Elections 2011 en RDC: Victoire pyrrhique de Kabila et nouveau Berlin (Didier Gondola et Anicet Mobé)

 La victoire orchestrée de Joseph
Kabila sur une opposition divisée demeure avant tout une victoire à la Pyrrhus
qui risque de précipiter le plus grand pays au sud du Sahara dans les affres de
la guerre civile et une crise humanitaire d’ampleur effroyable. Divisée et
renâclant à adopter un « ticket gagnant Tshisekedi-Kamerhe », prôné
en février 2011 par l’historien congolais Didier Gondola, l’opposition a servi
à Kabila sa réélection sur un plateau d’argent. Du côté des chancelleries
occidentales, où on a préféré le jeune et placide Kabila au patriarche
Tshisekedi, on réitère les appels au calme, même si l’on a cautionné la
supercherie constitutionnelle de janvier 2011 (supprimant le deuxième tour) et
fermé les yeux devant les fraudes massives qui ont émaillé le déroulement des
élections. D’une commission électorale
(CENI) inféodée au pouvoir, aux urnes bourrées d’avance de bulletins de vote en
faveur du candidat Kabila en passant par des bureaux de vote où les bulletins
ne sont jamais arrivés parce que bastions de l’opposition, à des taux de
participation de 100% dans les bastions kabilistes du Katanga, on ne compte
plus les artifices frauduleux qui ont permis à Kabila d’être proclamé vainqueur
avec 48% des suffrages. Lamentable, misérable et pitoyable : telle fut la
prestation sur le plateau de la télévision nationale, ,lundi soir, du président
de la Ceni. Il n’a réussi qu’une chose : accréditer davantage les
accusations de servilité de la Ceni vis à vis du pouvoir, cautionnant les fraudes électorales. 

Selon la logique la plus élémentaire, la
suppression du deuxième tour, acclamée par un parlement godillot sous le
prétexte fallacieux que le pays manquait d’argent pour organiser un scrutin
présidentiel et parlementaire à deux tours, aurait dû galvaniser l’opposition. Mais
c’était sans compter sur les dérives égotistes des ténors de l’opposition qui
en refusant d’accorder leurs violons ont pavé la voie à la victoire de Kabila. Ni
Etienne Tshisekedi, ni Vital Kamerhe, ni même l’idée démocratique, le grand perdant
de ce scrutin est le peuple congolais qui, une fois de plus, a été floué dans
sa détermination à prendre en main sa propre destinée. De Berlin, le peuple
congolais en aura connu beaucoup, et ce Berlin-ci n’est pas différent de tous
les autres, de cette effroyable année 1885 où le destin de ces populations
martyres a été scellé à mille lieux par des monarques Européens pour être confié
entre les griffes d’un roi affairiste affublé des habits d’un philanthrope. Ce
Berlin-ci est d’autant plus amer que le printemps de la démocratie continue à
secouer les dynasties du Moyen-Orient. Partie de Tunisie, la Révolution de
Jasmin tarde à pénétrer au sud du Sahara même si comme au Congo les populations
l’appellent ardemment de leurs vœux. Ainsi, les visées géostratégiques et la
défense des intérêts géopolitiques des puissances étrangères continuent à peser
lourdement sur le devenir d’un pays dont l’échiquier politique est régenté en
fonction des intérêts étrangers au détriment des aspirations légitimes des
populations. A quoi bon voter, se demande le Congolais, si en fin de compte,
pour parler cru, les dés sont pipés ! A quoi bon voter, puisque l’Occident
joue double jeu en Afrique, impose la démocratie mais choisit les leaders.
Comment penser autrement quand Luis Moreno Ocampo, le procureur de la CPI,
menace : « Nous surveillons de près la situation sur place, et nous
ne tolérerons aucun recours à la violence […] La violence électorale
n’ouvre plus le chemin du pouvoir, mais celui de La Haye ». Mais la fraude
électorale, n’est-elle pas une des formes premières de violence
électorale ? Pourquoi condamner l’une et ignorer l’autre ?

 

Kabila s’est donc imposé
non pas seulement avec la complicité de l’Occident et grâce à des fraudes
massives mais, plus grave, dans un silence assourdissant des intellectuels et
surtout des universitaires congolais. Qu’ils se trouvent à l’intérieur du pays
ou qu’ils soient basés à l’étranger, les universitaires congolais regimbent à
épingler une dérive autocratique qu’un récent dossier du magazine Jeune-Afrique compare à juste titre au
règne de triste mémoire du maréchal Mobutu.  Souffrant de tous les maux imaginables
(insécurité alimentaire, violences politiques et absence de droits de l’Homme,
viols des femmes à l’est, corruption, pénurie chronique d’eau potable et
d’électricité, effondrement du système éducatif et sanitaire, etc.), la RDC
voit son chevet déserté par ses intellectuels au profit d’une légion d’ONG
internationales dont beaucoup font office de fossoyeurs. On s’étonne, par
exemple, du bilan laudatif dressé par les historiens congolais lors des
commémorations du Cinquantenaire de l’indépendance alors que tout indique une
déliquescence continue depuis 50 ans.

Même silence aujourd’hui
alors que la RDC s’apprête à sombrer dans un conflit post-électoral qui va
faire passer ceux qu’ont connus la Côte-d’Ivoire et le Kenya pour des
escarmouches. Le risque tient d’abord au
vote régionaliste exacerbé par la polarisation de la vie politique et à la décision
de Kabila de faire l’économie d’un deuxième tour. Ensuite, un Kabila reconduit
pour cinq ans avec moins de 50% de l’électorat, en dépit d’un bilan bien maigre
et au vu de son isolement à Kinshasa, risque de durcir un régime en passe de
basculer de la démocrature à la dictature. Ensuite, le grand écart que Kabila
devra accomplir entre les exigences d’un Occident grand parrain de ces
élections et les intérêts grandissants de la Chine obère le relèvement du pays
surtout lorsque l’on y ajoute la tutelle d’un Kigali hyper-nationaliste qui ne rêve
que de l’Anschluss avec le Kivu comme prélude d’un Grand Rwanda. En dernier
lieu, l’impopularité de Kabila et de tout ce qui touche de près ou de loin à son
régime au sein d’une diaspora congolaise radicalisée risque de s’aliéner des
forces essentielles au développement et de compromettre les relations
bilatérales de la RDC.

A raconter une victoire en détail, faisait dire
Sartre dans Le Diable et le Bon Dieu,
on ne sait plus ce qui la distingue d’une défaite. Ainsi, plus l’on dissèque et
disserte sur le «  succès » électoral de Kabila, plus
apparaissent de multiples zones d’ombre, des fragilités systémiques et des béances
nauséabondes d’un sinistre augure. Après dix ans d’un pouvoir contesté, qui n’exhibe
à son actif que quelques routes repavées à la va-vite grâce à des contrats
léonins conclus avec la Chine, un pouvoir qui continue l’œuvre de prédation
inaugurée par Léopold II et précipitée sous Mobutu, la population ne semble
plus se résigner seulement au système D, mais fourbit les armes, parfois anodines,
comme cette pierre lancée contre le convoi présidentiel et qui a valu à son
auteur, Armand Tungulu, la torture et l’assassinat. Le Congolais sous Kabila ne
ressemble que de loin à celui que Mobutu a tenu en joug pendant trois
décennies. Dans la diaspora, mais aussi à Kinshasa et ailleurs, les Congolais
se mobilisent, souvent avec furie (seul
langage que l’Occident semble comprendre) pour mettre en échec un pouvoir
illégitime.

 

A l’heure de grands enjeux où les certitudes
néo-libérales s’effondrent une à une devant la complexité de notre mondialité,
où le modèle capitaliste montre ses limites, où les nations se positionnent
pour capter et engranger des ressources qui feront défaut demain et créer de
nouvelles, le Congo demeure à l’image de l’Afrique elle-même. Confiné, dans la
partition néo-libérale, à un rôle de pourvoyeur de ressources innombrables, le
pays ne parvient pas à s’extirper de cette camisole de force et à repenser son
rapport avec l’Occident.  Il peine
également à établir sur des bases équitables ses relations avec les puissances
émergentes comme la Chine, qui tentées par un pouvoir mou, finissent par
reproduire un nouveau Berlin, un de plus, au Congo.  Quand prendra fin le calvaire de ce peuple
martyr, sacrifié à l’autel du capitalisme ? Au fond, la tragédie congolaise
réside moins dans les convoitises internationales qui, comme l’a déclaré
Sarkozy à maintes reprises, ont toujours réduit les richesses du Congo à une
manne mondiale plutôt qu’à un patrimoine national, mais dans la cécité et
l’inaptitude de ses classes politiques. La victoire pyrrhique de Kabila, un
exemple singulier de ce paradigme dévastateur, inaugure un nouveau Berlin au
Congo.

 

12 DECEMBRE 2011

 

 

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