02.02.12 Courrier international – Interview Jean Ziegler : les vrais bandits sont les multinationales

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Jean Ziegler

Courrier international Les populations perçoivent souvent ces “bandits” comme des justiciers. Ont-elles raison ?

Jean Ziegler L’exemple du Nigeria est particulièrement
instructif. Le delta du Niger est le plus étendu de la planète après
ceux de l’Amazone, du Gange et du Brahmapoutre. Le pétrole du delta est
exploité par une dizaine de sociétés étrangères, dont la plus puissante
est Shell. Cette région génère 90 % des revenus en devises du Nigeria.
Mais les populations locales ne profitent pas ou profitent très peu des
énormes revenus du pétrole. Au contraire : elles souffrent terriblement
de la destruction de leur environnement. Les rebelles décrits sont donc
des “gangsters patriotes”. Ils tentent de protéger la population. Ils
pratiquent le chantage sur les sociétés et redistribuent l’argent. Cela
est particulièrement vrai pour le Mend (Mouvement pour l’émancipation du
delta du Niger). Dans pratiquement toutes les villes et tous les
villages du delta, les combattants de ce mouvement peuvent compter sur
des réseaux de logistique clandestins efficaces et sur des caches
innombrables que la police fédérale et les troupes semblent incapables
de démanteler. Les prises d’otages à répétition ont permis au Mend de se
constituer un véritable trésor de guerre. Celui-ci est mis à profit
pour corrompre les membres des troupes d’élite nigérianes lancées à leur
poursuite et acheter aux officiers nigérians les armes les plus
sophistiquées.

La piraterie des Somaliens s’apparente-t-elle à une forme de redistribution ?

Certainement, les accords de pêche, imposés notamment par l’Union
européenne, ravagent jusqu’aux eaux territoriales. Ils ont ruiné la vie
de dizaines de milliers de familles de pêcheurs.

L’Afrique devient-elle la nouvelle terre des bandits et autres seigneurs du crime ?

Le banditisme au sens étymologique du terme [de l’italien bandito,
malfaiteur, hors-la-loi] est pratiqué par de nombreuses sociétés
multinationales occidentales, chinoises, indiennes. Je prends l’exemple
de Glencore, le deuxième trust minier du monde, dont le siège est à
Zoug, en Suisse. En Zambie, Glencore possède les Mopani Copper Mines. Le
gouvernement de Lusaka accuse le holding de Zoug de manipuler les
chiffres pour échapper aux taxes et aux impôts zambiens. Même problème
au Katanga. Glencore n’est pas seul dans son activité de faussaire.
D’autres sociétés – canadiennes, européennes – font de même. Résultat :
en 1982, le secteur minier fournissait 70 % des revenus du Katanga,
contre 7 % aujourd’hui.

Quel est le poids de la criminalité dans l’économie mondiale ?

Par sa puissance financière, celle-ci influence secrètement la vie
économique, l’ordre social, l’administration publique et la justice de
nombreux Etats. Dans certains cas, cette criminalité organisée dicte sa
loi et ses valeurs. De cette façon disparaissent graduellement
l’indépendance de la justice, la crédibilité de l’action politique, et
finalement la fonction protectrice de l’Etat de droit. La corruption
devient un phénomène accepté. Le résultat est l’institutionnalisation
progressive du crime organisé. Personne évidemment ne connaît sa part
exacte dans le produit mondial brut. Il existe cependant une
indication : le CD-Rom Crime.doc, qui inventorie les plus
importants cartels du crime organisé, contient plus de 100 000 entrées
provenant des 187 Etats membres de l’Organisation internationale de
police criminelle (OIPC, appelée familièrement Interpol).

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