La justice internationale est-elle raciste? (Valentin Hodonou)

 

"CPI:Camer.be"

C’est peu dire que le Gabonais Jean Ping,
président de la commission de l'Union africaine (UA) depuis 2008, n’a
pas décoléré le 29 juin dernier lors du 17e sommet des chefs d’Etat de
l’UA à Malabo, en Guinée équatoriale.

L’objet de son courroux: le mandat d’arrêt
international lancé 48 heures plus tôt par la Cour pénale internationale
(CPI) à l’encontre de Mouammar Kadhafi. Interpellant vivement son
procureur en chef Luis Moreno Ocampo, il s’est écrié:

«Nous lui avons dit, appliquez le droit, ne faites pas de politique. Comme le dit un président, Ocampo est une blague.»

Et l’ancien ministre des Affaires étrangères
gabonais d’annoncer dans la foulée que l’UA n’appliquera pas le mandat
d’arrêt de la CPI contre le Guide libyen. Le mot racisme n’est jamais
prononcé —mais il se lit entre les lignes.

Depuis plusieurs années, une guerre larvée oppose
la CPI et l’UA. En 2008, l’organisation panafricaine s’était déjà
insurgée contre le mandat d’arrêt émis par Luis Moreno Ocampo à
l’encontre du président soudanais Omar el-Béchir alors inculpé pour
génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour. Et
refusé de coopérer avec elle.

Mais cette fois, le ton est plus acerbe. L’exaspération n’est pas loin.

Le Moyen-Orient oublié de la CPI

A ce jour, quatorze mandats d’arrêt ont été émis par la CPI —tous contre des ressortissants africains.

Trois Soudanais: Ahmed Haroun, ancien ministre des
Affaires humanitaires et Ali Kushays, le chef des milices djandjawids
(27 avril 2007); et le chef de l’Etat Omar el-Béchir (14 juillet 2008);

Cinq Ougandais: tous des dirigeants de l’Armée Résistance du Seigneur (ARS) dont son numéro un, Joseph Koni (2005);

Cinq ressortissants de de la République
démocratique du Congo (RDC): Thomas Lubanga Dyilo (10 février 2006);
Germain Katanga (2 juillet 2007); Mathieu Ngudjolo Chui (6 juillet
2007); Bosco Ntaganda (26 août 2006). Les trois premiers se trouvent
actuellement au centre de détention de la CPI, à La Haye.

Jean-Pierre Bemba Gombo, fondateur du Mouvement de
libération du Congo et ancien vice-président de la RDC, le 23 mai 2008
remplacé le 10 juin de la même année par un autre mandat. Arrêté, il a
été transféré au centre de détention de la Haye.

Et last but not least, le numéro un libyen, Mouammar Kadhafi.

Mais pas le début d’une enquête contre les
commanditaires de la guerre en Irak que sont l’ancien président des
Etats-Unis George Bush et Donald Rumsfeld, son ministre de la Défense.
Un conflit pourtant déclenché contre l’avis du Conseil de sécurité en
mars 2003, qui a coûté la vie à des centaines de milliers d’Irakiens et
entraîné des violations des droits de l’homme comme dans la désormais
(tristement) célèbre prison d’Abou Grahib.

Motus et bouche cousue également sur le conflit
israélo-palestinien. Alors que selon plusieurs rapports circonstanciés
effectués par l’ONU, Amnesty International et Human Rights Watch,
l’armée israélienne aurait commis des crimes de guerre, voire des crimes
contre l’humanité, notamment au cours de l’opération Plomb durci, du 27
décembre 2008 au 27 janvier 2009 contre le Hamas dans la bande de Gaza.

Guerre larvée entre l'UA et la CPI

A l’évidence, la justice internationale et son
bras séculier, la CPI, sont loin d’être irréprochables. Sidiki Kaba,
l’avocat sénégalais qui a présidé de 2001 à 2007 aux destinés de la
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), ne
s’en est jamais caché. Dans son dernier ouvrage La justice universelle
en question: Justice de blancs contre les autres? (L’Harmattan, 2010) il
se fait fort d’en souligner les ambiguïtés et les «ressorts politiques
qui les sous-tendent».

Pour autant, cet infatigable combattant des droits
de l’homme a toujours désapprouvé la décision de l’UA de ne pas
coopérer avec la CPI. Il l’avait dénoncée en 2008, quand les chefs
d’Etat africains avaient apporté leur soutien au président soudanais
Omar el-Béchir:

«L’Union africaine s’est placée dans une situation
ambiguë en soutenant Omar el-Béchir et en refusant de coopérer avec la
CPI. Cette situation remet en cause l’engagement de ses membres à
combattre l’impunité. Elle viole l’Acte unique qui l’a créé et qui élève
au rang de priorité la lutte contre l’impunité et le respect des droits
de l’homme», s’était-il insurgé.

Prix Nobel de la paix, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu avait lui aussi crié son indignation:

«En juillet 2008, quand on a appris que le
procureur de la CPI préparait un mandat d’arrêt contre Béchir pour
génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, l’Union
africaine a publié un communiqué adressé au Conseil de sécurité de l’ONU
pour lui demander de suspendre le processus.

Au lieu de condamner le génocide au Darfour,
l’Union africaine a choisi de faire part de ses inquiétudes au sujet de
l’acharnement dont seraient victimes les dirigeants africains et a
soutenu les efforts d'el-Béchir pour retarder la justice».

Le bras de fer que livre l’UA à la CPI est
d’autant plus discutable que trois principaux dossiers concernant des
pays africains sont actuellement ouverts à la Haye: la RDC, l’Ouganda et
la République centrafricaine. Mais, à chaque fois, ils l’ont été à la
demande de leurs chefs d’Etat respectifs. Considérant que leur pays
n’avait pas les moyens de conduire dans les meilleures conditions de
véritables enquêtes ou des poursuites contre les auteurs et les
complices de graves crimes sur leur territoire, ils ont souhaité que
l’instance judiciaire onusienne s’en charge.

Car mis à part des cas exceptionnels comme le
Darfour ou plus récemment la Libye où, à la demande du Conseil de
sécurité, elle a initié d’elle-même des actions judiciaires, la CPI,
juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de
génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, a été
conçue pour compléter les systèmes judiciaires nationaux. Elle ne peut
exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas
la volonté ou la compétence pour juger de tels crimes.

La CPI ne s’en prend pas qu’aux Africains

Dans le cas spécifique de Charles Taylor, l’ancien
président libérien inculpé pour crimes de guerre et crimes contre
l’humanité par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, s’il est jugé
depuis avril 2007 à la Haye, c’est à la demande insistante du Liberia et
de la Sierra Leone qui ont souhaité pour des raisons de sécurité
intérieure que son procès soit délocalisé.

Par
ailleurs, affirmer comme Jean Ping que la CPI ne s’en prend qu’aux
Africains est une contrevérité. Le premier chef de l’Etat en exercice à
avoir été remis à la justice internationale est l’ex-président de la
Serbie Slobodan Milosevic, en juin 2001.

Sans oublier que Radovan Karadzic, l’ancien
dirigeant serbe de Bosnie inculpé par le Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie (TIP) pour génocide, crimes contre l’humanité et
crimes de guerre, arrêté le 22 juillet 2008, est en détention à la
prison du TIP à la Haye depuis le 30 juillet 2008. Il y a été rejoint le
31 mai 2011 par son ami l’ancien chef de l’armée bosno-serbe, le
général Ratko Maldic, mis en examen pour les mêmes infractions après
avoir été arrêté le 26 mai dernier.

En réalité, outre le manque de volonté politique
pour combattre l’impunité, qui est l’une des principales causes des
conflits qui ensanglantent l’Afrique —à de rares exceptions près comme
l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, le Nigeria et le Ghana—
deux maux principaux affectent la justice sur le continent africain: un
manque criant d’appareils judiciaires idoines et une insuffisante —voire
aucune— indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques. Les victimes de
l’ancien dictateur tchadien Hissen Habré, qui attendent toujours son
jugement alors qu’il est inculpé depuis 2000 par la justice sénégalaise
pour complicités de crimes contre l’humanité, actes de torture et
barbarie en savent quelque chose.

© Slateafrique.com : Valentin Hodonou

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