26.08.12 Africom – Didier Mavinga Lake : « La sorcellerie est un frein au développement de lAfrique ! »
Les croyances en la sorcellerie sont toujours très ancrées en Afrique. La peur du sorcier, de la sorcière, de lenfant sorcier, du mauvais sort, hantent encore de nombreux Africains. Cette peur reste enfouie chez certains, même lorsquils quittent leur pays dorigine pour sinstaller à létranger. Pour le psychanalyste Didier Mavinga Lake, originaire du Congo, il est temps que les Africains prennent leur destin en main. Il utilise la psychanalyse pour aider ses patients à se rendre compte par eux-mêmes que leurs croyances en la sorcellerie ne sont pas réelles.
Originaire du Congo, Didier Mavinga Lake est docteur en psychopathologie et psychanalyste au sein dun groupe de recherche à lécole doctorale de recherche en psychanalyse de lUniversité Paris 7. Il a également ouvert son propre cabinet à Paris où consultent des patients originaires de différents pays.
Afrik.com : En quoi consiste votre travail de psychanalyste lorsque des patients pensent être victimes de sorcellerie ?
Didier Mavinga Lake : Mon rôle est daider les patients qui pensent être victimes de sorcellerie à aller mieux et à être moins angoissés. Au moins 10% de mes patients sont des Africains. Je reçois des hommes, des femmes, des jeunes. La nouveauté, cest que certains décident daller voir un psychanalyste plutôt quun marabout ou un pasteur. Cest une démarche nouvelle. Jaide parfois des familles à comprendre ce qui peut se jouer derrière leurs croyances. Une de mes patientes congolaises pensait que sa fille était une sorcière. Comme elle se réveillait toujours en retard pour aller à lécole, elle pensait quelle volait la nuit et quelle nétait pas revenue à temps au petit matin pour réintégrer son corps. La mère était persuadée que sa fille était la source de ses malheurs. Elle ne se rendait pas compte quelle était en réalité en dépression.
Afrik.com : Comment procédez-vous pour modifier la façon de penser de vos patients qui se croient victimes dun sort ?
Didier Mavinga Lake : Jessaye de les conduire à remettre en question leur mode de pensée. Mon but est de leur permettre de se rendre compte par eux-mêmes que leurs croyances ne sont pas réelles. Mon objectif est de les sortir de cette peur du sorcier en les aidant à découvrir ce qui se cache derrière cette enveloppe culturelle. Le mécanisme psychique de lAfricain qui a peur des esprits ou de lEuropéen qui a peur du chat noir est le même. Cest le même conflit. Et cest ce que le psychanalyste traite. Mais cest cette manière de procéder qui manque à lAfrique. En Afrique, il ny a quune seule lecture du problème, celle du pasteur et du marabout. Cest une lecture dangereuse car elle empêche lhomme africain, la femme africaine, ou encore le jeune africain de résonner en admettant que son oncle, sa tante, son cousin, ne sont pour rien dans les malheurs qui lui arrivent. LAfricain qui croit en la sorcellerie doit se dire objectivement, pour des raisons scientifiques quaucun individu na de pouvoir magique pour lui faire du mal.
Afrik.com : Quels sont les dangers de telles croyances ?
Didier Mavinga Lake : Ces croyances peuvent être très dangereuses en effet ! Des individus accusés de sorcellerie ont perdu la vie ! Il y a même des gens quon brûle. On leur met des pneus autour du corps, ensuite on les brûle parce que soi-disant ce sont des sorciers ! De même, les enfants dits sorciers vivent un véritable calvaire ! On leur fait subir des sévices corporels de toutes sortes pour les exorciser, en mettant leur vie en danger ! Ces enfants sont pour la plupart abandonnés car leurs parents estiment quils sont la source des malheurs de la famille. Ils se retrouvent le plus souvent dans la rue et livrés à eux-mêmes. Les enfants des rues en Afrique sont souvent des enfants dits sorciers, rejetés par leurs proches. La sorcellerie fait donc beaucoup de dégâts sociaux en Afrique ! Il y a des familles qui ne se parlent plus car on considère que de lautre côté on a lancé des sorts. Il faut modifier une fois pour toute ce mode de pensée.
Afrik.com : Aujourdhui les Africains ont plus tendance à aller voir des pasteurs que des marabouts, notamment en Afrique centrale. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce phénomène ?
Didier Mavinga Lake : Il y a en effet un fait nouveau très intéressant. Les Africains vont de moins en moins voir le marabout. Cest surtout le cas en Afrique centrale car en Afrique de lOuest le marabout est encore très présent. En Afrique centrale, ce sont les pasteurs qui ont pris le relais. Cette situation est notamment très fréquente en République démocratique du Congo (RDC). On devient paresseux à partir du moment où lon pense que cest la faute de lautre si on ne trouve pas de travail. Que si on ne progresse pas, cest parce quon est victime dun sort. Toutes ces pensées font des hommes et femmes qui subissent leur vie, au lieu dhommes et femmes qui agissent ! Moi je veux voir les Africains acteurs de leur vie ! Or, avec toutes ces croyances, on a des Africains passifs qui subissent leur vie pour des lectures qui ne tiennent pas la route ! Ils pensent quen allant voir le marabout ou le pasteur, leurs problèmes seront réglés. Dailleurs, la démarche nest pas la même lorsquon sen remet au pasteur ou au marabout.
Afrik.com : En quoi aller voir le marabout ou le pasteur est différent, puisque la finalité est la même, la résolution des tracas du quotidien ?
Didier Mavinga Lake : De plus en plus de gens se rendent compte que le marabout peut tomber malade ou mourir. Tandis que, dans la souffrance au quotidien aller voir un pasteur ça fait du bien. La religion devient une réponse à la souffrance. Le pasteur vous rassure, vous promet le bonheur. Rien ne peut vous arriver. Dieu est amour. Dieu vous protège. Seulement, chez ces pasteurs, il y a beaucoup de dealers spirituels. Je vais même être plus précis, 98% de ces pasteurs sont des dealeurs spirituels. La plupart profite des populations pour senrichir. On quitte le marabout pour tomber sur quelquun qui sautoproclame pasteur. En même temps, la nature a horreur du vide. Ces hommes et femmes sont livrés à la pauvreté et la misère. Leurs conditions de vie sont rudes. Et les pouvoirs publics ne font rien pour changer leur quotidien. Ils sen remettent alors à ces pasteurs, espérant que tous leurs problèmes seront résolus.
Afrik.com : Pourquoi tant de personnes donnent de limportance à ces croyances en Afrique ?
Didier Mavinga Lake : Chaque être humain affronte la vie différemment. Lorsquon croit en la sorcellerie, on est dans une forme dérotisation de la pensée. Lêtre humain imagine des choses car la réalité est trop dure à accepter. Cest pour cela que certains donnent de limportance aux esprits, à leurs pouvoirs… Se dire que lautre ny est pour rien et quil faut travailler pour sen sortir nest pas facile à admettre. En accusant lautre dêtre responsable de nos malheurs, on fait moins defforts pour sen sortir. Mais un être humain avec un pouvoir de décider sur lautre cest impossible ! Ca na pas de sens ! Cest le mode de pensée dun enfant de trois ans. Cest absurde ! Vous connaissez quelquun qui sest déjà dit être un sorcier ? On est sorcier seulement dans le discours de lautre.
Afrik.com : Comment expliquez-vous quen 2012, les croyances en la sorcellerie soient encore si ancrées dans les sociétés africaines ?
Didier Mavinga Lake : Dans les sociétés occidentales, la science a pris le pas sur les croyances. En Afrique, cest le contraire. Cest les croyances qui ont pris le pas sur la science. La croyance en la sorcellerie en Afrique nest pas une question de catégorie socioprofessionnelle. Je vais vous donner un exemple. Un professeur de médecin à Kinshasa a découvert un jour quil avait du diabète. Mais il a dit à tout le monde quil était victime dun mauvais sort. Quand un médecin pense que son diabète nest pas lié à une mauvaise alimentation ou hygiène de vie mais à un mauvais sort, cest grave ! La croyance en la sorcellerie concerne tout le monde en Afrique, du paysan au président de la République. Dailleurs, chaque président africain a son marabout. On détermine même certaines politiques en fonction de la sorcellerie.
Afrik.com : La croyance en la sorcellerie nest donc pas un problème social. Quelle est lorigine du problème ?
Didier Mavinga Lake : Ce nest pas un problème social mais psychique. Bien évidemment, tous les Africains ne croient pas en la sorcellerie mais cette croyance colore le quotidien ! La sorcellerie est un frein au développement de lAfrique. A cause de cette peur, lAfricain ne fonctionne quà 10% de ses moyens. Je suis daccord quil faut construire des routes, créer des liens entre les Africains, mais lAfrique a aussi besoin dhommes et femmes qui soient vrais et pas dhommes et femmes qui vivent dans la peur ! La peur empêche dêtre vrai. Le film Black mic mac illustre bien cette réalité. Voilà des étudiants africains en France prêts à se faire expulser. Ils sont allés voir un marabout qui leur a dit de prendre le cheveu du blanc qui souhaite les expulser afin de le mettre dans un gris-gris qui sera ensuite enterré. Ainsi, ils ne craignent rien, leur a promis le marabout. Voilà des étudiants qui, au lieu daller à la bibliothèque pour sen sortir, vont plutôt consulter un marabout. Comment le continent peut progresser avec ce type de pensées ?
Afrik.com : Quelles sont les solutions que vous proposez pour que les Africains qui croient en la sorcellerie prennent leur destin en main ?
Didier Mavinga Lake : Il faut mettre en place une vrai politique de sensibilisation auprès des populations. Les médias, les pouvoirs publics, les écoles ont un grand rôle à jouer. Ce serait même très intéressant de faire des émissions de télévision ou de radio pour sensibiliser les populations et les inciter à prendre leur destin en main. Je pense quavec le temps, les choses se régleront delles-mêmes. Mais elles prendront beaucoup plus de temps si ce travail de sensibilisation nest pas effectué pour que les populations cessent de croire en la sorcellerie. Il faut changer les mentalités. LAfrique nest pas en mouvement mais dans le bricolage. En Afrique, si vous êtes ministre, toute votre famille lest aussi. Elle aura les mêmes avantages que vous. Si votre frère est président dune société, vous aussi pourrez emprunter sa voiture de fonction aisément. Il ny a quen Afrique quon voit ça ! On ne peut pas avancer de cette façon. LAfrique ne peut pas continuer ainsi