12 01 12 Jeune Afrique – Muzito défend le «bilan» de «Joseph Kabila». Sans convaincre.

Analyse

Dans deux mois, le corps électoral congolais va élire le futur président de la République ainsi que les 500 membres de l’Assemblée nationale. Si tout va bien. Contrairement à la présidentielle de 2006 où tout a été verrouillé par la «communauté internationale», les citoyens espèrent, cette fois, que les prétendants au pouvoir d’Etat vont engager un vrai débat «projet contre projet» pour éclairer les électeurs dans leur choix. Pour les gouvernants, l’heure est donc au bilan. Mercredi 14 septembre, le président sortant «Joseph Kabila» a fait son discours-bilan dans sa ferme de Kingakati. Certains passages de cette allocution ont suscité une vive controverse notamment auprès des magistrats. Ceux-ci contestent le barème salarial annoncé par le chef de l’Etat. Au cours d’une conférence de presse tenue vendredi 16 septembre, Vital Kamerhe, président de l’UNC (Union pour la Nation Congolaise) a estimé que «le fond du discours est rempli de contradictions, d’erreurs, de contre vérités, voire de manipulations des données». Dans un communiqué publié le même vendredi, une quarantaine de partis appartenant à l’opposition pro-Tshisekedi dénonce l’«échec patent» du projet présidentiel dit «cinq chantiers». Après "Kabila", c’est le tour de Muzito.

«Gouvernement parallèle»

Les élections, la situation socio-économique, la décentralisation sont notamment les sujets abordés par le Premier ministre Adolphe Muzito dans un entretien avec «Jeune Afrique». L’homme a, en liminaire, tenu à rassurer l’opinion sur la tenue des scrutins dans le respect des délais constitutionnels. Selon lui, le gouvernement a donné à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) «tous les moyens matériels et logistiques». Interrogé sur l’existence d’un «gouvernement parallèle», le «Premier» y a opposé un démenti : «Non. Il n’y a qu’un seul gouvernement : celui que je dirige.» Et d’ajouter : «Il existe des domaines, comme la défense, la sécurité, la diplomatie, qui relèvent du chef de l’Etat et nous nous concertons. Quant au reste, c’est le Premier ministre qui est responsable politiquement.» A en croire Muzito, «Joseph Kabila» «n’a pas la gestion directe des affaires gouvernementales.»

Muzito n’a pas dit la vérité. S’il est vrai que, sur papier, «le gouvernement conduit la politique de la Nation» (article 91-2 de la Constitution), il n’en demeure pas moins vrai que, depuis 2009, l’essentiel des prérogatives du Premier ministre est exercé par la «Présidence de la République». L’opinion congolaise a encore frais en mémoire cette instruction transmise à Muzito par le directeur du cabinet présidentiel d’alors, Adolphe Lumanu Mulenda, en date du 28 mai 2009. «(…), j’ai l’honneur de vous informer que sur instruction de la «haute hiérarchie», désormais, tout ordonnancement des dépenses publiques devra, avant paiement, requérir l’autorisation préalable de son excellence Monsieur le président de la République. Il en est de même des plans de trésorerie mensuels». L’histoire ne dit pas si cette correspondante a été rapportée. L’hypothèse de l’existence d’un «gouvernement parallèle» est loin d’être une vue de l’esprit. A preuve, tous les contrats miniers et en matière des travaux d’infrastructures sont négociés et conclus au cabinet présidentiel. Autre preuve, il n’est pas rare de voir «Joseph Kabila» descendre en personne sur le terrain pour «vérifier» l’état d’avancement des travaux effectués à travers la ville de Kinshasa. Le 23 août 2010, le conseiller principal du chef de l’Etat en charge des Infrastructures, Kimbembe Mazunga, a effectué une «descente» au Beach Ngobila. L’homme était chargé d’informer les responsables du poste de la DGM (Direction générale des migrations) de la décision de « Joseph Kabila » de lancer des "travaux de modernisation" de leurs installations.Là où le bat blesse est que les actes de gestion posés par le chef de l’Etat sortant ne sont guère soumis à un contrôle démocratique.

«Le quotidien des Congolais»

Interrogé sur la qualité de vie des Congolais laquelle ne cèsse de se dégrader en dépit du fait que le pays ait atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE (Pays pauvre très endetté), Muzito a répondu avec une certaine candeur. Selon lui, «l’atteinte du point d’achèvement ne signifie pas la fin des problèmes sociaux.» Au motif que l’effacement de la dette a permis à la RD Congo d’économiser annuellement «500 millions de dollars». Et de s’interroger : «Mais que représente cette somme à l’échelle d’un pays comme le nôtre? Une goûte d’eau». Sans le dire, Muzito allègue de manière implicite que l’argent ainsi économisé grâce à l’initiative PPTE sert non pas à lutter contre la pauvreté mais à financer les «infrastructure de base qui sont le préalable à l’investissement privé». Pour lui, le manque d’électricité, de routes et de banques «dans nos provinces» serait la cause du peu d’attrait que la RD Congo exerce sur les investisseurs. «Dans ces conditions, comment produire ou créer des emplois ?», s’est-il interrogé. Muzito de profiter de cette interview pour tordre le cou à ce qui passe à ses yeux pour «une illusion collective» selon laquelle le Congo est un «pays riche.» Sans nier l’existence des potentialités du pays, il dit : «Mais c’est une richesse que nous n’avons jamais réussi à mettre en valeur.» «Le président a commencé à le faire, mais à peine a-t-il commencé que l’on veut des résultats!», ajoute-il. «Je comprends ce peuple, mais il croit que les solutions peuvent venir comme ça, poursuit-il. Les intellectuels pensent la même chose, parce qu’ils ont été abrutis par l’ancien régime (…).» Le Premier ministre congolais semble ignorer que le rôle de tout gouvernement consiste à résoudre les problèmes inhérents à la vie collective. Et que tout gouvernement qui faillit à cette mission doit être évincé. De gré ou de force. Question : combien de quinquennats faudrait-il au président sortant pour montrer à la population le chemin de l’espérance?

Corruption, passe-droits

En dépit de ce tableau pourtant sombre, Muzito estime que «les perspectives sont bonnes». Il égrène les actions du président de la République : «Quand Joseph Kabila est arrivé au pouvoir, il y avait sept banques au Congo, toutes en faillite. Aujourd’hui, il y en a vingt-deux.» «Lorsque Joseph Kabila est arrivé», le revenu par tête d’habitant s’élevait « à 90 dollars». Selon lui, ce revenu « plafonne à 200 dollars ». Certains experts avancent le chiffre de 104 dollars. Muzito qui reconnaît que «nous n’avons pas non plus d’épargne : à peine 2 milliards de dollars», ne paraît nullement troublé par l’afflux de banques commerciales dans un pays considéré, à tort ou à raison, à "haut risque" pour les investissements. Des banques dont l’activité principale se limite à recevoir des dépôts et à assurer des transferts pour les comptes de certains commerçants libanais et indopakistanais. Aucun crédit n’est accordé aux ménages ou aux entreprises appartenant aux nationaux.

Interrogé sur persistance de la «corruption» et les «passe-droits», le chef du gouvernement congolais a réagi plus en homme de la rue qu’en homme d’Etat. Il a tenté de manière malhabile de trouver des «causes d’excuse» aux fléaux stigmatisés en lieu et place d’indiquer les mesures prises par son gouvernement pour les éradiquer. C’est à croire que la corruption est une fatalité. Selon Muzito, «le contexte matériel» au Congo «ne prédispose pas à un comportement plus moral.» «Le pays s’est paupérisé à un point tel que les gens ont développé certains comportements pour survivre. Toute la société gangrenée.» Le Premier ministre qui considère qu’on ne peut évaluer l’action de «Kabila» que de 2006 à 2011 estime que le changement ne peut se réaliser que «dans la durée».

Comment explique-t-il que quelques personnalités construisent autant, à Kinshasa notamment, si le pays est si pauvre?, demande le journaliste en l’occurrence Tshitenge Lubabu. Réponse à l’emporte-pièce : «(…) le développement de l’économie commence toujours par des îlots. Par ailleurs, on ne peut pas dire que ces bâtiments soient la seule propriété des ministres. Des dirigeants construisent grâce à des partenaires avec des promoteurs immobiliers.» On dit que lui-même, il s’est beaucoup enrichi grâce sa position…Réponse : «Ce sont des rumeurs. Je peux simplement vous dire que je ne peux pas devenir plus pauvre que je ne l’étais avant d’entrer en politique. J’avais déjà des biens immobiliers.» Pour la petite histoire, Muzito est notamment propriétaire d’une chaîne de radio-télévision.

Blanchiment

A propos du «boom immobilier» perceptible dan la capitale, Muzito n’a pas non plus dit la vérité. Des analystes sont stupéfaits par ce phénomène alors qu’il n’existe pas de banque de l’habitat qui accorde de crédit immobilier dans le pays. Les mêmes analystes s’arrachent les cheveux pour connaître l’origine des capitaux en circulent. Des capitaux qui ne transitent jamais par le circuit bancaire. Conclusion : il ne peut s’agir que du «blanchiment». L’année dernière, le sénateur Florentin Mokonda Bonza (Opposition) tirait la sonnette de l’alarme : «Je ne cite pas des noms. Je vous dis tout simplement, si vous voyez qu’il y a plusieurs buildings qui se construisent, d’où vient l’argent?». Pour ce parlementaire, "le Congo est aujourd’hui une terre qui accueille tous les mafieux, qui viennent pour blanchir des fortunes qui ont été acquises illégalement ailleurs ". Et d’ajouter : " Le Congo est devenu une sorte de paradis fiscal ". Où est passé l’Interpol?

Dans une correspondance adressée au secrétaire exécutif de la cellule nationale des renseignements financiers à la Banque centrale du Congo, Leny Ilondo et Nioni Masela, respectivement président et secrétaire générale adjointe de l’Ong "SOS Kinshasa" écrivaient notamment : « (…), nous sommes surpris, tout comme le reste des kinois, par la vitesse avec laquelle les promoteurs immobiliers érigent des immeubles en hauteur dont les coûts d’investissement dépassent généralement trois millions de dollars américains le building. Ces dépenses ne sont pas couvertes par des prêts bancaires octroyés par le système financier congolais, ni par les banques de développement régionale, ni par un organisme de financement approprié au niveau international tel Shelter Afrique ou la Société Financière Internationale. Nous sommes en droit de nous poser des questions sur les origines financières de ces millions de dollars. (…).»

Dans cette interview avec « Jeune Afrique», Adolphe Muzito se présente par ailleurs en un adversaire farouche de la décentralisation. Celle-ci est pourtant inscrite noir sur blanc dans la Constitution. «Comment décentraliser un vide ?, s’est-il interrogé. Quel est le budget de nos provinces, de nos villes de nos territoires ?» Le Premier ministre reconnaît néanmoins que les provinces du Katanga, de Kinshasa et du Bas-Congo – et dans une certaine mesure le Nord Kivu et le Sud Kivu – font exception. Question : Pourquoi la décentralisation n’a pas été menée de manière progressive ou expérimentale en commençant par les Régions les plus viables? Absence de volonté politique ?

Quel rapport entretient-il avec « Kabila » ? Selon Muzito, les rapports sont
«bons». Pour lui, le président sortant est un «camarade de gauche». La justice, la solidarité, la liberté et surtout l’égalité de conditions sont des valeurs chères à la gauche. Il faut espérer que les "gauchistes autoproclamés" que sont «Joseph Kabila» et Adolphe Muzito le savent…

 

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