15 02 12 RFI – Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France à Kinshasa : «Katumba Mwanké était très craint»
RFI
: Pierre Jacquemot, vous avez connu Augustin Katumba Mwanke. Quest-ce
qui faisait sa force dans lappareil dEtat congolais ?
Pierre Jacquemot : On
lappelait léminence grise, le cerveau politique, on lappelait aussi
lautorité morale. Ce qui faisait sa force cest son intelligence, sa
parfaite connaissance des dossiers, mais également sa proximité avec le
président Joseph Kabila, quil a connu avant que celui-ci ne devienne
président. On raconte quil aurait sauvé la vie de Joseph Kabila,
lorsque les troupes rwandaises attaquaient la ville de Bweto. Cétait en
2000. Joseph Kabila était dans une forêt et Katumba Mwanke, qui était à
lépoque gouverneur du Katanga, aurait envoyé un hélicoptère pour le
sauver.
RFI
: Au moment de lassassinat de Laurent Désiré Kabila, Katumba Mwanke
était donc gouverneur du Katanga. Quel rôle a-t-il joué dans la
succession entre le père et le fils ?
P.J. : On
ne sait pas trop. On sait simplement que du fait de cette proximité
avec Kabila père puis avec Kabila fils, il aurait pu jouer le rôle, un
peu, de Mazarin. Il a une certaine influence dans la formation politique
du jeune Kabila. Il a certainement joué un rôle, aussi, pour retirer de
lentourage immédiat du jeune président un certain nombre de caciques
de la période Kabila père, pour lui donner plus de liberté daction.
Donc il a eu un rôle certainement important dans son apprentissage du
pouvoir.
RFI
: Après linstallation de Joseph Kabila au pouvoir, Katumba Mwanké
reste auprès du nouveau président. On dit que toutes les décisions du
régime dans le secteur minier, et notamment le contrat chinois de 2007,
cétait lui.
P.J. : Cest
exact. En fait, Katumba Mwanké a eu un petit problème en 2002. Chaque
année, il y a un rapport denquête des Nations unies sur lexploitation
des ressources minières de la RDC. Il (Katumba Mwanké) a été cité dans
le rapport de 2002. Et donc, il a décidé à ce moment-là de prendre un
petit peu de recul et on la retrouvé ambassadeur itinérant… Nempêche
quil a eu un rôle effectivement important et cétait une personne très
réservée et surtout très crainte. Et il avait certainement la haute
main sur un certain nombre de portefeuilles ministériels, comme celui
des mines, des hydrocarbures, de lénergie. Il avait une influence très
forte dans ces différents domaines.
RFI
: Comment a-t-il réussi à échapper à la disgrâce, après ce rapport de
lONU de 2002 qui lavait épinglé, notamment sur la disparition de cinq
milliards de dollars de ressources minières ?
P.J. : Comme
beaucoup de rapports des Nations unies, il na pas été suivi deffets,
en termes de sanctions. Donc il sest fait simplement un peu plus
discret quauparavant. Mais de toute façon, cétait une personnalité
assez secrète. Il apparaissait très peu en public.
RFI
: On dit que cétait lui qui fixait le pourcentage des dessous de table
que les grandes compagnies minières internationales devaient payer pour
décrocher un contrat.
P.J. : Vous
savez, la République démocratique du Congo est la République des
rumeurs. Beaucoup dopérateurs économiques avaient lhabitude de voir la
main dAugustin Katumba Mwanké derrière toutes les opérations, y
compris les plus délicates. Alors cest très difficile de démêler le
vrai du faux. Je crois quil ne faut pas trop charger la barque et
incriminer une personnalité qui vient de mourir dans des conditions
terribles. Et il faut plutôt dailleurs, regarder létat des pistes
aériennes au Congo, et sinquiéter de cette situation de façon à pouvoir
sécuriser. Mais je crois que cest plutôt ça. Cest la priorité, plutôt
que daller chercher en permanence des histoires, sans pouvoir jamais
les prouver.
RFI : Donc vous croyez plus à la thèse de laccident quà celle de lattentat ?
P.J. : Je
crois à la thèse de laccident, absolument. Je nai aucune raison de
penser quil y a eu un attentat. Malheureusement, ce nest pas le
premier accident. Il y en a beaucoup. Les exemples sont,
malheureusement, très, très nombreux.
RFI : Mais en même temps, par son influence, est-ce quil ne sétait pas fait beaucoup dennemis ?
P.J. : Certainement.
Mais vous savez, ce pays a traversé tellement de drames ! Et encore
aujourdhui, il affiche une très grande fragilité. Et donc toutes les
personnalités politiques suscitent autour delles des réactions parfois
violentes et en tout cas, extrêmement tranchées. Personne nest
véritablement épargné dans ce pays.
RFI : Les fonds secrets de la présidence, est-ce lui qui les gérait ?
P.J. : Je
pense quil avait une certaine influence dans lorientation des
dépenses hors budget. Cest comme ça quon les désigne dans le
vocabulaire du Fonds monétaire.
RFI : Ce qui représentait de grosses sommes ?
P.J. : Cela
pouvait probablement représenter des grosses sommes, notamment nées des
négociations dans le secteur minier, les commissions ou les pas de
porte, mais également de plus en plus sur le secteur pétrolier du lac
Albert, et bientôt dans la cuvette centrale du pays.
RFI
: On dit que plusieurs ministres du gouvernement congolais devaient
passer par Katumba Mwanké pour pouvoir parler au président.
P.J. : Cest
fort possible. En tout cas, ce quon dit aussi cest que Katumba Mwanke
était la seule personnalité qui pouvait entrer dans le bureau du
président sans avoir préalablement pris de rendez-vous.
RFI : Après son décès, est-ce que Joseph Kabila est fragilisé ou pas ?
P.J. : Sil
est fragilisé, cest plus par les conditions qui ont prévalu pendant
les dernières élections présidentielles et législatives, dont
lorganisation était largement contestée et le dépouillement également, à
commencer par les Congolais et tout particulièrement lEglise
congolaise. Donc, il appartient à Joseph Kabila de conquérir sa
légitimité. Dabord auprès du Parlement qui vient de sinstaller, et
trouver une majorité crédible, mais également auprès de la population,
par laction quil doit mener. Et il y a beaucoup de choses à faire,
notamment au titre de ce quil appelle « les cinq chantiers ». Cest plus comme ça, à mon avis, quil doit raisonner.
Dans
cet accident dailleurs, il faut signaler quil y a eu également des
blessés, parmi lesquels des personnalités de grande qualité. Je pense
particulièrement au ministre des Finances, un autre conseiller du
président, au gouverneur du Sud-Kivu… Donc le drame a atteint plusieurs
personnalités et de nombreuses familles. Et je crois quon doit aussi
nous associer aux condoléances. Cest un drame congolais.