Thomas Kanza : réédition de « Sans rancune »

A propos de deux versions du roman, le communiqué évoqué signale en outre ceci : « Fait rare pour un roman, l’auteur a repris, près de quarante ans après sa première publication, l’écriture du texte de ‘Sans rancune’, en précisant ce qui avait été laissé dans le flou lors de la première mouture et en modifiant un élément essentiel du roman. Une modification qui permet au narrateur de débattre d’une question restée en suspens la première fois : si la paix entre communautés repose sur le pardon, le pardon lui-même exige-t-il l’oubli ? En d’autres termes : peut-on se souvenir sans se venger ? ».

« L’ouvrage, lit-on encore dans le même communiqué, s’ouvre aussi sur une introduction de Herbert Weiss, professeur émérite de l’Université de New York, sur le contexte sociopolitique de la jeunesse de Thomas Kanza (1933-2004), qui connut une longue carrière politique, diplomate (entre autres premier ambassadeur du Congo auprès de l’Onu en 1960, ministre des Affaires étrangères du gouvernement rebelle entre 1964 et 1966 et ministre du premier gouvernement Kabila) et universitaire (enseignant à Boston et Harvard, auteur de nombreux essais politiques). Repositionnant l’auteur et sa famille sur l’échiquier congolais autour de l’Indépendance du pays, H. Weiss rapporte ainsi une information inédite sur la fin de Patrice Lumumba : un pacte secret entre le leader congolais et la future administration Kennedy qui, s’il avait été appliquée, aurait changé la face de l’Histoire ».

Ne disposant pas encore de la nouvelle version de Sans rancune, à titre de rappel, voici le récit de la première version.

« SANS RANCUNE »

Tel est le message de réconciliation légué au héros par son père, le sage Mabwaka, et c’est sur ces généreuses paroles que lui-même conclut le récit de ses rencontres avec les Blancs. Le texte est composé de deux parties distinctes mais complémentaires. La première, dont l’action se situe au Congo, est une étude détaillée des rapports entre l’administration coloniale et les populations indigènes. La seconde, dont l’action se situe en Belgique, décrit les impressions d’un étudiant noir transplanté dans la métropole et découvrant avec surprise un nouveau visage de l’homme blanc.

Modeste employé de bureau au service de l’administration européenne, Kabuku, le narrateur, se trouve dans une situation privilégiée pour en analyser les rouages et pour en dénoncer les abus. Par ailleurs, fils d’un notable africain, il est également bien placé pour comprendre les réactions de ses compatriotes, tout en conservant une certaine distance par rapport à ceux-ci.

Son témoignage peut donc passer pour relativement objectif. En fonction de son expérience personnelle, les administrateurs coloniaux se divisent en deux catégories tranchées : d’un côté les mauvais maîtres, les tyranneaux stupides et arrogants du modèle Rolain, petit fonctionnaire borné, imbu de son autorité subalterne et fier de la terreur qu’il inspire. De l’autre, le s bons chefs, du type Pirot ou Herrens, sincèrement préoccupés du sort de leurs administrés, capables de parler la langue du pays, respectueux des coutumes locales, cherchant à collaborer avec les notables congolais. L’opposition, complaisamment soulignée dès le début, se manifeste de façon particulièrement spectaculaire lors de la cérémonie d’adieux organisée en l’honneur de Pirot. La foule profite de cette cérémonie pour prendre sa revanche et pour manifester ouvertement sa sympathie et son hostilité. Notons qu’une place à part est réservée dans le tableau au représentant de l’église, le père Félix, qui par générosité ou diplomatie, s’applique à contrôler les excès et à atténuer les heurts. De l’insolence voilée à la révolte ouverte, de l’administration naïve à la reconnaissance émue, le texte présente une gamme de réactions variées. Mais c’est probablement ce conseil donné par Mabwaka à son entourage qui résume le mieux la position globale de l’auteur : « Respectez celui qui vous respecte, négligez celui qui vous méprise ». « Sans rancune ».

Le voyage en Europe qui amène Kabulu à découvrir un nouveau visage du Blanc et à établir avec lui de nouveaux rapports permet du même coup de mieux comprendre le phénomène colonial. A son arrivée dans la métropole, le jeune Noir est frappé du changement soudain qui s’opère chez ses compagnons de voyage. Au choc culturel et au dépaysement s’ajoute pour lui la surprise causée par le comportement inattendu de ses anciens maîtres, brusquement dépouillés de leur prestige. Le redoutable Rolain lui-même n’est plus qu’une pauvre créature apeurée qui, dans le trouble causé par les funérailles de son père, balbutie machinalement et sans mesurer l’ironie de la situation la formule de paix tombée des lèvres du sage africain et que, toute rancœur enfin effacée, le fils répète avec ferveur et gravité : Sans rancune.

La nouvelle version de Sans rancune est publiée dans la collection « L’Afrique au cœur des lettres ». Dirigée par Jean-Pierre ORban, la collection s’attache au regard littéraire sur le continent africain en publiant ce que les écrivains ont dit ou disent aujourd’hui de lui sous diverses formes : romans, journaux de voyage, recueils d’articles, essais,…En présentant aussi des analyses de leur parole : comment celle-ci s’intègre dans leur œuvre, comment et pourquoi ont-ils écrit sur l’Afrique ?

PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO Université de Kinshasa

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