21.10.11 Pierre Verjans sur les élections: « Ce qui frappe c’est l’illusion de nombre de candidats » (CongoForum)

CongoForum: Les dernières élections en RDC datent de 2006. Comment jugez-vous l’évolution politique depuis ces élections et quelles sont les tendances qui vous frappent ?

Pierre Verjans: « Les élections de 2006 étaient les premières de la transition et les électeurs n’avaient pas encore vu les responsables politiques à l’œuvre en situation de représentation électorale, puisque les dirigeants de la transition s’étaient cooptés entre composants de la guerre et de la vie politique. Les élections de 2011 sont donc les premières à sélectionner des responsables sur base du respect de leurs engagements pris précédemment. Ce qui étonne l’observateur politique, c’est que la sélection ne s’est pas encore faite et qu’il y a énormément de partis qui se présentent en s’imaginant qu’ils pourront être élus. Le réalisme ne s’est pas encore installé à la suite des très nombreux échecs de candidats en 2006. Ce qui frappe, c’est l’illusion de nombre de candidats plus que le bilan de la législature… »

CongoForum: En quelle mesure peut-on parler d’une vraie démocratisation en RDC ? La route vers un vrai système démocratique semble encore longue ?

Pierre Verjans: « La démocratisation est un chemin, qui n’en finit jamais, ce n’est pas un endroit où l’on arrive. La route sera donc infinie. Les vrais démocrates n’ont jamais fini de réclamer pour que le peuple soit mieux entendu, mieux respecté : dans tous les pays du monde, des gens s’organisent pour améliorer le niveau de démocratie de leur pays. Si on examine les acquis actuels en terme de démocratie, on peut mentionner le fait que les moyens d’information sont globalement libres et que, grosso modo, le niveau de censure est moins fort que sous Mobutu, sous le Mzee ou sous la colonisation. Mais il n’y a pas besoin d’être politologue pour observer que l’Etat ne fonctionne pas comme il dit lui-même qu’il doit fonctionner et que les assassinats d’opposants sont plus fréquents qu’il y a six ans, à l’époque de la domination Monucienne. »

CongoForum: Régulièrement, il y a des plaintes d’ONG et d’activistes sur le non-respect des droits de l’homme en RDC. Comprenez-vous leurs critiques ? Que faut-il faire pour faire respecter les droits de l’homme dans le pays ?

Pierre Verjans: « Comme dans les autres pays, les droits de l’homme seront respectés si des activistes s’organisent pour les défendre. Tous les pouvoirs ou presque ont estimé à un moment donné que les droits de l’homme constituaient des freins à l’exercice de leur pouvoir légitime – même les pouvoirs issus de nations qui avaient proclamé par eux-mêmes les droits de l’homme ont subi ces tentations – et, pour faire respecter les droits de l’homme, il faut s’organiser et prendre des risques face au pouvoir. Si le pouvoir est de bonne volonté, il peut alors écouter ceux qui critiquent. Mais l’histoire du monde montre que la défense des droits de l’homme en général demande beaucoup de courage et rapporte peu d’avantages matériels directs, ce qui diminue le nombre de gens qui s’y engagent. »

CongoForum: Quel est votre jugement sur les préparatifs des nouvelles élections ?

Pierre Verjans: « La bonne nouvelle, c’est qu’on prépare les élections et que les dirigeants n’ont pas cru qu’ils pouvaient ignorer cette exigence électorale ; les mauvaises nouvelles s’accumulent : outre les afflux de candidats improbables (c’est-à-dire avec très peu de probabilité d’être élus) démontrant plus une culture de l’opportunisme et de la cueillette qu’une culture de l’engagement, notons les conditions d’enregistrement et de contrôle de cet enregistrement des électeurs (possibilité de frauder sur le nombre d’élus par circonscription amie ou hostile), les conditions d’organisation matérielle des élections de députés qui semblent issues de pratiques d’improvisation et de bricolage plutôt que d’organisation pensée et contrôlable, le manque de mobilisation et de formation des témoins de partis pour contrôler l’ensemble du processus électoral, tout ce désordre décuplant les possibilités de fraude par rapport aux élections de 2006. »

CongoForum: Y aura-t-il des élections vraiment crédibles, transparentes, démocratiques ?

Pierre Verjans: « Les élections sont toujours ‘plus ou moins’ crédibles et transparentes : tous les systèmes peuvent être améliorés (on l’a vu avec les résultats pour le moins peu sûrs des présidentielles américaines de 2000) et elles ne sont crédibles que dans la mesure où les acteurs politiques et leurs partisans acceptent de se plier à leurs résultats. Les motifs de mécontentement ne manquent pas et la grande question de l’après-scrutin sera la loyauté républicaine malgré tous les risques de manipulation d’un côté, le respect d’un minimum de règles de crédibilité par souci de coopération plus que de confrontation d’autre. »

CongoForum: Peut-on parler de partis politiques bien organisés, ancrés, structurés ?

 

Pierre Verjans: « Mis à part le PALU qui apparaissait en 2006 – et beaucoup moins maintenant –comme un parti avec un programme et qui semblait pouvoir dépasser les frontières de l’ancrage provincial voire ethnique du leader du parti, tous les partis suivent une ligne beaucoup plus américaine qu’européenne : la campagne électorale n’est pas pour eux un moyen de diffuser une idéologie, un projet de société mais de tenter de gagner des postes, des places, de créer des réseaux dans le système politique. Certains partis présentent dans différentes provinces un début d’organisation mais on comprend vite en interrogeant les dirigeants locaux sur leurs motivations que l’appât des fonctions est plus prégnant que le souci républicain : on pourrait dire que les acteurs politiques préfèrent la lutte des places à la lutte des classes. »

CongoForum: Quid avec l’accés équitable de tous les partis aux médias en RDC ? Peut-on vraiment dire que cela soit garanti ?

Pierre Verjans: « Outre les journaux en papier qui n’ont qu’une diffusion locale à cause de la difficulté de circulation dans le pays, les médias audiovisuels sont contrôlés par des entrepreneurs politiques qui les utilisent à leur profit qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Seule Radio Okapi échappe à cette règle de domination de l’argent ou du pouvoir et tente de donner non pas un accès équitable à tous les candidats à toutes les places (ce n’est pas possible, vu le nombre de candidats) mais aux grands courants et aux personnalités en vue. Tous les systèmes politiques dans le monde ont été investis par les moyens d’expression des partis de masse au vingtième siècle et ils ont dû se battre pour faire connaître leurs opinions et leurs idées. Mais ici comme ailleurs, l’équité n’est pas donnée a priori, il faut s’organiser et prendre des risques pour la défendre. »

CongoForum: Comment appréciez-vous les chances de l’opposition de gagner ces élections ? Etant donné qu’ en ce moment ils ne se sont toujours pas mis d’accord sur un candidat commun à la présidence.

Pierre Verjans: « Il faut distinguer les deux élections : les présidentielles, dans un système majoritaire à un tour ne peuvent être gagnées que par un candidat qui a réussi à drainer vers lui les votes en nombre suffisant pour être le premier. Aucun candidat ne semble, à l’heure actuelle, vu les divisions de l’opposition, pouvoir mettre réellement en danger la suprématie du président sortant. Par contre, aux élections législatives, l’enjeu consiste à obtenir et stabiliser une majorité absolue de parlementaires représentants toutes les circonscriptions du pays. Les divers groupes politiques peuvent faire des alliances qui modifieraient la configuration politique actuelle et obligeraient alors le président à supporter une cohabitation avec une chambre qui serait peut-être collectivement plus indépendante que lors de la législature précédente. Mais cela dépendra d’un jeu d’alliance et de concessions réciproques où le parti au pouvoir semble jusque maintenant plus habile que les partis de l’opposition. »

CongoForum: Quels doivent êtres les priorités du nouveau président et du nouveau gouvernement ?

Pierre Verjans: « La liberté d’action des mandataires durant leur mandat ne permet pas de considérer que certaines actions seraient prioritaires objectivement : il s’agit chaque fois d’un tri subjectif effectué à partir des choix des élus qui sélectionnent leurs priorités. Mais, si on écoute la population, il est clair que la situation sécuritaire d’abord puis celle des transports dans le pays ainsi que l’accès aux soins de santé et l’enseignement constituent des questions importantes pour lesquelles la population attend des réponses effectives. »

CongoForum: Beaucoup de Congolais ne sont pas contents des réalisations des dirigeants actuels. Comprenez-vous leurs frustrations ? Peut-on dire qu’ils ont raison ?

Pierre Verjans: « En démocratie, l’électeur a toujours raison, s’il s’exprime à travers son vote. Si les électeurs considèrent que les dirigeants actuels ne sont pas satisfaisants mais que l’opposition est encore moins satisfaisante, ils pourraient redonner le pouvoir aux mêmes hommes. Si, par contre, l’opposition apparaît comme plus crédible que la majorité, le vote populaire modifiera la répartition des sièges. On ne peut dire à l’avance lequel des deux raisonnements l’emportera. On peut constater que, même dans les régions où le président avait été élu triomphalement en 2006, les frustrations sont grandes mais cela ne signifie pas automatiquement que les électeurs se dirigeront vers l’opposition. »

© CongoForum – Denis Bouwen, 21.10.11

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21.10.11 Pierre Verjans sur les élections: « Ce qui frappe c’est l’illusion de nombre de candidats » (CongoForum)

CongoForum: Les dernières élections en RDC datent de 2006. Comment jugez-vous l’évolution politique depuis ces élections et quelles sont les tendances qui vous frappent ?

Pierre Verjans: « Les élections de 2006 étaient les premières de la transition et les électeurs n’avaient pas encore vu les responsables politiques à l’œuvre en situation de représentation électorale, puisque les dirigeants de la transition s’étaient cooptés entre composants de la guerre et de la vie politique. Les élections de 2011 sont donc les premières à sélectionner des responsables sur base du respect de leurs engagements pris précédemment. Ce qui étonne l’observateur politique, c’est que la sélection ne s’est pas encore faite et qu’il y a énormément de partis qui se présentent en s’imaginant qu’ils pourront être élus. Le réalisme ne s’est pas encore installé à la suite des très nombreux échecs de candidats en 2006. Ce qui frappe, c’est l’illusion de nombre de candidats plus que le bilan de la législature… »

CongoForum: En quelle mesure peut-on parler d’une vraie démocratisation en RDC ? La route vers un vrai système démocratique semble encore longue ?

Pierre Verjans: « La démocratisation est un chemin, qui n’en finit jamais, ce n’est pas un endroit où l’on arrive. La route sera donc infinie. Les vrais démocrates n’ont jamais fini de réclamer pour que le peuple soit mieux entendu, mieux respecté : dans tous les pays du monde, des gens s’organisent pour améliorer le niveau de démocratie de leur pays. Si on examine les acquis actuels en terme de démocratie, on peut mentionner le fait que les moyens d’information sont globalement libres et que, grosso modo, le niveau de censure est moins fort que sous Mobutu, sous le Mzee ou sous la colonisation. Mais il n’y a pas besoin d’être politologue pour observer que l’Etat ne fonctionne pas comme il dit lui-même qu’il doit fonctionner et que les assassinats d’opposants sont plus fréquents qu’il y a six ans, à l’époque de la domination Monucienne. »

CongoForum: Régulièrement, il y a des plaintes d’ONG et d’activistes sur le non-respect des droits de l’homme en RDC. Comprenez-vous leurs critiques ? Que faut-il faire pour faire respecter les droits de l’homme dans le pays ?

Pierre Verjans: « Comme dans les autres pays, les droits de l’homme seront respectés si des activistes s’organisent pour les défendre. Tous les pouvoirs ou presque ont estimé à un moment donné que les droits de l’homme constituaient des freins à l’exercice de leur pouvoir légitime – même les pouvoirs issus de nations qui avaient proclamé par eux-mêmes les droits de l’homme ont subi ces tentations – et, pour faire respecter les droits de l’homme, il faut s’organiser et prendre des risques face au pouvoir. Si le pouvoir est de bonne volonté, il peut alors écouter ceux qui critiquent. Mais l’histoire du monde montre que la défense des droits de l’homme en général demande beaucoup de courage et rapporte peu d’avantages matériels directs, ce qui diminue le nombre de gens qui s’y engagent. »

CongoForum: Quel est votre jugement sur les préparatifs des nouvelles élections ?

Pierre Verjans: « La bonne nouvelle, c’est qu’on prépare les élections et que les dirigeants n’ont pas cru qu’ils pouvaient ignorer cette exigence électorale ; les mauvaises nouvelles s’accumulent : outre les afflux de candidats improbables (c’est-à-dire avec très peu de probabilité d’être élus) démontrant plus une culture de l’opportunisme et de la cueillette qu’une culture de l’engagement, notons les conditions d’enregistrement et de contrôle de cet enregistrement des électeurs (possibilité de frauder sur le nombre d’élus par circonscription amie ou hostile), les conditions d’organisation matérielle des élections de députés qui semblent issues de pratiques d’improvisation et de bricolage plutôt que d’organisation pensée et contrôlable, le manque de mobilisation et de formation des témoins de partis pour contrôler l’ensemble du processus électoral, tout ce désordre décuplant les possibilités de fraude par rapport aux élections de 2006. »

CongoForum: Y aura-t-il des élections vraiment crédibles, transparentes, démocratiques ?

Pierre Verjans: « Les élections sont toujours ‘plus ou moins’ crédibles et transparentes : tous les systèmes peuvent être améliorés (on l’a vu avec les résultats pour le moins peu sûrs des présidentielles américaines de 2000) et elles ne sont crédibles que dans la mesure où les acteurs politiques et leurs partisans acceptent de se plier à leurs résultats. Les motifs de mécontentement ne manquent pas et la grande question de l’après-scrutin sera la loyauté républicaine malgré tous les risques de manipulation d’un côté, le respect d’un minimum de règles de crédibilité par souci de coopération plus que de confrontation d’autre. »

CongoForum: Peut-on parler de partis politiques bien organisés, ancrés, structurés ?

 

Pierre Verjans: « Mis à part le PALU qui apparaissait en 2006 – et beaucoup moins maintenant –comme un parti avec un programme et qui semblait pouvoir dépasser les frontières de l’ancrage provincial voire ethnique du leader du parti, tous les partis suivent une ligne beaucoup plus américaine qu’européenne : la campagne électorale n’est pas pour eux un moyen de diffuser une idéologie, un projet de société mais de tenter de gagner des postes, des places, de créer des réseaux dans le système politique. Certains partis présentent dans différentes provinces un début d’organisation mais on comprend vite en interrogeant les dirigeants locaux sur leurs motivations que l’appât des fonctions est plus prégnant que le souci républicain : on pourrait dire que les acteurs politiques préfèrent la lutte des places à la lutte des classes. »

CongoForum: Quid avec l’accés équitable de tous les partis aux médias en RDC ? Peut-on vraiment dire que cela soit garanti ?

Pierre Verjans: « Outre les journaux en papier qui n’ont qu’une diffusion locale à cause de la difficulté de circulation dans le pays, les médias audiovisuels sont contrôlés par des entrepreneurs politiques qui les utilisent à leur profit qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Seule Radio Okapi échappe à cette règle de domination de l’argent ou du pouvoir et tente de donner non pas un accès équitable à tous les candidats à toutes les places (ce n’est pas possible, vu le nombre de candidats) mais aux grands courants et aux personnalités en vue. Tous les systèmes politiques dans le monde ont été investis par les moyens d’expression des partis de masse au vingtième siècle et ils ont dû se battre pour faire connaître leurs opinions et leurs idées. Mais ici comme ailleurs, l’équité n’est pas donnée a priori, il faut s’organiser et prendre des risques pour la défendre. »

CongoForum: Comment appréciez-vous les chances de l’opposition de gagner ces élections ? Etant donné qu’ en ce moment ils ne se sont toujours pas mis d’accord sur un candidat commun à la présidence.

Pierre Verjans: « Il faut distinguer les deux élections : les présidentielles, dans un système majoritaire à un tour ne peuvent être gagnées que par un candidat qui a réussi à drainer vers lui les votes en nombre suffisant pour être le premier. Aucun candidat ne semble, à l’heure actuelle, vu les divisions de l’opposition, pouvoir mettre réellement en danger la suprématie du président sortant. Par contre, aux élections législatives, l’enjeu consiste à obtenir et stabiliser une majorité absolue de parlementaires représentants toutes les circonscriptions du pays. Les divers groupes politiques peuvent faire des alliances qui modifieraient la configuration politique actuelle et obligeraient alors le président à supporter une cohabitation avec une chambre qui serait peut-être collectivement plus indépendante que lors de la législature précédente. Mais cela dépendra d’un jeu d’alliance et de concessions réciproques où le parti au pouvoir semble jusque maintenant plus habile que les partis de l’opposition. »

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Pierre Verjans: « La liberté d’action des mandataires durant leur mandat ne permet pas de considérer que certaines actions seraient prioritaires objectivement : il s’agit chaque fois d’un tri subjectif effectué à partir des choix des élus qui sélectionnent leurs priorités. Mais, si on écoute la population, il est clair que la situation sécuritaire d’abord puis celle des transports dans le pays ainsi que l’accès aux soins de santé et l’enseignement constituent des questions importantes pour lesquelles la population attend des réponses effectives. »

CongoForum: Beaucoup de Congolais ne sont pas contents des réalisations des dirigeants actuels. Comprenez-vous leurs frustrations ? Peut-on dire qu’ils ont raison ?

Pierre Verjans: « En démocratie, l’électeur a toujours raison, s’il s’exprime à travers son vote. Si les électeurs considèrent que les dirigeants actuels ne sont pas satisfaisants mais que l’opposition est encore moins satisfaisante, ils pourraient redonner le pouvoir aux mêmes hommes. Si, par contre, l’opposition apparaît comme plus crédible que la majorité, le vote populaire modifiera la répartition des sièges. On ne peut dire à l’avance lequel des deux raisonnements l’emportera. On peut constater que, même dans les régions où le président avait été élu triomphalement en 2006, les frustrations sont grandes mais cela ne signifie pas automatiquement que les électeurs se dirigeront vers l’opposition. »

© CongoForum – Denis Bouwen, 21.10.11

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