02 11 12 Denis Mukwege sur RFI: «Il faut une sécurité pour toute la population» de RDC
Denis Mukwege, vous êtes, pour le
moment, docteur réfugié à létranger. Comment
allez-vous ?
Je
me porte bien. Cela prend du temps, mais je me porte bien. Je crois que cétait
très dur. Mais je suis avec mon épouse et mes enfants, je sens que je me
rétablis progressivement.
Quel souvenir avez-vous de cette tentative dassassinat
– on peut le dire – à Bukavu ?
Cétait un moment très, très difficile. Cela sest passé
très rapidement, en trois phases. La première phase cest que les agresseurs ont
maîtrisé dabord toutes les personnes qui étaient à lextérieur de la maison. Et
dans la maison, donc, ils sont entrés. Ils ont maîtrisé les enfants. Ils
mattendaient à lentrée, et quand javais klaxonné, cest eux qui ont ouvert la
porte et mont cueilli rapidement.
La
deuxième phase, cétait de pouvoir partir après nous avoir forcés. Ils ont
récupéré les clés de ma voiture. Cest à ce moment-là quils ont commis
lirréparable. Dabord en me braquant, et puis après, quand mon gardien avait
crié, ils se sont retournés. En fait, ils lont achevé à bout portant. Je suis
tombé par terre. La suite était très rapide. Ils ont pu séchapper avec le
véhicule.
Et justement, à ce moment-là, docteur, vous vous cachez
?
Là
vraiment, ils ont tiré. On a trouvé six douilles. Mais moi, javais limpression
quil y avait des coups, quils avaient tiré vers la sentinelle. La suite, je ne
peux pas vous dire. Jétais hors de moi-même.
Est-ce que vous avez souvenir de la tenue que portaient
vous agresseurs ?
Ils
étaient en tenue civile. Mais je pense que leur opération a été faite avec
professionnalisme et rapidité. Ce sont des tueurs
professionnels.
Est-ce que des gens vous en voulaient ou est-ce que vous
vous sentiez menacé ?
Je
nai pas vraiment de problèmes avec les gens. Je navais pas un système de
protection spéciale. Je nai de problèmes avec
personne.
Vous demandez que toute la lumière soit faite sur cette
agression, quune enquête soit menée ?
En
ce moment, je pense beaucoup. Si moi, jai été agressé en pleine ville, dans un
quartier sécurisé, je crois que ma pensée va beaucoup plus à toutes les femmes
qui sont à lintérieur et qui subissent ce que jai subi, tous les jours. Donc
finalement, jai pu réaliser que leur situation est très difficile. Et même plus
difficile que je ne le pensais, puisque si cela se passe comme ça, en pleine
ville, à dix-neuf heures, je peux imaginer que toutes les personnes qui sont
sans défense et sans protection sont, en fait, à la merci de toutes les bandes
armées.
Et
je crois que ça devient périlleux. On ne peut pas continuer à assister
impuissant aux massacres, aux tueries des innocents. Ma sécurité, cest une
bonne chose. Mais je crois quil faut une sécurité pour toute la population.
Elle a droit à cette sécurité. Les responsables doivent prendre les
responsabilités avec le sérieux quil faut.
Justement, docteur, mercredi 31 octobre était organisé à
Bukavu, chez vous, « une ville morte », pour dénoncer cette insécurité, ces
violences. Je suppose que doù vous êtes, vous y avez
pensé.
Je
crois que « leur expression » doit être écoutée par les autorités nationales,
par la communauté internationale. Cest impensable que pendant seize ans, un
peuple soit meurtri de cette façon, au vu et au su de tout le monde, dans un
silence complet.
Vous avez aussi, je suppose, un message à adresser à
tout le personnel de lhôpital de Panzi, où vous travaillez, votre hôpital
?
Cest un personnel qui se donne corps et âme, qui fait
son travail avec amour. Et je pense que le message que je donne à tout le
personnel de lhôpital de Panzi, est de continuer à répondre à la haine par
lamour. Je crois que cest seulement lamour qui peut vaincre la haine. Et
donc, tous ceux qui commettent des actes barbares sur les malades que nous
soignons, commencent à le faire sur eux-mêmes. Je crois quil ne faut pas
lâcher. Il ne faut pas propager le message de haine. Il faut plutôt continuer à
aimer. Cest seulement lamour qui peut nous affranchir du combat que nous
menons contre la violence, contre la haine.
Et justement, dans ce cadre-là, vous espérez retourner à
vos activités à Bukavu le plus vite possible ?
En
partant déjà, javais des malades qui sont venus chez moi. Et cest très pénible
de les avoir abandonnés. Quand je les ai vus en train de pleurer, jai pleuré
avec eux. Et je dois dire que je suis avec eux. Jai besoin de ce repli, mais je
suis tout à fait avec eux. Dès que possible, je serai avec
eux.