient aux abords du lieu du crash et donnaient à penser à un
acte criminel. Le Guardian a parlé à des témoins encore vivants qui navaient
jamais été interrogés lors des enquêtes officielles et avaient eu trop peur
pour se faire connaître.
Selon les habitants de la périphérie oust de la ville de Ndola, le DC6 dHammarskjöld
avait été abattu par un deuxième avion plus petit. Ils disent que le site du
crash avait été bouclé par les services de sécurité de Rhodésie du nord le
lendemain matin, quelques heures avant lannonce officielle de la découverte de
lépave, et quon leur avait ordonné de quitter le secteur.
Les témoins clefs ont été localisés et interviewés ces trois dernières
années par Göran Björkdahl, un travailleur humanitaire Suédois basé en Afrique,
qui a fait de lenquête sur le mystère Hammarskjöld une affaire personnelle
depuis quil a découvert que son père possédait un fragment des débris du DC6.
«Mon père se trouvait dans cette région de la Zambie dans les années 1970
et il avait questionné les habitants du coin sur ce qui sétait passé, et un
homme de là-bas, voyant quil était intéressé, lui avait donné un morceau de
lavion. Cest ce qui ma lancé,» explique Björkdahl. Quand il vint à son tour
travailler en Afrique, il se rendit sur le site et commença à interroger
systématiquement les habitants du coin sur ce quils avaient vu.
Lenquête conduisit Björkdahl à des télégrammes jamais publiés auparavant –
que le Guardian a pu voir – datant des jours précédant la mort d Hammarskjöld
le 17 septembre 1961, qui illustrent la colère des Etats Unis et de la Grande Bretagne à
propos dune opération militaire onusienne avortée que le secrétaire général
avait ordonnée au nom du gouvernement congolais contre une rébellion soutenue
par des compagnies minières occidentales et des mercenaires dans la riche région
minière du Katanga.
Hammarskjöld se rendait par avion à Ndola pour des discussions de paix avec
les dirigeants du Katanga, une rencontre que les britanniques avaient contribué
à arranger. Le diplomate Suédois, farouchement indépendant avait, jusque là, mécontenté
presque toutes les grandes puissances du conseil de sécurité par son soutien à
la décolonisation, mais le soutien que lui apportaient les pays en voie de
développement garantissait pratiquement sa réélection au poste de secrétaire
général lors du vote en assemblée générale qui devait se tenir lannée
suivante.
Björkdahl travaille pour Sida, lagence suédoise pour le développement
international ; mais il a enquêté sur son temps libre et son dossier
denquête ne reflète pas le point de vue officiel de son gouvernement.
Cependant, son rapport fait écho au scepticisme manifesté par les membres
Suédois des commissions denquête devant le verdict officiel.
Björkdahl conclut que:
• Lavion dHammarskjöld a très probablement été abattu par un deuxième avion
non identifié.
• Les actions des officiels Rhodésiens et Britanniques sur place ont retardé
la recherché de lavion disparu..
• Lépave avait été découverte et la zone bouclée par les soldats et la
police rhodésiennes longtemps avant lannonce officielle de sa découverte.
• Le seul survivant du crash aurait pu être sauvé mais on lavait laissé
mourir dans un hôpital local mal équipé..
• Au moment de sa mort, Hammarskjöld soupçonnait les diplomates Britanniques
de soutenir secrètement la rébellion du Katanga et davoir fait
obstruction à une démarche pour arranger une trêve.
• Quelques jour savant sa mort, Hammarskjöld avait autorisé ine offensive
sur le Katanga – sous le nom de code Opération Morthor – – en dépit
des réserves du conseiller juridique de lONU, provoquant la colère de la Grande Bretagne et
des Etats Unis.
Les nouvelles preuves les plus convaincantes viennent de témoins qui
navaient pas été interrogés auparavant, des charbonniers qui exploitent le
bois aux alentours de Ndola, qui sont aujourdhui septuagénaires et
nonagénaires.
La nuit du crash, Dickson Mbewe, 84 ans aujourdhui, était assis
à lextérieur de sa maison dans le quartier de Chifubu à louest de Ndola en
compagnie dun groupe damis.
“Nous avions vu un avion au-dessus de Chifubu mais nous navions pas fait
attention à lui au début, » a-t-l déclaré au Guardian. « Quand nous
lavons vu une deuxième et une troisième fois, nous avons pensé que cet avion
navait pas obtenu la permission de se poser sur laéroport. Soudain, nous avons
vu un autre avion approcher à grande vitesse du plus gros avion et ouvrir le
feu, ce qui avait lapparence dune lumière vive.
“Lavion tout en haut a tourné et est parti dans une autre direction. Nous
avons senti le changement dans le bruit du plus gros avion. Il est tombé et a
disparu. »
Vers 5h du matin, Mbewe sétait rendu à son four à charbon près du lieu du
crash, où il découvrit des soldats et des policiers qui étaient déjà en train
de disperser des gens. Selon le rapport officiel, lépave navait été
découverte quà 15h.
“Il y avait un groupe de soldats blancs transportant un corps, deux par devant
et deux par derrière,” a-t-il dit. « Jentendais des gens dire quun homme
avait été retrouvé vivant et devait être emmené à lhôpital. Personne na eu la
permission de rester sur place. »
Mbewe navait pas partagé ces informations auparavant parce quon ne lui a
jamais demandé de le faire, dit-il. « Latmosphère nétait pas pacifique,
on nous avait chassés des lieux. Javais peur daller à la police parce quelle
aurait pu me mettre en prison. »
Un autre témoin, Custon Chipoya, un charbonnier âgé de 75 ans, prétend lui
aussi avoir vu un deuxième avion dans le ciel cette nuit là. « Jai vu un
avion tourner, ses feux étaient bien visibles et je pouvais entendre le bruit
du moteur, » dit-il. « Il nétait pas très haut. A mon avis, il était
à laltitude des avions qui se préparent à atterrir.
“Il est revenu une deuxième fois, ce qui nous a fait regarder, et la
troisième fois, alors quil tournait en direction de laéroport, jai vu un
avion plus petit sapprocher du plus gros. Lavion plus petit, un avion à
réaction de plus petite taille, sapprochait par larrière et avait une lumière
vive. Il a alors tiré quelques salves sur le plus gros avion en contrebas et
est reparti dans la direction opposée.
“Le plus gros avion a pris feu et a commence à exploser, tombant vers nous.
Nous pensions quil nous suivait alors quil arrachait branches et troncs
darbres. Nous avons pensé que cétait la guerre, alors nous nous sommes
enfuis. »
Chipoya dit être retourné sur les lieux le lendemain matin vers 6h et avoir
trouvé la zone bouclée par la police et des militaires. Il na pas parlé de ce
quil avait vu parce que : « Il était impossible de parler avec un
agent de police à ce moment là. Nous avions juste compris que nous devions
déguerpir, » dit-il.
Safeli Mulenga, 83 ans, présent également à Chifubu la nuit du crash, na
pas vu de deuxième avion mais a été témoin dune explosion. « Jai vu
lavion tourner deux fois, » dit-il.
“La troisième fois, le feu est venu de quelque part au-dessus de lavion, il
était très lumineux. Ce ne pouvait pas être lavion en train dexploser parce
que le feu arrivait sur lui, » dit-il.
Il ny avait pas eu dappel à témoins après le crash, et le gouvernement fédéral
ne voulait pas que les gens en parlent, dit-il. « Certains avaient
témoigné sur le crash et ils avaient été emmenés et emprisonnés. »
La nuit du crash, John Ngongo, 75 ans aujourdhui, était dans la brousse
avec un ami pour apprendre comment on fait du charbon de bois, na pas vu de
deuxième avion mais est sûr den avoir entendu un, dit-il »
Soudain, nous avons vu un avion qui brûlait sur un côté venir vers nous. Il
était en flammes avant davoir percuté les arbres. Lavion nétait pas seul.
Jentendais un autre avion séloigner à grande vitesse, mais je ne
lai pas vu, » dit-il.
Le seul survivant parmi les 15 personnes à bord du DC6 était Harold Julian,
un sergent Américain affecté à la sécurité dHammarskjöld. Le rapport officiel
indique quil est mort de ses blessures, mais Mark Lowenthal, un médecin qui
avait participé aux soins prodigués à Julian à Ndola, a déclaré à Björkdahl
quil aurait pu être sauvé.
“Je considère cet épisode comme ayant été un de mes pires échecs professionnels
au cours de ce qui sera une longue carrière, » écrit Lowenthal dans un
courriel. « Je dois en premier lieu demander pourquoi les
autorités US navaient-elles pas mis en place leur propre dispositif de
recherche et secours ? Pourquoi ny ai-je pas pensé à lépoque ?
Pourquoi nai-je pas contacté les autorités US pour leur dire, ‘Envoyez
durgence un avion pour évacuer un citoyen des Etats Unis détaché auprès de
lONU qui est en train de mourir dune défaillance rénale ? ‘»
Julian a été laissé à Ndola pendant cinq jours. Avant de mourir, il a dit à
la police quil avait vu des lumières dans le ciel et une explosion avant le
crash.
Björkdahl soulève aussi des questions sur les raisons pour lesquelles le DC6
avait dû décrire des cercles autour de Ndola. Le rapport officiel prétend quil
nya avait pas denregistreur de conversations dans la tour de contrôle en
dépit du fait que ses équipements étaient neufs. Le rapport du contrôle aérien
sur le crash navait pas été déposé avant 33 heures après les faits.
Selon les documents sur les événements de la nuit, le haut Commissaire
britannique pour la fédération de Rhodésie et du Nyassaland [actuel Malawi],
Cuthbert Alport, qui se trouvait à laéroport cette nuit là, « avait
déclaré soudain avoir entendu qu Hammarskjöld avait changé davis et avait
lintention de se rendre ailleurs. De ce fait, le directeur de laéroport
navait pas déclenché dalerte durgence et tout le monde était simplement allé
se coucher. »
Les récits des témoins sur un autre avion concordent avec dautres récits de
personnes proches du dossier sur la mort dHammarskjöld. Deux de ses proches
collaborateurs, Connor Cruise OBrien et and George Ivan Smith, sont devenus
tous deux convaincus que le secrétaire général a été abattu par des mercenaires
au service dindustriels Européens au Katanga. Ils sont également persuadés que
les autorités britanniques ont participé à étouffer cette attaque. En 1992, ils
avaient publié ensemble une lettre dans le Guardian pour présenter leur
théorie. La suspicion sur les intentions britanniques est un thème récurrent
dans la correspondance que Björkdahl a examinée et qui date des jours qui ont
précédé la mort dHammarsskjöld.
Formellement, le Royaume Uni appuyait la mission de lONU mais, en
privé, le secrétaire général et ses collaborateurs pensaient que les officiels
Britanniques faisaient obstacle aux démarches de paix, probablement en raison
dintérêts miniers et des sympathies pour les colonialistes blancs côté
katangais.
Le matin du 13 septembre, le chef séparatiste Moise Tshombe avait
signalé sa disponibilité pour une trêve avant de changer davis après avoir
rencontré pendant une heure Denzil Dunnet, consul de Grande Bretagne au
Katanga.
Il nest pas douteux quau moment de sa mort, Hammarskjöld qui sétait déjà
aliéné les Soviétiques, les Français et les Belges, avait aussi mis en colère
les Américains et les britanniques avec sa décision de lancer lopération
Morthor contre les chefs rebelles et les mercenaires au Katanga.
Le secrétaire dEtat US Dean Rusk avait dit à un des collaborateurs du
secrétaire général que le président Kennedy était “extrêmement contrarié »
et menaçait de retirer son soutien à lONU. Le Royaume Uni, avait dit Rusk,
était « tout aussi contrarié. »
Au terme de son enquête, Björkdahl na toujours pas de certitude sur qui a
tué Hammarskjöld, mais il est quasiment certain quil a été assassiné :
« Il est clair que de nombreuses circonstances pointent vers limplication
possible de puissances occidentales. Il y avait un mobile – la menace pour les
intérêts occidentaux dans les énormes gisements miniers du Congo. Et cétait
lépoque de la libération de lAfrique, et on avait des blancs qui tentaient
désespérément de saccrocher. « Dag Hammarskjöld essayait de coller à
la charte de lONU et aux règles du droit international. Jai limpression
daprès ses télégrammes et sa correspondance privée quil était dégoûté par la
conduite des grandes puissances. »
Le service historique du ministère britannique des affaires étrangères a
refuse de sexprimer à ce sujet. Les officiels britanniques considèrent que, si
longtemps après les faits, aucune recherche ne pourrait démontrer de manière
concluante ou réfuter ce quils voient comme des « théories du complot »
qui ont toujours entouré la mort dHammarskjöld[3].
[1] Article paru dans The Guardian (UK) du 17 août 2011
[2] La
Zambie,
nayant été indépendante quen 1964, était encore une colonie au moment des
faits.
[3] En 1998, à l'occasion du cinquantenaire du début des
opérations de maintien de la paix des Nations Unies, l'ONU a créé la médaille
Dag Hammarskjöld décernée à titre posthume aux personnes des forces de l'ONU
mortes dans le cadre d'une opération de la paix. Ça lui a fait une belle jambe,
à Dag Hammarskjöld…
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