Le Congo est-il gouverné ? (Boniface MUSAVULI sur AgoraVox 21/11/2012)

. Les errements dont les
« dirigeants » de Kinshasa font étalage depuis des années ont atteint de
telles proportions que la « énième » débâcle militaire en cours
s’inscrivait dans l’ordre prévisible des choses. Dans la foule des
fautes fondamentales de gouvernance, on peut en relever au moins trois,
au hasard. La première faute majeure des dirigeants congolais, le
Président Kabila en premier, c’est de n’avoir pas doté le pays d’une
véritable
armée
, ce qui est assez incompréhensible pour des gens
parvenus au pouvoir par la guerre. Depuis des années, on déplore l’état
lamentable de l’armée congolaise. Elle ne pouvait rien faire face à une
armée aussi structurée que l’armée rwandaise. Puisqu’il s’agit bien de
l’armée rwandaise. Le M23 n’est qu’une façade. Tous les pays de la
région, dont les dirigeants ont été confrontés à la guerre, ont
entrepris de bâtir des armées nationales avant toute chose (Angola,
Ouganda, Rwanda). Le Président Kabila est au pouvoir depuis janvier
2001. Il faisait déjà partie du premier cercle des décideurs du pays aux
côtés de son père, Laurent-Désiré Kabila, dès 1997.Joseph Kabila,
ancien maquisard, aura donc mis plus de 15 ans sans se
rendre compte
que le Congo a besoin d’une armée à la hauteur de ses
défis ? C’est à
n’y rien comprendre.
En tout cas, de nombreux Congolais
soutiennent que la faiblesse de
l’armée congolaise est sciemment
entretenue dans le but de faciliter
aux dirigeants rwandais
l’annexion du Kivu
. Difficile de leur donner tort lorsqu’on observe
à la fois l’état chronique de l’armée congolaise, la « facilité » avec
laquelle les « rebelles », soutenus par le Rwanda, progressent sur le
terrain et le silence de Joseph Kabila. Il n’a pas dit « un mot » et ne
semble pas concerné alors qu’une région stratégique de son pays (80% des
réserves mondiales de coltan à téléphones portables) est en train de
passer sous contrôle d’une puissance « ennemie ». Ainsi, depuis
l’arrivée des casques bleus en avril 2001, les Congolais, reposent tous
leurs espoirs sur les épaules des soldats onusiens. Or tout le monde
sait que les casques bleus sont tout au plus une force de maintien de la
paix, pas une force de défense nationale. Les casques bleus ne se
battent pas pour protéger un territoire national. D’ailleurs,
d’ordinaire, ils ne se battent même pas. Ils se contentent d’assurer une
simple présence dissuasive. C’est à l’armée nationale qu’il revient de
défendre le « territoire national ». Celle du Congo en est tellement
loin qu’en août dernier, le ministre rwandais de la défense, James
Kabarebe, pourtant honni par les Congolais[1], a dit une vérité que la
plupart des Congolais n’ont pas pu contester : « cette armée-là ne
peut même pas tuer un rat »
[2]. Si la référence au « rat » est
évidemment excessive, on sait au moins que l’armée congolaise n’a pas
réussi à capturer « un seul homme », Bosco Ntaganda. D’ailleurs, toute
la tragédie en cours vient de la tentative ratée de capturer ce criminel
de guerre recherché par la Cour Pénale Internationale. La deuxième
erreur fondamentale des dirigeants congolais devrait s’appeler « la
naïveté ». Ils donnent l’impression d’ignorer à qui ils ont affaire. Ils
ont affaire aux « Rwandais »[3] qui ont la réputation de « ne rien
lâcher ». Ils ont tenu quatre ans durant dans les maquis avant de
s’emparer du pouvoir à Kigali. Ils avaient la possibilité de prendre
part au pouvoir aux termes d’un règlement politique. Ils se sont
accrochés à l’espoir fou de prendre « tout le pouvoir » et ils y sont
parvenus avec les dégâts qu’on connaît (génocide + des centaines de
milliers des Hutus massacrés). Avant la guerre du Rwanda, ils avaient
tenu des années dans les maquis ougandais aux côtés de Yoweri Museveni
avec qui ils ont fini par prendre le pouvoir à Kampala en 1986.
Maintenant qu’ils ont le Congo dans leur collimateur, avec ses immenses
richesses minières, on perçoit aisément qu’ils ne sont nullement
disposés à « lâcher le morceau ». Lorsqu’on a affaire à des « individus
» aussi redoutables, et qu’on a entre ses mains la responsabilité du son
peuple, on doit impérativement élever le niveau. Malheureusement, pour
le peuple congolais, les autorités de Kinshasa jouent les naïfs, ce
qu’elles risquent de payer cher. Ils devraient penser aux dignitaires
de Mobutu
qui, ont un jour tout perdu et se sont retrouvés en exil, «
chassés »
de leur propre pays pour avoir négligé ce qui se passait
dans le Kivu.
L’exemple emblématique de cette « naïveté » réside dans le
fameux «
accord du 23 mars 2009 » dont se prévaut la rébellion
actuelle et qui
contient des revendications assez hallucinantes pour
des individus
considérés comme

s mutins. En effet, cet accord, conclu sous l’égide de deux
co-facilitateurs, les anciens Présidents Olusegun Obasanjo (Nigéria) et
Benjamin Mkapa (Tanzanie), avec les hommes du criminel de guerre Laurent
N’Kunda[4] fut un énorme piège puisqu’il a omis de faire mention du
Rwanda dont on savait qu’il se dissimulait derrière le CNDP. En
négociant avec le CNDP, le gouvernement congolais faisait entrer dans la
vie nationale un « cheval de Troie » minutieusement « façonné » par les
autorités de Kigali. La démarche qui s’imposait consistait à traiter
directement avec le Rwanda et obtenir un accord d’Etat à Etat.
Maintenant qu’on en est là, le Rwanda peut commencer à manœuvrer
derrière ses « protégés » en disant à l’opinion internationale : « ce
n’est pas nous, ce sont les ‘Congolais’ entre eux ». Des milliers de
combattants rwandais rejoignent les rangs du M23 qui a acquis du
matériel de guerre sophistiqué comme des équipements de vision nocturne.
Est-ce toujours une mutinerie, chers amis de Kinshasa ? On est dans une
guerre internationale dont le Congo se serait passé en refusant de
négocier avec des « lampistes ». Aujourd’hui, le M23-CNDP ne fait plus
mystère de la mission dont le Rwanda l’a chargé. Des mutins qui exigent
le retour des réfugiés (article 6 de l’accord du 23 mars). Une question
explosive au Kivu mais dont on sait qu’elle fait écho aux ambitions
territoriales du régime de Kigali pour qui, une partie de sa
(sur)population a vocation à se déverser sur l’Est du Congo. Ils
refusent d’aller intégrer les unités de l’armée congolaise au-delà de la
région du Kivu. Autrement dit, la fin d’une armée nationale. Il y aurait
donc au Kivu, des officiers et des troupes qui ne serviraient que dans
le Kivu. Ça s’appelle la partition du pays, première étape du processus
d’annexion tant redoutée de l’Est du Congo par le Rwanda.Les
Congolais qui crient « non à la balkanisation » ont là, sous
leurs
yeux, l’acte officialisant cette balkanisation. L’accord du 23
mars
2009 n’aurait jamais dû exister.
Cet accord fut une erreur
fondamentale et les Congolais mettront des années à s’en défaire,
surtout au vu de l’état actuel de l’armée. La troisième faute politique
majeure des dirigeants congolais, au moins là, ils ne sont pas uniques
au monde, c’est de s’accrocher au pouvoir malgré l’accumulation des
échecs dans quasiment tous les domaines.Joseph Kabila, décevant comme
Président pour les Congolais, ne semble
plus, par ailleurs, en odeur
de sainteté auprès des dirigeants
rwandais à qui il doit son arrivée
à Kinshasa
. Il fut depuis longtemps un « protégé » du général James
Kabarebe, dont on disait, dans certains milieux américains, qu’ils
seraient « oncle et neveu ». Lorsqu’on lit les propos de Kabarebe dans
l’interview de Colette Braeckman selon lesquels « Cet homme (Kabila)
n’est pas fait pour
diriger »,
on comprend que le divorce est
consommé, ou, en tout cas, que le dépit s’est profondément installé
entre le Président congolais et ses parrains de Kigali. Joseph Kabila
avait d’autres alliés, les Occidentaux. Depuis le hold-up électoral de
novembre 2011, et l’accumulation des violations massives des droits de
l’homme (assassinat du militant des droits de l’Homme Floribert
Chebeya), il ne fait plus recette. Il est même en
situation de «
rejet » personnel.
Il suffit de se rappeler l’attitude du Président
français François Hollande à l’occasion du sommet de la francophonie à
Kinshasa. Le locataire de l’Elysée ne pouvait absolument pas supporter
la nature du régime de Joseph Kabila.Lorsqu’on se retrouve dans une
telle situation de « déchéance », on
s’en va
. Si on reste, on
devient un boulet pour le pays et on entraîne son peuple dans son «
suicide » personnel. En tout cas, Joseph Kabila a raté l’occasion de
s’en aller «
démocratiquement »
en novembre 2011 et à passer la
main à Etienne Tshisekedi, le candidat élu selon toute vraisemblance. A
la place, il se retrouve aujourd’hui englué dans une situation
comparable à celle de Mobutu dans les dernières années de son règne.
Comme Joseph Kabila, le Maréchal, isolé et boudé partout, ne contrôlait
plus le pays. Et, comme aujourd’hui, le Congo n’était visiblement plus
gouverné. Il a suffi de quelques escarmouches dans le Kivu pour que tout
l’ « édifice » du mobutisme s’effondrât comme un château de cartes.
Malheureusement, pas dans l’intérêt du peuple congolais. Boniface
MUSAVULI Accord du 23 mars 2009 sur le lien suivant:http://www.agoravox.fr/IMG/pdf/Accord_du_23_mars_2009.pdf
[1] Au déclenchement de la deuxième guerre du Congo, en août 1998, il
s’était emparé des installations électriques d’Inga et avait procédé à
des coupures d’électricité causant de graves dommages dans la capitale
Kinshasa, ville de 8 millions d’habitants totalement plongée dans le
noir. [2] Interview de James Kabarebe par Colette Braeckman le 29 août à
Kigali : http://blog.lesoir.be/colette-braec… [3] Je ne parle
pas du peuple rwandais, encore moins des citoyens rwandais, mais plutôt
des dirigeants politiques de Kigali, membres ou en lien avec le FPR
(Front Patriotique
Rwandais). 

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