Congo : entre déliquescence étatique et aspirations démocratiques
La R.D. Congo représente, aujourdhui encore, un vrai paradoxe : un pays riche en minerais et en ressources naturelles de toutes sortes, et un peuple qui croupit dans une misère croissante, mais qui tient toujours debout malgré les épreuves. Une mauvaise gestion politique et étatique, tributaire dun passé qui a laissé des traces et dont les travers atteignent aujourdhui des proportions inouïes, semble être la cause principale de cette incroyable situation.Il y a au départ une mauvaise conception de lEtat : le modèle étatique colonial était basé sur un mode opératoire orienté dabord vers lexploitation et la " rentabilisation " de la colonie au profit de la métropole, et pas pour être au service des citoyens. Les successeurs des administrateurs coloniaux nont pas su inventer un autre modèle étatique ; et toute la gestion postcoloniale a évité de reposer la question de lÉtat, ou mieux lÉtat lui-même a été " privatisé " au profit des nouveaux pouvoirs de type néocolonial.
Le Parti-État, la misère et l'insécurité
Dès la décolonisation, le Congo traverse une série de crises dues à limpréparation des cadres locaux à gérer le nouvel État, mais aussi à la volonté de nombreux acteurs étrangers de perpétuer un modèle néocolonial. Quand Mobutu prend le pouvoir en 1965, un " nouvel ordre " simpose au Congo. Et à lordre colonial dexploitation de la colonie, à la violence de la guerre froide et des volontés dhégémonie dun bloc et dun autre, à lappétit dévorant des intérêts économiques dici et dailleurs, va se substituer une force de synthèse : le mobutisme est né. Synthèse cependant autrement plus destructrice que ne létait lensemble de ses éléments agissant séparément. Mobutu fait de son parti unique un Parti-État ; le chef du Parti-État est par conséquent au-dessus de lÉtat, et se sert de celui-ci pour consolider son pouvoir, pour contrôler toutes les ressources et les redistribuer à sa guise. Mais en consolidant son pouvoir, il oublie une des leçons majeures du " succès " de lentreprise coloniale : sa trinité. Il bouscule lÉglise ou les Églises, réduit sensiblement leur influence morale et éducative, et sape ainsi certaines grandes valeurs dont celles-ci étaient porteuses et qui contribuaient à la bonne marche de la société (avant de les subjuguer). Il ruine les entreprises, et oublie que cest notamment delles que dépend la bonne santé de léconomie ; il détruit ladministration publique ; pire, Et même larmée sur laquelle il croit asseoir son pouvoir, progressivement " tribalisée ", clochardisée, devint un colosse aux pieds dargile et un vrai facteur dinsécurité.
Mais si la misère généralisée et le délabrement accéléré des infrastructures ont mis en évidence la destruction progressive du tissu économique, peu dobservateurs ont porté lattention à laffaiblissement progressif de lappareil étatique durant ces années. Néanmoins, (comme le pouvoir colonial), le pouvoir de Mobutu a laissé au moins deux traces indélébiles : dun côté (en positif) un fort sentiment dappartenance (ou didentité) nationale, qui aurait dû servir à consolider lÉtat ; dun autre côté (un fléau) une mentalité de prédation et de non-respect des biens de lÉtat, qui va continuer à gangréner et à détruire celui-ci !
Quand senclenche au Congo le processus dit de " démocratisation " entamé en 1990, la population autant que les observateurs et partenaires extérieurs croient trouver là un remède aux problèmes du Congo. Pour les uns et pour les autres, la " démocratie " viendra tout arranger.
Les "seigneurs de guerre"
Mais les disputes pour le contrôle de ce qui restait des structures étatiques vont vite plonger le pays dans une série de crises ou de conflits, politiques dabord, puis militaires ensuite, et faire de la RDC presque un simple territoire non contrôlé, tombant successivement aux mains de prédateurs de toutes sortes. A partir de 1996, suite à lenlisement de la première transition démocratique qui na rien changé, une nouvelle catégorie dacteurs entre en scène : les " seigneurs de guerre ", armés et parrainés par des puissances étrangères. Dabord sous légide de Laurent-Désiré Kabila, qui chasse Mobutu du pouvoir ; ensuite sous divers autres apprentis " rebelles ", reproduisant le même schéma, mais cette fois-ci pour combattre L.D. Kabila, aussitôt qualifié de dictateur aussi.
Ces " seigneurs de guerre " apparus pour la " libération " du Congo ont généralisé et banalisé la violence ou lusage de la force comme mode daccès au pouvoir, ou comme moyen daccéder aux ressources étatiques et de les contrôler. Pays voisins, acteurs politiques ou économiques locaux, industriels étrangers, groupes maffieux de toutes sortes, nouent désormais des alliances de diverses natures pour faire converger leurs intérêts et " rentabiliser " leurs " investissements " dans un pays devenu " self service ".
Un État qui fonctionne, dans ce cadre, nest ni une priorité, ni un réel souhait. Plutôt que de consolider lÉtat ou de redéfinir le schéma dun meilleur vivre ensemble, le processus de démocratisation a été réduit à une simple compétition politique en vue de lacquisition ou du contrôle du pouvoir étatique.
Affaiblir et contourner l'État
Laffaiblissement de lÉtat nest cependant pas leffet des seules forces locales ou régionales. Face à la généralisation des dictatures et des détournements des deniers publics autant que des aides internationales, plusieurs organismes et experts internationaux avaient cru trouver dans laffaiblissement ou le contournement des Etats un moyen déviter de tomber dans le filet des dictateurs, et avaient ainsi longtemps préconisé lappui à des entités décentralisées ou à des acteurs indirects soit pour susciter le développement, soit pour soulager la misère des populations ; tout ce qui était étatique était donc progressivement diabolisé, au lieu de se limiter à stigmatiser les dictatures et les systèmes autocratiques. On en vint ainsi même à se demander si lEtat importé était bien adapté aux réalités africaines !
Dans ce contexte de marginalisation et de " criminalisation "de lÉtat, peu de gens ont pu voir dans laffaiblissement de celui-ci une des causes plausibles, ou en tout cas un élément facilitateur de toutes les crises que le Congo traversera par la suite. Sans armée digne de ce nom, sans aucun contrôle de sa population, sans régulation économique quelconque, le pays ne pouvait quêtre livré en pâture à des appétits féroces de toutes sortes.
Pour sortir de la guerre, une deuxième transition a été mise en place, avec un régime qualifié de " 1+4 ", le président Joseph Kabila étant assisté de quatre vice-présidents dont trois choisis parmi ses adversaires ou protagonistes de la période des guerres. Mais là aussi, tout a été focalisé sur le partage du pouvoir ou la légitimation des pouvoirs acquis, sur des élections sensées concrétiser le rêve populaire dinstauration démocratique ; oubliant que sans un État qui fonctionne, tous les efforts de pacification, de démocratisation, de décentralisation, etc. sont voués à léchec.
Des élections qui ne changent rien
La transition " 1+4 " a débouché sur lorganisation des premières élections pluralistes, sous légide de la Communauté internationale. Le vainqueur, Joseph Kabila, a mis en place une nouvelle coalition, un alliage danciens mobutistes et dex-seigneurs de guerre, pour gérer le Congo. La " démocratie " est là (des élections ont eu lieu), mais le Congo ne sen porte pas mieux, la corruption ne fait que croître, les Congolais ne vivent pas mieux quavant (le dernier rapport du PNUD sur lindice de développement humain place le pays en dernière position dun classement mondial). Cest que les acteurs politiques au pouvoir et leurs alliés extérieurs ont à leur tour récupéré et instrumentalisé lÉtat à leurs comptes, en reproduisant un style de gestion étatique qui leur permet daccaparer plus allègrement le contrôle des ressources disponibles.
Dans un tel contexte, ce ne sont pas des simples élections ou la seule légitimation des détenteurs du pouvoir étatique qui suffiront à faire changer les choses. Le souci de tous les acteurs soucieux du bien-être des populations et du redressement du Congo devrait désormais se focaliser davantage sur la redéfinition et la consolidation dun État au service du bien-être des citoyens.
Dieudonné Wamu Oyatambwe