10.02.12 La Libre – 3 QUESTIONS À Thierry Vircoulon

Thierry Vircoulon est directeur pour l’Afrique centrale à l’International Crisis Group (ICG). Nous l’avons interrogé sur les élections législatives congolaises.
– Vous avez étudié les résultats officiels des législatives du 28 novembre au Congo. Peut-on leur accorder plus de crédit qu’à la présidentielle qui s’est tenue le même jour et dans les mêmes conditions ? Pourquoi ?
A l’instar des résultats de l’élection présidentielle, ceux de l’élection législative semblent relever de la magie électorale plus que de la vérité des urnes. L’examen de ces résultats réserve quelques surprises. Par exemple, des écarts significatifs, dans certaines circonscriptions, entre le nombre de votants pour la présidentielle et pour les législatives, alors que ces deux votes se déroulaient le même jour. Dans la circonscription de Pweto au Katanga, par exemple, les électeurs auraient été, selon ces résultats, plus intéressés par le fait d’élire leur député que leur Président : il y a eu plus de 6 000 votants de plus à la législative qu’à la présidentielle. Même constatation dans la circonscription de Kalemie : les électeurs auraient été plus de 3 000 de plus à déposer leur bulletin dans l’urne “législatives” que dans celle réservée à la présidentielle.
Quelles sont les principales tendances qui se dégagent des résultats officiels ?
-Une fragmentation accrue du paysage politique et un renouveau du côté de l’opposition. L’Assemblée nationale passe de 69 à 98 partis ! Sur ces derniers, la moitié n’ont qu’un seul élu et seuls onze partis ont plus de dix élus. Des micropartis qui ont entre 1 et 3 élus et une représentativité ultra-locale ont proliféré, au grand dam de ceux qui voudraient une assemblée plus simple à gérer. Ce sont eux la vraie surprise. On remarque aussi que du côté de l’opposition, il y a une érosion “naturelle” du MLC (NdlR : le parti de Bemba) au profit des deux nouveaux venus de ce suffrage : l’UDPS (NdlR : parti de Tshisekedi) et l’UNC (NdlR : parti de Kamerhe). L’UDPS peut maintenant se prévaloir du titre de champion de l’opposition, tandis que l’UNC arrive juste après le MLC avec 17 élus. La question est bien sûr de savoir dans quelle mesure une alliance de l’opposition est possible. Ceux qui l’avaient déclarée impossible avant le scrutin n’avaient pas écarté l’hypothèse d’une alliance postélectorale dans l’hémicycle.
Etudier ces résultats officiels vous a-t-il causé des surprises ? Lesquelles et pourquoi ?
-La géographie électorale de ces résultats surprend. Certes, on voit bien les bases ethno-provinciales de certains partis : l’UNC dans les Kivus et surtout le Sud Kivu, l’UDPS dans les Kasai, le MLC dans l’Equateur, etc. Mais, selon les résultats officiels, le parti au pouvoir, le PPRD, réaliserait des progressions très importantes dans des provinces de l’ouest qui lui sont traditionnellement fermées, voire carrément hostiles. Dans l’Equateur, qui était le fief du MLC il y a cinq ans, le PPRD passerait de 3 à 11 députés de 2006 à 2012 ; au Bandundu, il détrônerait presque le PALU (NdlR : parti de Gizenga et du Premier ministre Muzito) en passant de 4 à 10 députés, soit un élu de moins que le PALU, dont c’est le fief historique. Etrangement, la baisse de popularité du PPRD à l’est (Katanga et les Kivus) serait contrebalancée par une progression à l’ouest.
Je ne doute pas que le parti au pouvoir explique cela par son travail de terrain mais cela laisse tout de même songeur. Il est clair qu’avec 61 députés, le PPRD devrait obtenir le poste de président de l’Assemblée. La question se pose de savoir s’il fera un doublet avec le poste de Premier ministre ou s’il le laissera à une formation de la majorité présidentielle. Il faut souligner, en outre, que l’après élection n’est pas sans problèmes : il faut trouver des fonds pour les élections provinciales ; il faut organiser de nouveau des élections dans les 7 circonscrptions où elles ont été annulées, comme dans le Masisi (Nord Kivu) où le CNDP (NdlR : parti issu de la rébellion de Laurent Nkunda) veut faire son entrée politique ; il faut gérer l’énorme contentieux électoral ; il faut gérer des tensions locales car les communautés tiennent toutes à avoir leur représentant à Kinshasa. Et surtout, il faut être capable d’accepter l’opposition et respecter la minorité politique.
Congo : quelle solution ?
Par Marie-France Cros
Un pays divisé. Un Président disparu (on ignore où Joseph Kabila se trouve depuis son départ, le 5 janvier, pour sa ferme katangaise) après sa proclamation contestée comme vainqueur de la présidentielle. Une population dont plus de la moitié est ulcérée par l’ampleur de la tricherie électorale, tandis que le reste redoute des violences. La perte de plusieurs millions de bulletins de vote. Une Assemblée nationale non crédible et un Sénat dont l’élection indirecte est renvoyée sine die avec le report non daté des élections provinciales. Une communauté internationale que son silence ennuyé devant l’énormité du scandale a dépouillée d’une grande partie de la confiance que lui vouaient les Congolais…
Le processus électoral conduit par la Commission ad hoc dirigée par le pasteur Ngoy Mulunda est une catastrophe. Et c’est bien celle-ci qui doit être critiquée et non “les Congolais”. Ces derniers ont rempli leur devoir électoral avec une remarquable maturité, utilisant leur vote pour sanctionner ceux qui n’ont pas rempli leurs promesses de 2006 et surveillant les agents électoraux – ce qui a permis de découvrir de larges pans de la fraude organisée. Combien d’électeurs, ailleurs, seraient restés en alerte quelque 24 heures durant pour préserver la vérité des urnes ?
Les voix se sont multipliées pour déclarer les scrutins non crédibles : les observateurs nationaux et internationaux, l’Eglise, la société civile… Toutefois, si toutes les solutions proposées pour remettre le Congo sur la voie légale s’entendent sur l’absolue nécessité de remplacer le bureau de la Commission électorale, on diverge sur la suite (recomptage des voix, nouvelles élections – mais sur quelle base constitutionnelle ?….) et aucune mesure suggérée ne connaît un début de mise en œuvre.
La Belgique et l’Union européenne avaient sévèrement jugé l’absence de crédibilité de la présidentielle congolaise, réclamant plus de sérieux pour les législatives. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, après que les efforts internationaux pour assister la Commission électorale congolaise ont tous été rejetés. Et que fait la communauté internationale ? Elle demande plus de sérieux pour le scrutin provincial, déjà remis sine die !
Force est de constater que ceux qui ont les moyens d’agir préfèrent le pourrissement au risque d’une prise de position claire. Sans voir que ne rien faire leur sera compté comme un choix politique lorsque les élections congolaises seront devenues un cas d’école.

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