L'EMPRISE DE LA MORT SUR LA POPULATION DU KIVU (Néhémie BAHIZIRE)
Des
médiateurs partie prenante
Le comble d'ironie, le dimanche 13 mars 2012, le
ministre congolais de la défense a été convoqué à Gisenyi au Rwanda par son
homologue rwandais le général KABAREBE. C'est bien ce dernier qui avait organisé
et conduit le massacre de Tingitingi en R.D.Congo, considéré comme génocide par
le Rapport Mapping ; lui encore qui avait marché sur le Congo jusqu'à Kitona au
Bas-Congo, où il avait organisé une attaque pour prendre Kinshasa en 1998, qui
faillit par l'intervention des armées angolaise et zimbabwéenne.
Lors de
cette réunion de Gisenyi, le Rwanda s'est désigné médiateur entre sa créature de
rébellion M23 et le Gouvernement congolais. Du coup, le Rwanda a légitimé son
M23, en le mettant sur un pied d'égalité avec le Gouvernement congolais, car ne
peuvent négocier que des égaux. Ce même Rwanda autoproclamé expert en médiation
entre les rébellions et le Gouvernement congolais, ne veut jamais entendre
parler de négociation avec ses propres rébellions (FDLR et RUD).
Pour qu'il
y ait plus d'imbroglio, la même rébellion CNDP qui s'est muée en M23 réclame
elle aussi de diriger la médiation. Dans son communiqué du 29.04.2012, elle
déclarait que des unités militaires s'étaient soustraites des FARDC pour des
raisons de sécurité. « Malheureusement, ces forces font actuellement l'objet de
plusieurs attaques militaires, les forçant à se défendre », a affirmé le CNDP.
Ce mouvement qui combat la population du Kivu pour lui ravir ses terres, veut en
même temps être médiateur.
En quoi le M23 est-il utile au Rwanda ?
–
sur le plan militaire
La stratégie du M23 vise à interdire au Gouvernement
congolais de permuter en d'autres provinces du pays des soldats rwandais
déguisés en Force Armée de la R.D.Congo (FARDC), l'armée nationale congolaise.
Or, comme j'avais démontré dans mes précédentes publications, ces sont les FARDC
qui s'étaient intégrées au CNDP et non l'inverse.
Les deux provinces du Kivu
(Nord-Kivu et Sud-Kivu) sont systématiquement sous l'occupation des troupes
rwandaises sous couvert des FARDC. Cela est prouvé entre autres par le
rapatriement au Rwanda par la MONUSCO d'éléments soi-disant « FARDC » qui
désertent les rangs de l'armée . Pour faire d'une pierre deux coups, le M23
empêchera aussi l'arrestation du soldat rwandais Bosco NTAGANDA, devenu général
des FARDC et qui est sous mandat d'arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI)
.
– sur le plan économique
Le Rwanda est un petit pays qui ne vit que
grâce à la bouée d'oxygène de l'aide internationale et des ressources naturelles
qu'il pille au Kivu en R.D.Congo. Il n'exporte que des conflits ethniques entre
Tutsi et Hutu qui ont culminé par le génocide de 1994. Voici des exemples
d'exploitation illégale de ressources naturelles pour le compte du Rwanda :
–
Un collaborateur civil du bataillon Montana des FDLR (rébellion rwandaise hutu
opérationnelle au Kivu), a déclaré aux experts des Nations Unies qu'ils ont à
Kigali, au Rwanda, des intermédiaires leur facilitant la vente des minerais
qu'ils exploitent au Kivu .
– Les officiers militaires CNDP dont les noms
suivent ont été affectés à Walikale pour faciliter l'exploitation des minerais
(coltan, cassitérite, wolframite et or) au bénéfice du Rwanda : Col. YUSUF
MBONEZA, cmdt. de la 212ème brigade ; Col. CHUMA BALUMISA, cmdt. du 2ème secteur
; il vient d'être assassiné suite à un différent avec le Lt. KAZUNGU, mandaté
par le Gén. Bosco NTAGANDA, sur le partage de l'argent provenant des minerais ;
Col. ZIDANE ; Lt. KAZUNGU ; Col. Innocent ZIMURINDA, cmdt. de la 211ème brigade
; Cap. DJUMA, beau-frère du Gén. AMISI, alias TANGO FORT, Chef d'état major
général des FARDC, qui l'a affecté là-bas pour lui faire d'intermédiaire avec
les autorités de Kigali qui le soutiennent au Congo ; Cap. SADOK et Cmdt.
KATEMBO, tous deux de la 8ème Région militaire . Aussi, le M23 est-il une
pression rwandaise sur le gouvernement Congolais pour que cette situation de
Walikale et d'autres territoires du Kivu reste comme telle.
Le mouvement M23
a aussi pour mission de protéger les terres ravies par des TUTSI aux autochtones
HUNDE dans les territoires de Masisi et Rutshuru au Nord-Kivu et aux HAVU, TEMBO
et BASHI dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu. Le 3/5ème des terres de ces
territoires qui appartenaient aux autochtones sont désormais propriété des Tutsi
Congolais et autres venus du Rwanda, grâce à la force de la poudre à canon qui
fait la loi dans cette contrée depuis 1996.
– Sur le plan politique
La
force du fusil a permis au Rwanda d'imposer des personnes à son service au
pouvoir à tous les niveaux en R.D.Congo. Cela par le truchement de l'AFDL, du
RCD, du CNDP et des FRF. Même la majorité des chefs de quartier (entité
administrative de la base) dans la ville de Bukavu, ont été formés au Rwanda par
l'AFDL et le RCD. Aujourd'hui en R.D.Congo, c'est un moment de partage de la
proie – pouvoir – attrapée par la fraude électorale du 28 novembre 2011.
Sur
ce, la stratégie M23 fera bien l'affaire. Il y aura des postes au pouvoir pour
tous ces mouvements, lui compris. Ainsi, politiquement, le Rwanda fera-t-il main
basse sur la R.D.Congo par ses personnes placées au sommet de l'Etat et de
l'Armée jusqu'au niveau le plus bas de quartier.
Le Gouvernement
congolais laisse faire
Ces gens qui tètent aux mamelles du Rwanda voient la
situation s'empirer et laissent faire par peur d'offenser ceux qui les ont mis
au pouvoir et qui les protègent. Comment expliquer que l'ex-Chef d'Etat-major du
CNDP, BOSCO NTAGANDA, recherché par la CPI, ait été nommé n° 2 (en réalité n° 1)
dans le commandement de l'opération Amani Leo, en gardant en même temps à son
service des troupes de CNDP non intégrées aux FARDC et qui obéissaient à une
chaine de commandement parallèle ? Elles étaient payées par l'argent du
contribuable congolais, celui-là même qui est sous l'emprise de la mort. Le
Gouvernement congolais savait cela et laissait faire.
Les Nations Unies,
que cherchent-elles ?
Les Nations-Unies sont représentées en R.D.Congo par
une mission (MONUSCO) de 20.000 soldats. Ces troupes Monusco sont stationnées
tranquillement au Kivu et observent bonnement les multiples massacres des
populations civiles.
Lundi 14 mai 2012, à BUNYAKIRI en territoire de KALEHE
au Sud-Kivu, la population exaspérée par l'inaction de ces troupes, a attaqué
leur position par des jets des pierres et autres armes blanches et 11 soldats
pakistanais de cette mission ont été blessés. La goutte qui a fait déborder la
vase a été l'assassinat, la nuit du 13 au 14 mai, de 22 personnes et 15 autres
grièvement blessées par l'attaque de la rébellion rwandaise FDLR, pas loin des
positions de ces Casques bleues, sans que ces deniers n'interviennent.
Pour
justifier cette situation, le chef de bureau de la Monusco monsieur ALOUYS a
déclaré sur la Radio Okapi le mardi 16 mai 2012 que la population ne doit pas
suspecter lorsqu'elle voit les FDLR êtres reçus dans les tentes des Casques
blues, car c'est pour les sensibiliser au rapatriement chez eux au Rwanda. La
question est de savoir comment un copinage jusqu'à des réceptions réciproques
dans des camps respectifs peut exister entre deux forces armées qui se
combattent. Quelle est la vraie mission de la MONUSCO en R.D.Congo ? se demande
la population du Kivu.
Une population en débandade
– Déplacements
forcés
L'emprise de la mort est en train de se resserrer de plus en plus sur
la population du Kivu, une population en perpétuel déplacement avec des bagages
sur la tête et des enfants au dos. Elle meurt chaque jour par des balles, des
maladies et l'épuisement. Elle existe aujourd'hui dans une vie de 24 heures
renouvelables. Chaque jour, dormir et se réveiller est une grâce.
Depuis le
déclenchement de cette nouvelle guerre en avril 2012, l'ONU dénombre au
Nord-Kivu 40.000 déplacés de guerre internes , alors que 30.000 personnes
auraient fui en Ouganda et 8.500 au Rwanda . Au Sud-Kivu leur nombre n'est pas
encore connu.
Ils se joignent aux deux millions de personnes déplacées sur
toute l'étendue de la R.D.Congo à fin mars 2012, dont 1,4 millions, soit 70%,
aux deux Kivu :
– au Sud-Kivu = 856.000, soit 35% en plus par rapport à fin
décembre 2011.
– au Nord-Kivu= 547.000, soit 10% en plus par rapport à fin
décembre 2011 .
– Exode rural et déscolarisation
La majorité de la
population du Kivu, jadis paysanne agricultrice et d'éleveurs, a déserté des
villages pour fuir l'insécurité et est venue s'entasser dans les villes de
Bukavu et Goma. Cette situation présage la famine, car c'est la population
paysanne par son agriculture qui nourrit les villes. Les prix des denrées
alimentaires sont terriblement majorés. Lorsque des familles sont en perpétuel
déplacement au Kivu, les enfants ne vont pas à l'école. Cela dure déjà pendant
plus d'une décennie. Il n'y a pas deux façons de qualifier cet état de choses :
c'est un génocide culturel par lequel, avec les viols des femmes, on vise à
anéantir tout un peuple.
Attention danger
Le peuple du Kivu était
jadis un peuple calme et accueillant. Ce peuple ne savait pas tuer. Aujourd'hui,
comme l'ONU ainsi que toutes les puissances du monde se plaisent à laisser la
situation pourrir comme en Somalie, il est en train d'être constaté que pour sa
survie, chaque communauté au Kivu tend à recourir à des milices armées de son
ethnie. Cela engendrera à la longue une situation qui ne profitera à personne,
surtout pas aux puissances qui cherchent avidement des minerais et du pétrole
dans ce Kivu. Un autre génocide pourra même subvenir dans cette région des
Grands Lacs africains. Qu'on ne vienne pas alors en maîtres nous donner des
instructions sur la réconciliation.
Bukavu, le 16 mai 2012. Néhémie
BAHIZIRE