L’actualité de « Misère au point », un récit de Kangomba Lulamba, Lubumbashi, Editions Impala, 1988, 159 p

Il s’agit principalement de mauvaises conditions de salaire et de travail que connaissent les enseignants dans notre pays. Toutes les revendications exprimées par ces derniers sont toujours restées lettres mortes et les différents gouvernements qui se succèdent n’y donnent apparemment aucune solution. Est-ce un manque de volonté politique ou un réel manque de moyens financiers ? Au regard des dépenses politiques qui sont souvent débloquées- la récente campagne électorale en est un témoignage éloquent-, on est enclin à soutenir la thèse d’un véritable déficit de volonté politique.

De ce qui précède, que nous donne à lire Misère au point ? Après un long exil en Europe, Fulani regagne son pays, au service duquel il veut mettre honnêtement ses talents et son expérience acquise Outre-mer. Engagé comme enseignant dans un lycée de Lubumbashi, il y force vite l’estime et l’admiration de ses collègues et de ses élèves. Très vite, il découvre que le salaire des enseignants est misérable et difficilement payable. A propos de sa prise de conscience, le narrateur nous dit : « Peu à peu, il prit conscience des problèmes pratiquement insurmontables qui se posaient aux enseignants, avec une acuité toujours renouvelée. Il y avait d’abord l’alimentation. Et là, avec ce salaire de famine et ces prix toujours au galop, la situation empirait au jour le jour.(…) Il y avait ensuite le problème du port vestimentaire. Un professeur se devait d’être propre, présentable, exemplaire. Or, pour certains, c’était si tragique que cela tournait au comique. Possédant tout au plus deux pantalons et eux chemises, ils se livraient à des acrobaties inimaginables pour paraître propre et décents. Presque tous allaient dans les souliers usés, éculés, fatigués par la route et un usage trop prolongé. » (p.38).

Le sort de ces martyrs était de toutes les conversations. Curieusement, leurs élèves se le montraient du doigt et pouffaient, mimant leur démarche et ironisant leurs efforts maladroits pour cacher toute cette honte. Plus d’une fois, Fulani s’emporta contre quelques écervelés particulièrement méchants et sans cœur. Mais ce que Fulani trouvait de plus admirable, c’était justement cette obstination des enseignants, accrochés désespérément à leur métier des naufragés se cramponnant de toutes leurs forces au navire qui prend eau de toute part. Aussi, bien d’autres personnes s’apitoyaient sur leur sort et exaltaient la lutte implacable pour leur survie. C’étaient des vies rudes, dressées contre l’injustice que leur faisaient le pays et le destin, en dépit des diplômes qui échelonnaient leurs longues et éprouvantes années de formation. Pourtant, une certaine noblesse montait ces hommes ballottés, tiraillés, écrasés, essoufflés, humiliés, défiés, sacrifiés, portaient avec courage le poids de leur chair de pauvres. Leur silence même criait vengeance au ciel. Un ciel apparemment muet.

Cette misère, Fulani lui-même l’a vécue dans sa propre chair comme le témoigne ce passage : « Fulani n’avait jamais été de santé robuste. Aussi, cet état de disette endémique malmena-t-il son corps et son âme. Certains jours, des frisons longs et perfides lui fouraillaient les côtes et les entrailles. Il n’avait d’autres choix que de se jeter sur son lit, suffoquant, souffrant. C’était un mal redoutable, traître, pernicieux. Longtemps il restait prostré, après ces crises qui le laissaient tout pantelant ». (p.39).

Un mouvement de grève se déclenche. Fulani est hissé à la tête du syndicat des grévistes. Arrêté, molesté, il sera emprisonné. A sa sortie de la prison, une suite de malheurs l’attend : la mort de son ami Ngoie plaqué par sa fiancée qui aime passionnément Fulani, les avances assidues de Mwadi qu’il déçoit par son indifférence, parfois par sa violence, et sa propre mort : Fulani est frappé dans le dos par une main inconnue : « Fulani lutta contre l’évanouissement qui embrumait déjà son cerveau mais en vain. (…). Alors un cri strident, puissant monta dans la nuit et déchira l’ombre naissante. Un cri terrifiant, inhumain hurlant à la mort. Ce cri s’amplifiait, enflait démesurément modulant l’air autour de lui et le déchiquetant en fines gouttelettes de folie, de douleur et d’horreur… » (p.159).

Cette histoire, à la fois captive et tragique, sert de prétexte à l’auteur pour stigmatiser les maux dont souffre sa société : la misère (inscrite dans le titre même du récit), les conditions de vie infrahumaines pour les enseignants et les fonctionnaires de l’Etat, l’orgueil et l’ostentation des dirigeants politiques et des riches arrivistes, etc.

L’auteur, Kangomba Lulamba est né à Mweka, dans le Kasaï occidental le 11 mai 1955. Après des humanités littéraires au petit séminaire dans Kanzenze et un passage au Grand séminaire interdiocésain de Lubumbashi, il a obtenu en 1981 une licence ès lettres à l’université de Lubumbashi. Puis, il a été assistant et chef de travaux à l’Institut supérieur pédagogique de Lubumbashi. Actuellement, il vit en Belgique où il prépare une thèse de doctorat.

PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO Université de Kinshasa

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