01 02 13 Le Soir – Au nom des experts de l’ONU, Steve Hege se défend

 Les trois rapports publiés par le groupe d’experts ont jeté une lumière crue
sur les soutiens extérieurs dont ont bénéficié les soldats rebelles. Ils ont
aussi exposé les experts et en particulier le chef de leur groupe, à de vives
critiques, tant à Kampala qu’à Kigali. Aujourd’hui que le groupe a terminé son
travail et qu’une autre équipe va reprendre le flambeau, Steve Hege, avec
l’approbation de ses collègues, a accepté de répondre aux questions du Soir. 

Quelle est la qualification des experts membres du Groupe?

Le Groupe d’experts est composé
de 6 membres, chacun nommé par le Secrétaire Général de l’ONU après une
évaluation par le Secrétariat ainsi que les quinze pays membres du Conseil de
sécurité. Les membres sont des enquêteurs et chercheurs indépendants avec une
expérience technique dans les différents domaines spécifiques du mandat,
c’est-à-dire les enquêtes sur l’approvisionnement en armes, le financement des
groupes armés, le commerce des ressources naturelles, les violations graves des
droits de l’homme, et les problématiques transfrontalières.

Basée à l’est de la RDC
pendant son mandat, l’équipe dispose d’une connaissance approfondie de la région
des Grands lacs, notamment des dynamiques régionales concernant les groupes
armés étrangers ainsi que nationaux. 

Durant notre mandat de 2011-2012, nous avons bénéficié d’une plus grande
expérience, étant donné que cinq des six membres faisaient déjà partie du
Groupe précédent. Dans mon cas par exemple, c’était mon troisième mandat. Ceux
qui contestent aujourd’hui l’objectivité et la crédibilité du Groupe en 2012
doivent garder à l’esprit qu’à une exception près, il s’agit de la même équipe
que l’année précédente, où de telles critiques n’avaient jamais été exprimées.

Quelle fut votre méthodologie pour enquêter sur l’implication des pays
voisins, dont le Rwanda, dans le soutien du M23 (visites sur le terrain,
entretiens, témoignages de première main etc…) ?

Comme il est expliqué dans
l’annexe 2 de notre rapport final, nous avons adopté une méthodologie très
rigoureuse et approuvée par le Conseil de sécurité. Avant tout, nous avons
privilégié les informations recueillies auprès des témoins directs des évènements,
qui sont le plus souvent des ex-combattants des groupes armés. Pour le cas du
M23, nous avons notamment interrogé individuellement plus de cent anciens
combattants du mouvement rebelle, dont 57 qui ont déclaré être des citoyens
rwandais. Tous ont donné des témoignages détaillés sur le soutien du Rwanda aux
rebelles. 

Nous avons corroboré ces informations avec un réseau de plus d’une centaine
d’autres sources notamment des leaders locaux, de commerçants, de simples
paysans, d’ex-officiers de l’armée rwandaise, ainsi que des anciens officiers
du CNDP qui maintiennent de nombreux contacts avec leurs amis et membres de
leurs familles qui ont adhéré au M23. Nous avons aussi suivi de très près des
réunions entre les différents groupes armés et mobilisateurs qui ont eu lieu au
Rwanda (annexe 41), enquêté sur les transferts d’argent (annexe 34), les
relevés d’appels effectués par des individus liés aux groupes armés (annexe
59), des enregistrements de communications radio entre les rebelles et des
officiers de l’armée rwandaise (annexe 26), des déclarations officielles des
détenus comme Roger Lumbala (annexe 45), des communications par emails et
messages sms (annexe 42), des documents d’identification de soldats décédés au
combat (annexe 18 &37) ainsi que des images satellitaires montrant très
clairement les pistes reliant les quartiers généraux du M23 à des bases
militaires rwandaises, ce qui corroborait parfaitement les témoignages des
ex-combattants (annexe 6). En plus, comme complément aux informations recueillies
sur le ravitaillement en armes par le Rwanda, nous avons documenté
l’utilisation quotidienne par le M23 d’armes et équipements traditionnellement
utilisés par l’armée rwandaise — notamment certaines armes lourdes et munitions
qui ne peuvent pas provenir d’un détournement des stocks officiels de l’armée
congolaises, parce qu’elles n’y figurent pas (annexe 17) — ainsi que des tenues
militaires rwandaises fabriquées à Kigali (annexe 15). 

En plus, à travers nos descentes fréquentes sur le terrain dans des zones
contrôlées par les groupes armés nous avons été témoins nous-mêmes d’une
coopération étroite entre les rebelles et les forces spéciales de l’armée
rwandaise et de livraisons d’équipement militaire en provenance de l’extérieur. 

Nous avons également développé nos propres sources actives au sein du M23 qui
ont eux-mêmes reconnu le soutien du Rwanda à leur mouvement. En dépit des
menaces physiques proférées contre nous et contre nos collaborateurs, nous
avons effectué sept visites au Rwanda, souvent dans des localités importantes
dans le cadre du recrutement de civils pour le M23, afin de corroborer les
détails fournis par les ex-combattants notamment pour l’hôtel Bushokoro à
Kinigi, qui non seulement correspondait parfaitement aux descriptions qui nous
avaient été données mais qui a aussi été encerclé par des soldats de l’armée
rwandaise pour la protection de ce site tellement important pour le M23 (annexe
19). 

Finalement, nous avons confirmé nos informations avec des services de
renseignements comme ceux de l’Ouganda, du Burundi, de pays occidentaux (annexe
22) ainsi que du gouvernement congolais, même si ce dernier a officiellement
refusé de collaborer avec nos enquêtes dans l’élaboration de l’addendum du
rapport intérimaire.

Le gouvernement rwandais vous accuse d’être un sympathisant des FDLR et
un négationniste du génocide avec un agenda anti-Rwanda, Quelle est votre
réponse sur ce point?

Le gouvernement rwandais a
d’abord tenté de répondre à notre addendum sur ces violations de l’embargo sur
les armes pour que nous le modifions. Ayant échoué, faute d’explications
crédibles et convaincantes, le gouvernement a choisi de mener une campagne
médiatique, diplomatique et juridique à notre encontre, pour discréditer les
conclusions de nos enquêtes.

Nos détracteurs se sont principalement concentrés sur un document de discussion
interne, où j’ai été cité comme le point de contact,-ce document a été mis sur
internet par inadvertance-, et qui avait pour but d’analyser les réactions
éventuelles des FDLR contre la population civile lors des opérations militaires
prévues au début de 2009, ainsi que de réfléchir aux modalités de
démobilisation et de rapatriement définitifs des membres de ce groupe dans le
contexte politique et historique de la région, y compris les massacres documentés
par le rapport «mapping » de l’ONU, qui sont très importants pour comprendre
l’idéologie interne des FDLR. Il n’y a rien dans ce document qui nie en aucune
façon le génocide rwandais. En revanche, il se réfère directement à
l’implication des certains commandants des FDLR dans le génocide.

Cet exercice d’analyse prospective ne concernait d’ailleurs pas uniquement les
FDLR, mais aussi d’autres groupes armés à l’Est de la RDC, y compris le CNDP à
l’époque, mais cela non plus ne veut pas dire que je défends leurs
perspectives.

Tout au début des attaques contre moi, j’ai personnellement demandé que ce
document soit retiré d’internet car, en tant que simple document de discussion
interne, il n’avait pas vocation à être rendu public et les autres analyses sur
les autres groupes armés n’ont d’ailleurs pas été publiées.

Le gouvernement rwandais est parfaitement au courant de mon objectivité en tant
qu’enquêteur sur les groupes armés, notamment sur les FDLR. Lors des mandats
précédents du Groupe d’experts auxquels j’ai participé en 2010 et 2011, nous
avions d’ailleurs établi une bonne coopération avec les services de
renseignements rwandais.

Ces derniers nous ont fourni de nombreux éléments d’information que nous avons
par la suite tenté de confirmer avec d’autres sources indépendantes, surtout
des ex-combattants des FDLR. Même si nos partenaires rwandais n’ont pas été
tout-à-fait satisfaits de nos conclusions à propos de liens entre les FDLR et
l’opposant Kayumba Nyamwasa en 2011, ils ont, à l’époque, respecté notre
approche objective et impartiale qui s’appuie strictement sur les standards de
preuve exigés par le Conseil de sécurité.

Par ailleurs, le Groupe d’experts, et moi-même en particulier, avons également
coopéré avec les procureurs allemands dans les procès en cours contre l’ancien
Président et vice-président des FDLR. En fait c’est dans une large mesure grâce
aux efforts du Groupe d’experts pour exposer et documenter les réseaux d’appui
externe aux FDLR que le mouvement rebelle se retrouve plus isolé et affaibli
aujourd’hui que jamais, malgré ses efforts récents pour renaître dans le
contexte actuel de la rébellion du M23.

De plus, avant de rejoindre le Groupe d’experts, en 2006 et 2007, j’ai
travaillé comme officier de démobilisation de la MONUC, un poste pour lequel
j’ai parcouru à pied à maintes reprises le fin fond des forêts des deux Kivu
pour rencontrer des centaines de FDLR et tenter de les convaincre, avec un
certain succès, de déposer les armes et de rentrer pacifiquement chez eux. Le
gouvernement rwandais a pourtant utilisé ces accusations à mon égard comme un
élément clé de sa défense et il a même payé certains officiers FDLR pour qu’ils
donnent de faux témoignages, assurant que je leur aurais fourni des armes
depuis quatre ans ! 

Bien que le gouvernement rwandais ait régulièrement exigé ma démission, aucun
des membres du Comité de sanctions du Conseil de sécurité ne m’a posé la
moindre question à propos de ma soi-disant « partialité ». 

Le Rwanda nie absolument toute implication et affirme que vous ne lui
avez pas donné un droit de réponse, ni considéré les explications et critiques
de vos enquêtes rendues publiques en juillet. Que répondez vous à ces
accusations ?

En réalité, nous avons donné au
gouvernement rwandais plusieurs opportunités de répondre aux résultats de nos
enquêtes. Ils ont refusé une première fois de nous recevoir lors d’une visite
officielle à Kigali au mois de mai, en disant que notre présence au Rwanda
n’avait rien à voir avec l’embargo sur les armes, un argument assez faible
étant donné que l’embargo est la raison d’être même du Groupe d’experts.
Ensuite, lorsque le Comité des sanctions nous a demandé expressément de
retarder la soumission de notre addendum au rapport intérimaire sur les
violations rwandaises de l’embargo, la ministre rwandaise des affaires
étrangères a refusé de me donner la moindre réponse quand je lui ai exposé nos
conclusions. Quelques heures après notre rencontre, la ministre a pourtant
déclaré, lors d’une conférence de presse, que personne n’avait partagé avec le
Rwanda les résultats de nos enquêtes. 

En ce qui concerne le démenti officiel écrit par le gouvernement rwandais,
c’est un document que nous avons bien étudié et auquel nous avons répondu
exhaustivement dans l’annexe 3 de notre rapport final. Nous avons eu
l’occasion, lors d’une deuxième visite officielle à Kigali au mois de juillet,
d’écouter les remarques du gouvernement rwandais, mais il nous a semblé que nos
interlocuteurs cherchaient plus que toute autre chose à nous interroger pour
connaître nos sources – qui doivent pourtant rester confidentielles selon la
méthodologie du Groupe d’Experts.

Pour l’essentiel, les officiels du gouvernement ont essayé de nous convaincre
que nous avions été en fait les victimes d’un grand complot ourdi par le gouvernement
congolais et plus particulièrement par ses services de renseignement. En
réalité, au début de nos enquêtes, c’est-à-dire entre février et début juin,
les autorités congolaises ont tenté de nous bloquer l’accès à des informations
sensibles sur l’implication du Rwanda, car elles cherchaient alors à résoudre
le problème discrètement avec Kigali. Il n’est d’ailleurs pas non plus très
logique que le gouvernement rwandais maintienne d’un côté que le Congo est un
Etat en faillite, « un trou noir », et qu’il avance par ailleurs l’argument que
ce même gouvernement serait efficace au point de pouvoir fabriquer les faux
témoignages de plus d’une centaine d’ex-combattants du M23, sans compter
également les centaines de sources locales et témoins directs de l’implication
du Rwanda, tous éparpillés entre l’Ituri, le Nord Kivu et le Sud Kivu. Après le
mois de juin, nous avons effectivement observé plus de coopération de la part
du gouvernement congolais, mais les informations de source congolaise n’ont
jamais été la base de nos enquêtes. 

Concernant certains détails de l’explication fournie par le gouvernement
rwandais, notamment sur les questions d’armement du M23 lors de notre visite à
Kigali en juillet, le gouvernement nous a présenté de vieux AK-47 détruits
comme la preuve qu’ils n’avaient pas fourni d’armes aux rebelles, y compris des
obus de 75 mm.
Lorsque que j’ai exprimé mon manque de compréhension à ce propos, le chef des
renseignements militaires a répondu que les obus de 75 mm en question avaient été
détruits depuis un certain temps, mais qu’ils n’étaient pas visibles car ils se
trouvaient par hasard « en-dessous » des AK-47. Un mois plus tard, nous avons
appris que le Rwanda a sollicité un appui technique pour détruire des obus de 75 mm et de 120 mm, du même type que
ceux que les rebelles ont utilisé pour attaquer Goma.

Même après la reconnaissance officielle par le gouvernement rwandais du fait
qu’il pourrait en effet y avoir eu des recrues du M23 en provenance du Rwanda,
le gouvernement n’a pas effectué la moindre enquête à ce sujet. Lorsqu’aucune
de nos conclusions n’a pu être réfutée, ils sont passés aux attaques
personnelles contre nous. Depuis août, ils ont tout simplement refusé de nous
rencontrer et de coopérer à nos enquêtes. Pendant cette période, nous n’avons
fait qu’observer une augmentation du soutien et de l’emprise directe du
gouvernement rwandais sur le M23, culminant avec la prise de Goma en novembre. 

Quand est-ce que cette guerre du M23 a commencé à être préparée ? Et
quels ont été les premiers signes de l’implication du Rwanda? 

Dans notre rapport final de 2011,
nous avions souligné le fait que des commandants ex-CNDP se préparaient déjà à
un retour à la guerre, car ils s’attendaient à ce que les élections
présidentielles soient très contestées. Non seulement Bosco Ntaganda plaçait
ses hommes à des postes stratégiques au Nord et au Sud Kivu et contribuait à la
manipulation des élections dans le territoire de Masisi, mais Sultani Makenga,
de son côté, avait déjà commencé à accumuler de très importantes quantités
d’armes grâce à ses réseaux d’appui déjà établis au Rwanda et en Ouganda. 

En janvier 2012, Makenga a échoué dans une première tentative de mutinerie à
Bukavu, essayant de mobiliser les sympathisants de Vital Kamehre contre la
proclamation des résultats des élections présidentielles. Tout en appuyant
officiellement la campagne du Président Kabila, les autorités rwandaises
avaient aussi contacté des membres de l’opposition à Kinshasa pour leur dire
que Kabila s’apprêtait à tricher et les inciter à mobiliser leur base pour l’en
empêcher. 

Néanmoins, l’implication directe du Rwanda n’a jamais a été aussi évidente que
lors que les forces gouvernementales ont mis en débandade les mutins de
l’ex-CNDP fin avril. C’est à ce moment-là quand le Rwanda a envoyé des éléments
de son armée pour faciliter l’arrivée de Makenga et de Ntaganda à Runyoni, à
moins de 7 km
de leur frontière, en vue d’y établir le M23 comme un plan B. A partir de ce
moment, l’armée rwandaise a déployé ses troupes d’une manière permanente aux
côtés des rebelles congolais du M23 et renforcé chaque opération importante au
Congo avec des unités entières en provenance des bases militaires de Ruhengeri
et Kinigi au Rwanda. 

Dans l’interview accordée au Soir
par James Kabarebe, le Ministre rwandais de la Défense, y a-t-il des
points que vous contestez ?

Lors de notre entretien avec lui
en juillet, le Général Kabarebe nous a raconté la même histoire détaillée sur
les réunions auxquelles le Rwanda a participé dès le début de la mutinerie de
l’ex-CNDP en avril, comme preuve de sa bonne volonté. Effectivement, le
gouvernement rwandais a tenté de se positionner comme médiateur et pacificateur
de la situation en appui au gouvernement congolais, mais, les faits accablants
établis par nos enquêtes permettent de remettre en cause la stratégie du
Rwanda. En se positionnant à la fois comme juge et partie, cela leur
garantissait, quoi qu’il arrive, l’imposition d’une solution convenant à leurs
intérêts à l’est de la
RDC. 

Kabarebe n’a fait que justifier toutes les revendications du
M23 et sa raison d’être, en nous affirmant notamment que tous les groupes armés
congolais, y compris les groupes Mai-Mai – lesquels sont d’ailleurs impliqués
dans des violations du droit international humanitaire très graves- constituaient
avec le M23 une seule et même résistance crédible face au gouvernement
congolais. Nous avons trouvé ce discours assez surprenant de la part d’un
ministre essayant par ailleurs de se distancer des accusations sur son
implication dans le soutien au M23. 

Mais dans son interview publiée dans le journal Le Soir, Kabarebe a oublié de mentionner que les leaders congolais
du M23 étaient eux-mêmes parmi les pires responsables des travers de l’armée
congolaise. Le Groupe d’experts a documenté à maintes reprises les exactions de
l’ex-CNDP, les mafias que le mouvement contrôlait au sein de l’armée nationale,
notamment pour le trafic illicite des ressources naturelles, le détournement
des soldes, les actes de pillage, les viols, l’imposition du travail forcé, ainsi
que les assassinats directs de tous ceux qui s’opposaient à leur domination de
l’armée. Il n’a également pas mentionné que les évènements déclencheurs de la
mutinerie en avril étaient justement les séminaires tenus à Kinshasa sur la
réforme de l’armée. Ntaganda, Makenga et Baudoin Ngaruye qui exerçaient déjà un
contrôle quasi-total sur l’armée à l’est de la RDC, ont tout fait pour faire échouer les
tentatives de réforme et maintenir l’impunité dans les rangs des FARDC. 

Dans ses efforts pour décrire le M23 en termes positifs, comme étant un groupe
rassembleur composé de toutes les ethnies à l’est de la RDC, Kabarebe a aussi oublié
de mentionner le fait que de nombreux groupes ethniques ont refusé d’adhérer au
M23, justement parce qu’ils voient très clair dans l’implication et le contrôle
direct de ce mouvement par le Rwanda. Ceci est notamment le cas de deux
communautés rwandophones très importantes, celle des Banyamulenge, qui sont des
Tutsis Congolais vivant Sud Kivu,et celle des Hutus des territoires de Masisi,
de Rutshuru, et de Kalehe. 

En plus, Kabarebe vous a dit que pour rejoindre le territoire rwandais depuis
le quartier général du M23 à Runyoni, il fallait onze heures de marche car il
n’y a pas de routes. Cela n’est absolument pas vrai, car il n’y a en réalité
que sept kilomètres entre Runyoni et la frontière rwandaise via des pistes en
forêt, dont nous avons des photos satellite (annexe 6). Celles-ci ont été
établies par l’armée rwandaise en vue de ravitailler les rebelles, ce qui
réduit le voyage à une heure et demie de marche maximum. Kabarebe vous a
également affirmé que les ex-CNDP ont amené leurs armes et équipements du
Masisi vers Runyoni, mais il est impossible de transporter des armes lourdes —
comme celles que le M23 a commencé à utiliser une semaine après – à travers
deux volcans sans piste, au cœur du parc national des Virunga.

Finalement, Kabarebe vous a aussi affirmé que « les grosses ambassades au
Rwanda » n’avaient pas confirmé l’implication du Rwanda en RDC, mais cela est
aussi faux. La réalité des relations internationales est telle que des pays ne
prennent jamais des décisions comme la suspension de l’aide à un partenaire
aussi important comme le Rwanda sans avoir leurs propres confirmations. Un
rapport du Groupe d’experts ne sera jamais perçu par ces ambassades de la même
façon que des rapports de leurs propres services diplomatiques et de
renseignements. L’organigramme dans l’annexe 22 de notre rapport final qui
situe Kabarebe comme commandant suprême du M23 n’est qu’un simple exemple
illustratif des informations dont les pays occidentaux disposent eux-mêmes.

Dans votre rapport final, vous avez conclu que l’Ouganda est également
impliqué dans le soutien au M23. Quel est la différence entre leur appui aux
rebelles et celui du Rwanda ?

En fait, nous avons conclu que le
gouvernement du Rwanda a créé, équipé, entrainé, et commandé le M23, mais que
les rebelles bénéficiaient d’un soutien aussi très important de la part des
réseaux composés d’individus au sein du gouvernement ougandais. L’un des faits
les plus palpables, c’est la présence de troupes ougandaises venues renforcer
les rebelles lors de la prise de Kiwanja et de Rutshuru fin juillet 2012. Cette
présence a été confirmée par des dizaines d’ex-combattants, y compris deux
Ougandais, des cartouches de l’armée ougandaise trouvées sur les champs de
bataille (annexe 28), ainsi que par beaucoup de témoins directs dans les
localités où ils ont été déployés. 

En outre, nous avons établi grâce à de nombreuses sources, y compris au sein du
M23, que les rebelles ont bénéficié d’un appui direct d’officiers de l’armée
ougandaise dans leur ravitaillement en armes, logistiques, et recrues. Quand il
a fait défection de l’armée congolaise pour rejoindre le M23, Makenga a laissé
dans sa résidence à Bukavu des boites vides d’armes lourdes qui appartenaient
au Ministère de la défense ougandais (annexe 27). En établissant leur bureau
politique à Kampala les rebelles ont bénéficié de conseils techniques de
responsables ougandais sur leur stratégie militaire et politique. Au niveau
régional, au sud-ouest de l’Ouganda, nous avons constaté une coopération très
étroite entre des officiers de l’armée ougandaise et leurs homologues rwandais
dans la coordination du soutien aux rebelles déployés au niveau des frontières
des deux pays avec le Congo. En outre, des interceptions de communications
radio du M23 ont confirmé l’implication d’officiers ougandais (annexe 26).

Même si ce soutien aux rebelles n’est pas le fait d’une politique officielle de
l’Etat, nous avons constaté que le gouvernement avait eu une politique de «
laissez-faire » vis-à-vis des activités du M23 en Ouganda, en leur laissant
notamment un libre passage aux frontières, selon des agents des services de
l’immigration ougandais. Nous avons été, nous-mêmes, les témoins directs de la
réception d’une cargaison de bottes en plastique à destination des rebelles
dans la localité de Bunagana, à la frontière avec l’Ouganda.

Plusieurs sources crédibles au sein du gouvernement ougandais ont confirmé ce
soutien aux rebelles à partir de l’Ouganda. Même un haut officier de la police
ougandaise, désigné par le gouvernement comme notre interlocuteur officiel pour
les questions relatives au M23, nous a avoué qu’en effet, il y avait des
individus au sein du gouvernement qui soutenaient les rebelles en leur
fournissant des armes, des financements, et en facilitant leur recrutement,
mais que le gouvernement allait enquêter et arrêter tous ceux qui étaient
impliqués. Plus tard, officiellement, le gouvernement ougandais a changé de
position en nous disant que cet officier n’était pas autorisé à parler au nom
du gouvernement, et que les rebelles étaient seulement présents à Kampala à la
demande du président congolais dans le cadre des initiatives régionales de
paix. Cependant nous avons établi que certains officiers rebelles étaient déjà
à Kampala en juillet, et collaboraient avec des officiers militaires ougandais
avant même que Kabila en soit informé. 

Quel est l’impact des rapports auprès du Comité des sanctions de l’ONU?

Le rôle principal du Groupe
d’experts est d’informer le Comité de sanctions sur les violations de l’embargo
sur les armes et du régime des sanctions le plus rapidement et fréquemment
possible. Il n’a pas en tant que tel à se préoccuper des conséquences de ses rapports.
Il nous est également demandé de soumettre une annexe confidentielle
d’individus et entités que nous recommandons pour inclusion sur la liste des
sanctions, qui consistent en un gel des avoirs et une interdiction de voyager.
Il est de la prérogative des membres du Comité de sanctions d’examiner nos
recommandations.et de mettre à jour la liste officielle. Il n’est pas possible
qu’un candidat proposé par le Groupe d’experts soit inclus sur cette liste sans
que plusieurs pays membres du Comité de sanctions aient eux-mêmes vérifié et
confirmé les conclusions du Groupe.

Le Comité a récemment désigné pour sanctions plusieurs hauts commandants et
dirigeants du M23, ainsi que le mouvement entier –de même que les FDLR– et le
Conseil de sécurité a réitéré son intention de sanctionner ceux qui apportent
un appui externe aux groupes armés en RDC.

Certains diplomates estiment qu’il ne faut pas, dans le cadre de la recherche
en cours d’une solution pacifique, accuser ni le Rwanda ni certains officiers
ougandaises, mais ces questions ne sont pas de notre ressort. Le Groupe a un
mandat très clair et nous n’avons fait que l’accomplir en identifiant les
responsables des violations de l’embargo et apolitique.

Pour le groupe des experts, quelles seront les conséquences de
l’accession du Rwanda au Conseil de sécurité ?

Le Rwanda est devenu membre du
Conseil de sécurité cette année, mais le mandat du Groupe d’experts avait déjà
été renouvelé à travers la résolution 2078 et une nouvelle équipe est en train
de se mettre en place. Après déjà trois mandats d’un travail très intensif et
ardu, je n’ai pas présenté ma candidature pour pouvoir passer plus de temps
avec ma famille. 

Le Groupe d’experts est un mécanisme ad hoc du Comité de sanctions du Conseil
de sécurité qui doit, tout en conservant son indépendance dans ses enquêtes et
ses conclusions, prendre en considération les avis de tous les pays membres du
Comité de sanctions dans l’exercice de ses fonctions. En faisant partie du
Conseil de sécurité, le Rwanda sera obligé de dialoguer et de coopérer avec le
Groupe d’experts, ce qu’ils ont refusé de faire l’année passée à partir du mois
d’août.

Néanmoins, les réticences du Rwanda à propos de l’utilisation de drones en RDC
pour que les Nations Unies puissent prévenir et vérifier les violations de
l’embargo sur les armes constitue déjà en soi un exemple des défis qui se
présenteront dans le cadre de la nouvelle composition du Conseil de sécurité.
En plus, étant donné que le Comité travaille sur la base du consensus, un pays
membre pourrait bloquer des candidats proposés pour des sanctions, ainsi que des
membres du Groupe d’experts pour des prochains mandats.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.