Diaspora congolaise et élections communales (Guy De Boeck )

Les élections du 28/11/11 ont donné des résultats qui, en réalité, sont encore inconnus. Les fraudes les plus importantes ayant eu lieu au niveau des centres de compilation, on ne pourrait se rapprocher de la « vérité des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus. L’Eglise n’a jamais publié les résultats partiels constatés par ses observateurs. On n’a donc que des résultats dont la crédibilité est nulle. Les législatives ont été dignes de la présidentielle, sinon pires. Mais la CSJ a entériné les résultats de la présidentielle et des législatives. Le temps s’est écoulé, les résultats des élections demeureront à jamais inconnus. Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli.
Le Ministre de Affaires Etrangères, Didier Reynders, s’est distingué par des prises de position à la Chambre qui étaient nettement moins critiques que l’ensemble des commentaires des observateurs internationaux et par un voyage officiel en RDC décidé en toute hâte, moins sans doute pour être le premier de l’UE à y aller que pour pouvoir faire son rapport de voyage avant que l’UE ne fasse connaître le rapport définitif de sa mission d’observation, qui conclut à des élections « manquant de crédibilité ». Reynders, on le sait, croit bon d’estimer que les fraudes et irrégularités « ne sont pas en nombre suffisant pour modifier l’ordre d’arrivée des candidats », position absurde puisqu’elle postulerait que l’on connaisse le nombre exact des votes frauduleux et irréguliers, ce que personne ne sait. La lettre de Di Rupo, également, passe mal. Féliciter « le peuple congolais » (et pas Kabila) pour la « tenue » des élections (pas pour le résultat) et constater que JKK a été « reconduit » (pas réélu) était sans doute d’une subtilité trop florentine. On y a perçu une « lettre de félicitation à Kabila », c'est-à-dire le contraire de ce qu’elle était. Le tout dissimulait mal le fait qu’en matière congolaise, deux alliés de l’actuelle coalition gouvernementale, le MR et le PS, sont d’avis très divergent, mais ne peuvent pas se permettre de l’avouer, parce qu’après une crise gouvernementale de 500 jours et dans un contexte économique difficile en vue duquel on veut avoir aux affaires à la fois le parti qui peut se concilier les syndicats et celui qui chuchote à l’oreille du patronat, on ne met pas un gouvernement en péril pour une question de politique étrangère. Quoi qu’il en soit, la Belgique ne fait pas trop honorable figure dans l’affaire congolaise.
Mais, d’emblée, je voudrais dire fermement que certaines formulations utilisées, en l’occurrence, par les partisans de « l’onde choc », sont inadmissible et inacceptable. On lit, par exemple, des formulations comme « puisque la Belgique passe, à tort ou à raison, pour avoir fait ceci et cela, ripostons… » Il est inadmissible de prétendre poser un acte quelconque à tort ou à raison. Non seulement il faut avoir raison d’agir comme on le fait, mais il faut être capable de le démontrer, sans se référer à « tout le monde sait ceci » ou à « il est évident que cela ». Une telle légèreté dans l’expression est intolérable, et je préfère croire à un dérapage de la plume dans la chaleur de l’action.
Ceci dit, je sais, pour militer depuis plus de quarante ans en solidarité avec les Congolais, que faire usage de son droit de vote pour exprimer une approbation ou une sanction à propos d’un point de politique étrangère n’est ni simple, ni facile. Le système étant ce qu’il est, on nous demande de faire un choix entre des individus figurant sur des listes de partis, et cela en fonction du lieu que nous habitons. Nous n’avons doc pas forcément sous la main le nom de l’homme pour lequel nous voterions le plus volontiers. Il se peut aussi que l’homme politique que nous approuvons chaleureusement quant  ses interventions sur la RDC soit membre d’un parti qui a par ailleurs sur d’autres questions des positions qui nous paraissent mauvaises. Ou, à ‘inverse, le parti qui nous semble mériter notre approbation peut ne présenter, là où nous votons, que des candidats « imbuvables »…
Examinons les données du problème. Tout d’abord, parler d’une « onde de choc »  (heureusement, on n’a pas poussé les choses jusqu’à l’appeler tsunami), est nettement exagéré. Les Congolais représentent le premier groupe de l'immigration issue de l'Afrique subsaharienne. Quelque 40.300 Congolais et Belges d'origine congolaise vivent en Belgique, selon une étude réalisée par l'UCL. Selon cette même étude, 25.000 sont naturalisés belges, dont 77,5 pour cent sont nés à l'étranger. Sur ces Congolais et Belges d'origine congolaise 20% ont moins de 15 ans, 76 % de 15 à 64 ans, et 3 % plus de 65 ans, précise l'étude. Mais les originaires d’Afrique noire ne sont pas le groupe le plus nombreux de allochtones vivant en Belgique. Les Français par exemple, sont plus de 200.000. L’ensemble du corps électoral représente un peu plus de 7 millions d’électeurs. Il faut donc 70.000 voix pour représenter 1% du corps électoral. L’électorat congolais peut donc, à tout casser, représenter 0,5% de l’électorat global. Il est difficile de considérer cela comme une lame de fond !
En outre, la tactique que les promoteurs de « l’onde de choc » préconisent est de « punir » les politiciens belges wallons et francophones en donnant leur voix à des Flamands, de préférence à la NVA. Ce choix n’est en réalité possible qu’à Bruxelles où on trouve à la fois des listes francophones et néerlandophones. Les Congolais vivant en Flandre ne pourront de toute manière voter que pour des Flamands et ceux qui habitent la Wallonie, que pour des candidats wallons. Là, on n’a plus affaire à une « onde de choc », mais à une infime vaguelette.     
D’autre part, on peut quand même se demander s’il faut pousser les belgo-congolais de Flandre à voter d’une manière qui pourra leur valoir à l’avenir plus de tracasseries administratives quant à leur entrée dans la fonction publique ou à l’obtention d’un logement puisque les congolais, finalement, ne sont aux yeux des obsédés communautaires qu’une variété de francophones qui se dissimulent sournoisement derrière une autre couleur de peau. On leur souhaite d’autre part bonne chance si eux ou leurs proches doivent recourir aux aides ou aux assurances sociales car on les invite à peser, par le vote qu’on leur suggère, en faveur des thèses ultralibérales qui sont le programme économique de la NVA.
On ne peut que se demander si agiter une menace électorale, qui plus est lors d’un scrutin aussi dépourvu de liens avec la politique étrangère que les communales, était bien le bon choix. De quoi les Belges ont-ils besoin pour réagir aux événements congolais ? D’un « choc », grand ou petit ? Ou d’explications ?   
Poser la question, c’est y répondre. Et jusqu’ici, on y a mal répondu.
 

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