Le Cri d’Alarme d’un prêtre congolais à Monsieur Didier REYNDERS

  Avec une attention particulière, nous suivons  vos différentes déclarations soit au Parlement soit dans les médias, depuis que vous êtes  ministre des Affaires étrangères,  sur la situation qui prévaut actuellement en RD Congo.

 

Vous êtes, avec tant d’autres citoyens d’un pays de droit, d’une société démocratique, qui
se réfère à chaque circonstance à la constitution et aux lois  belges
pour résoudre tout   problème
qui se pose dans la société. Et vous particulièrement, cela figure
dans le  texte du serment que vous avez prêté devant Sa Majesté le Roi

Puis-je vous rappeler que,  pour les élections en RD Congo, existe
une 
loi Electorale qui est considérée comme le garde-fou du
processus électoral. Cette loi électorale stipule dans ces
  articles ci-après :

  Art 89  Est puni d’une servitude pénale principale de six mois à cinq ans et
d’une  
amende de 100 000 à 500 000 Francs
Congolais :

           
1.
 Toute personne qui soustrait des bulletins ou pose des actes susceptibles de
fausser les résultats du vote ;

           
2.
 Tout
membre de la Commission électorale nationale indépendante ou de sa
représentation locale qui facilite
la fraude au cours du déroulement des opérations locales. Il est, en
outre, puni de la déchéance de ses droits politiques pendant une période
de six ans

 Art 95  Est puni d’une servitude pénale principale de cinq ans et
d’une amende de 100 000 à 500 000 Francs Congolais ou de l’une de ces peines seulement quiconque :

      1. falsifie le relevé du
dépouillement
ou le procès verbal des opérations
électorales ;

     
2. détruit sciemment un bulletin de vote
avant la fin des délais de contestation de  l’élection. Il est, en
outre, privé de ses droits politiques pour une durée de six ans.

Art 96  La contrefaçon des bulletins de vote est puni de mêmes peines que le faux  en écritures, conformément au
code pénal.

Puisje vous rappeler que vous êtes Ministre d’un pays de l’Union européenne, qui a déployé des observateurs au Congo pour les élections du 28 novembre 2011. Dans son rapport, la
mission de l’Union européenne écrit entre autres ceci au sujet de la
falsification des résultats des élections au
Congo: « La procédure de compilation des résultats au niveau des CLCR
devait être garantie par plusieurs garde-fous, notamment, la présence
des témoins des candidats/partis politiques à toutes
les étapes de la compilation, leurs signatures de la fiche de
compilation et du procès verbal ainsi que l’affichage public des
résultats agrégés au niveau du territoire(article n°70 de la loi
électorale). Cette dernière étape a connu plusieurs entorses qui
obligent à poser la question de la crédibilité des résultats de
plusieurs CLCR. Les procédures ont été jugées peu transparentes par
les observateurs et les observatrices de la MOE UE au Katanga, dans le
Sud
Kivu,
à Kinshasa et dans la province Orientale où plusieurs des
candidats/partis politiques et observateurs ont été
empêchés d’observer l’ensemble des étapes de la compilation. Enfin, en
contradiction avec la loi électorale, le bureau de la CENI a demandé à
plusieurs CLCR de ne pas afficher immédiatement les
résultats de la compilation mais de les envoyer d’abord au siège de la
CENI afin de réaliser un contrôle de cohérence. Les observateurs ont
été témoins de cette entorse à la loi à Goma,
Mbandaka, Mbanza-Ngungu, Kinshasa, Kisangani et Lubumbashi. »

Ce n’est pas tout. La MOE UE note encore : « par
ailleurs les résultats provisoires restent caractérisés par un manque
de transparence. Si la CENI a
finalement publié des résultats détaillés par bureau de vote, ils ne
comprennent pas le cas des procès-verbaux de chaque BV établis à la fin
du dépouillement. Ces résultats ne reprennent que la
saisie informatisée des PV, réalisée au sein des CLCR, parfois sans
témoins. Plusieurs résultats de PV rendus publics le soir du dépouillement et observés par nos équipes sur le terrain
notamment à Lubumbashi, ne correspondent pas avec ceux publiés par la CENI. »

 Excellence Monsieur le ministre,

     
Vous avez été le premier à reconnaître cette vérité de  votre mission
d’observation quand vous avez regretté que la cour suprême de justice
congolaise n’ait pas examiné sereinement et profondément la requête
introduite par Monsieur Vital kamerhe.
Aujourd’hui
, vous soutenez la thèse invraisemblable que toutes les entorses faites à plusieurs étapes, et la falsification des résultats, et la disparition des fiches originales des résultats, n’ont pas changé l’ordre d’arrivée !

C’est une très une grande surprise pour le peuple congolais. René Descartes  n’était ni africain ni
congolais. Pourtant
,
 son syllogisme que  nous avons appris disait que lorsque les prémisses  sont

fausses, la conclusion l’est automatiquement. Comment expliquer que
pour les résultats qui manquent de transparence dans leur procédure de
publication (la falsification des PV et la disparition des
fiches originales des résultats), l’ordre
d’arrivée des candidats soit évalué vrai ? Comment expliquer que la
conclusion soit vraie  avec des
prémisses fausses ? Cet ordre d’arrivée dont vous parlez, c’est par
rapport à quoi ? Est-ce par rapport à un vainqueur prédéfini par votre
famille politique le MR ?  Si on s’en tient
à la loi électorale telle que nous l’avons évoquée ci
haut, logiquement parlant, avant de parler de l’ordre d’arrivée, on devrait d’abord  sanctionner pénalement tous
ceux qui ont contribué à la falsification avérée des résultats.

Excellence Monsieur le Ministre,  Je
pense que le vrai
ordre d’arrivée, c’est le respect de la volonté du peuple congolais.
Laurent Gbagbo a été délogé par la force, parce qu’il n’avait pas
respecté la volonté des Ivoiriens, malgré sa prestation de
serment. Kadhafi a été tué parce que, disait-on, il était dictateur et
il ne respectait pas la volonté du peuple libyen. La Communauté
Internationale
, dont la
Belgique
, avait largué son artillerie la plus
lourde pour se débarrasser de lui  parce qu’elle voulait le bien du peuple libyen. Comment expliquer que vous
, qui prônez la démocratie et 
l’Etat de droit
, vous ne puissiez pas respecter et
écouter le peuple congolais
, qui aspire aussi à la
justice
, à la
démocratie
, et au bien-être comme tous les peuples
de la terre. Comment expliquer que vous
, qui
prônez la transparence dans la
gestion de la chose publique, la moralité dans la vie politique, la
rectitude et l’honnêteté, vous puissiez encore soutenir des  tricheurs
et des fraudeurs ?

Pensez-vous
que le peuple congolais ne mérite pas aussi une certaine dignité et un
certain respect dans son autodétermination et dans ses aspirations les
plus profondes? Lors d’un de ses voyages en Afrique, le président
français, Nicolas  Sarkozy avait dit que
« les Africains ne sont pas encore entrés dans l’histoire. »
Aujourd’hui que nous voulons nous frayer notre route pour entrer dans
cette histoire par la grande porte, pourquoi vous ne
voulez pas nous faciliter la tâche ? Quel intérêt  la Belgique
a-t-elle d’avoir un  Congo faible et mal gouverné ? Croyez-vous qu’un
Congo bien portant ne
constituerait
pas aussi une garantie pour  les intérêts de la
Belgique ? Croyez-vous qu’un Congo dirigé par Etienne Tshisekedi serait un Congo fermé
, sans contact avec le Nord dont la Belgique ? Croyez-vous qu’un Congo dirigé par Tshisekedi n’aura pas besoin de
la technologie de pointe  et de l’expertise de la Belgique ou des hommes d’affaires  belges ?

Je sais très bien que la situation de la RDCongo est une histoire des gros
sous
, avec des multinationales qui tirent les ficelles dans l’ombre. Cependant, en tant que prêtre, je viens faire appel à votre conscience de chrétien, car vous
l’êtes.
. Je
viens faire appel à votre sens de père de famille, car, vous avez aussi
des enfants qui ont du sang et de l’eau
dans leurs corps. Voyez que les enfants congolais veulent aussi jouir
de la vie comme vos quatre enfants à Liège. Les femmes congolaises
veulent aussi jouir de la vie comme votre épouse  à
Liège. Les familles congolaises veulent aussi jouir de la vie comme
votre famille à Liège.

J’en appelle à votre conscience. Je vous prie de voir l’intérêt du peuple congolais
et non les intérêts d’une personne  ou d’un
groupe de
personnes
. Vous êtes libre d’entretenir vos relations personnelles avec qui que ce soit, mais cela ne doit pas être au
détriment  de tout un   peuple.

De quel peuple congolais parlez-vous, Monsieur le Ministre, à travers toutes vos
déclarations ? S’agit-il vraiment de
ce
peuple qui manifeste à
Washington, à Londres, à Tel-Aviv, à Séoul, à Paris, à Bruxelles, à
Anvers, à Leuven, à Zaventem, à Rome, en Australie ou d’un autre peuple
congolais imaginaire,
que
, vous
seul et Joseph Kabila connaissez ? Le peuple congolais ne se retrouve
pas  dans ce peuple dont vous
parlez. Au pays, il est bâillonné. Il a peur de manifester à cause
de la sauvage répression qui s’ensuivrait, et vous le savez très bien. 

Ces
Congolais   qui manifestent  aujourd’hui à travers le monde,
croyez-vous qu’ils sont tous partisans de l’UDPS ou d’Etienne
Tshisekedi ? Croyez-vous que ce sont des voyous ?  Croyez-vous que ce
sont des opportunistes ? J’ose vous dire que
NON. C’est un peuple qui en a marre avec des tueries, des enlèvements,
de l’impunité, de
la
pauvreté grandissante qui ne cessent de croître en RDCongo malgré ses
innombrables potentialités. Le peuple
congolais s’est mis debout pour dire NON aux tricheurs et aux
fraudeurs. Il veut tenter une autre expérience, comme l’a fait le peuple
belge en 1999 afin que les libéraux accèdent au
pouvoir.
 Comme
disent les Evêques congolais dans leur dernière déclaration sur les
élections : « on ne dirige pas un
pays par défi. »  Il est pratiquement impossible de « diriger un pays
contre la volonté populaire », dit la Mémoire de la Révolution
française.

En 2006, je vous avais adressé une correspondance à travers laquelle, je  me
plaignais des différentes violations des droits de l’homme en RDCongo et vous me répondiez  en ces termes : « Je
tiens à vous assurer sur le fait, que lors de mes 
contacts officiels avec les représentants congolais, j’insiste
systématiquement sur la préoccupation des autorités belges de voir se
développer en République Démocratique du Congo , comme dans
d’autres Etats de la région, un Etat de droit respectueux des droits
de l’homme et des valeurs démocratiques. Soyez assuré que je poursuivrai
dans cette voie.
 » (Cfr réponse du 06 07
2006, références CABFIN/DR/CG). Où en sommes-nous aujourd’hui
, après 11 ans de pouvoir de Joseph Kabila ?Où en sommes-nous avec la démocratie ? Où en sommes-nous
aujourd’hui
, après 50 ans d’indépendance nominale ? Est-il normal qu’après  50 ans
d’indépendance
,  les Congolais soient en retard de 50 ans  en matière de développement ?

Comment est-il possible que vous continuiez toujours à défendre avec force un tel régime ? Est-ce que ce  que vous défendez
aujourd’hui en RDC  correspond aux valeurs  démocratiques auxquelles vous croyez ? Existe-il
 deux
démocraties ? Une à l’africaine et une autre à l’européenne ?
Croyez-vous qu’il n’y a que le peuple
hongrois qui mérite du respect ?  Pendant que je vous écris  cette
lettre,  ce 23 janvier, on vient  de m’apprendre de Kinshasa que deux
étudiants viennent  d’être
tués au niveau du rond-point Ngaba   par des mercenaires recrutés par
Joseph Kabila
. Ils ont été tués parce qu’ils voulaient se rendre à la résidence du  Président Etienne Tshisekedi.

Comme
homme politique, l’histoire que vous écrivez vous poursuivra toujours
,  en bien ou en mal. Et le
jugement de cette histoire sera très sévère. Un proverbe congolais dit : « Ce n’est pas le jour où tu manges le crapaud que tu auras la gale. » 
Pour dire que les
résultats  des actes que nous posons aujourd’hui nous suivent
d’éternité en éternité, même si vous n’arrivez pas à voir
personnellement les fruits de ce que vous semez aujourd’hui contre les
Congolais, vos enfants, les enfants de vos enfants le sauront. En vous
mettant
 aujourd’hui  du côté des affameurs
et des tueurs du peuple congolais à cause de petits intérêts matériels, vous devez savoir
que même vos petits-enfants,
arrières-petits enfants
en payeront  le prix  tôt ou tard.

Lorsque, je rends  visite aux  personnes âgées dans des maisons de repos, on me présente de temps en temps certaines personnes qui
ont eu beaucoup d’argent dans leur vie.
 Ce
qui  est
frappant cependant,  c’est de constater que ces personnages sont
obligés  aujourd’hui de rester dans une petite chambre ou se déplacent
en
 chaise roulante. Ils n’ont pas emporté leur compte dans la maison de repos et ils n’emporteront rien dans la tombe. Cela interpelle
ma conscience de chrétien :
pourquoi ne  pouvons- nous
pas nous entraider à mieux passer bonnement ces quelques années sur  terre ?

Je me permets de vous dire qu’il n’est pas encore tard pour  que vous
puissiez vous mettre du côté du  vrai peuple congolais et non  du côté de ce peuple mythique
 dont vous parlez tout le temps dans les médias. C’est pourquoi, en tant que prêtre n’ayant
aucune ambition politique, je  viens  lancer  à votre intention
 ce
cri d’alarme, afin que vous puissiez vous mettre du vrai côté de
l’histoire.  Si
certaines réalités ne vous permettent pas de voir certaines choses
avec vos yeux, veuillez  au moins ouvrir  votre cœur de chrétien  pour
écouter le peuple
congolais
, abandonné dans cette galerie de souffrances.

Je
reste prêt à vous rencontrer  pour vous parler de vive voix si tel est
votre souhait. Mais j’espère surtout  que ce cri d’alarme du pauvre
prêtre  touchera votre conscience  de ministre et serviteur des
concitoyens
,  et  par surcroît celle du père de famille que vous êtes.
 

Veuillez croire, Excellence Monsieur le ministre, en l’expression de mes
sentiments distingués.

 Abbé Gilbert YAMBA,
prêtre

 

Rue Pannenhuis 19, 1090 Bruxelles

 

Té :     0479 414 942 Mail : gilbertyamba@yahoo.fr

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