01 02 13 Le Soir – Au nom des experts de lONU, Steve Hege se défend
Les trois rapports publiés par le groupe dexperts ont jeté une lumière crue
sur les soutiens extérieurs dont ont bénéficié les soldats rebelles. Ils ont
aussi exposé les experts et en particulier le chef de leur groupe, à de vives
critiques, tant à Kampala quà Kigali. Aujourdhui que le groupe a terminé son
travail et quune autre équipe va reprendre le flambeau, Steve Hege, avec
lapprobation de ses collègues, a accepté de répondre aux questions du Soir.
Quelle est la qualification des experts membres du Groupe?
Le Groupe dexperts est composé
de 6 membres, chacun nommé par le Secrétaire Général de lONU après une
évaluation par le Secrétariat ainsi que les quinze pays membres du Conseil de
sécurité. Les membres sont des enquêteurs et chercheurs indépendants avec une
expérience technique dans les différents domaines spécifiques du mandat,
cest-à-dire les enquêtes sur lapprovisionnement en armes, le financement des
groupes armés, le commerce des ressources naturelles, les violations graves des
droits de lhomme, et les problématiques transfrontalières.
Basée à lest de la RDC
pendant son mandat, léquipe dispose dune connaissance approfondie de la région
des Grands lacs, notamment des dynamiques régionales concernant les groupes
armés étrangers ainsi que nationaux.
Durant notre mandat de 2011-2012, nous avons bénéficié dune plus grande
expérience, étant donné que cinq des six membres faisaient déjà partie du
Groupe précédent. Dans mon cas par exemple, cétait mon troisième mandat. Ceux
qui contestent aujourdhui lobjectivité et la crédibilité du Groupe en 2012
doivent garder à lesprit quà une exception près, il sagit de la même équipe
que lannée précédente, où de telles critiques navaient jamais été exprimées.
Quelle fut votre méthodologie pour enquêter sur limplication des pays
voisins, dont le Rwanda, dans le soutien du M23 (visites sur le terrain,
entretiens, témoignages de première main etc…) ?
Comme il est expliqué dans
lannexe 2 de notre rapport final, nous avons adopté une méthodologie très
rigoureuse et approuvée par le Conseil de sécurité. Avant tout, nous avons
privilégié les informations recueillies auprès des témoins directs des évènements,
qui sont le plus souvent des ex-combattants des groupes armés. Pour le cas du
M23, nous avons notamment interrogé individuellement plus de cent anciens
combattants du mouvement rebelle, dont 57 qui ont déclaré être des citoyens
rwandais. Tous ont donné des témoignages détaillés sur le soutien du Rwanda aux
rebelles.
Nous avons corroboré ces informations avec un réseau de plus dune centaine
dautres sources notamment des leaders locaux, de commerçants, de simples
paysans, dex-officiers de larmée rwandaise, ainsi que des anciens officiers
du CNDP qui maintiennent de nombreux contacts avec leurs amis et membres de
leurs familles qui ont adhéré au M23. Nous avons aussi suivi de très près des
réunions entre les différents groupes armés et mobilisateurs qui ont eu lieu au
Rwanda (annexe 41), enquêté sur les transferts dargent (annexe 34), les
relevés dappels effectués par des individus liés aux groupes armés (annexe
59), des enregistrements de communications radio entre les rebelles et des
officiers de larmée rwandaise (annexe 26), des déclarations officielles des
détenus comme Roger Lumbala (annexe 45), des communications par emails et
messages sms (annexe 42), des documents didentification de soldats décédés au
combat (annexe 18 &37) ainsi que des images satellitaires montrant très
clairement les pistes reliant les quartiers généraux du M23 à des bases
militaires rwandaises, ce qui corroborait parfaitement les témoignages des
ex-combattants (annexe 6). En plus, comme complément aux informations recueillies
sur le ravitaillement en armes par le Rwanda, nous avons documenté
lutilisation quotidienne par le M23 darmes et équipements traditionnellement
utilisés par larmée rwandaise — notamment certaines armes lourdes et munitions
qui ne peuvent pas provenir dun détournement des stocks officiels de larmée
congolaises, parce quelles ny figurent pas (annexe 17) — ainsi que des tenues
militaires rwandaises fabriquées à Kigali (annexe 15).
En plus, à travers nos descentes fréquentes sur le terrain dans des zones
contrôlées par les groupes armés nous avons été témoins nous-mêmes dune
coopération étroite entre les rebelles et les forces spéciales de larmée
rwandaise et de livraisons déquipement militaire en provenance de lextérieur.
Nous avons également développé nos propres sources actives au sein du M23 qui
ont eux-mêmes reconnu le soutien du Rwanda à leur mouvement. En dépit des
menaces physiques proférées contre nous et contre nos collaborateurs, nous
avons effectué sept visites au Rwanda, souvent dans des localités importantes
dans le cadre du recrutement de civils pour le M23, afin de corroborer les
détails fournis par les ex-combattants notamment pour lhôtel Bushokoro à
Kinigi, qui non seulement correspondait parfaitement aux descriptions qui nous
avaient été données mais qui a aussi été encerclé par des soldats de larmée
rwandaise pour la protection de ce site tellement important pour le M23 (annexe
19).
Finalement, nous avons confirmé nos informations avec des services de
renseignements comme ceux de lOuganda, du Burundi, de pays occidentaux (annexe
22) ainsi que du gouvernement congolais, même si ce dernier a officiellement
refusé de collaborer avec nos enquêtes dans lélaboration de laddendum du
rapport intérimaire.
Le gouvernement rwandais vous accuse dêtre un sympathisant des FDLR et
un négationniste du génocide avec un agenda anti-Rwanda, Quelle est votre
réponse sur ce point?
Le gouvernement rwandais a
dabord tenté de répondre à notre addendum sur ces violations de lembargo sur
les armes pour que nous le modifions. Ayant échoué, faute dexplications
crédibles et convaincantes, le gouvernement a choisi de mener une campagne
médiatique, diplomatique et juridique à notre encontre, pour discréditer les
conclusions de nos enquêtes.
Nos détracteurs se sont principalement concentrés sur un document de discussion
interne, où jai été cité comme le point de contact,-ce document a été mis sur
internet par inadvertance-, et qui avait pour but danalyser les réactions
éventuelles des FDLR contre la population civile lors des opérations militaires
prévues au début de 2009, ainsi que de réfléchir aux modalités de
démobilisation et de rapatriement définitifs des membres de ce groupe dans le
contexte politique et historique de la région, y compris les massacres documentés
par le rapport «mapping » de lONU, qui sont très importants pour comprendre
lidéologie interne des FDLR. Il ny a rien dans ce document qui nie en aucune
façon le génocide rwandais. En revanche, il se réfère directement à
limplication des certains commandants des FDLR dans le génocide.
Cet exercice danalyse prospective ne concernait dailleurs pas uniquement les
FDLR, mais aussi dautres groupes armés à lEst de la RDC, y compris le CNDP à
lépoque, mais cela non plus ne veut pas dire que je défends leurs
perspectives.
Tout au début des attaques contre moi, jai personnellement demandé que ce
document soit retiré dinternet car, en tant que simple document de discussion
interne, il navait pas vocation à être rendu public et les autres analyses sur
les autres groupes armés nont dailleurs pas été publiées.
Le gouvernement rwandais est parfaitement au courant de mon objectivité en tant
quenquêteur sur les groupes armés, notamment sur les FDLR. Lors des mandats
précédents du Groupe dexperts auxquels jai participé en 2010 et 2011, nous
avions dailleurs établi une bonne coopération avec les services de
renseignements rwandais.
Ces derniers nous ont fourni de nombreux éléments dinformation que nous avons
par la suite tenté de confirmer avec dautres sources indépendantes, surtout
des ex-combattants des FDLR. Même si nos partenaires rwandais nont pas été
tout-à-fait satisfaits de nos conclusions à propos de liens entre les FDLR et
lopposant Kayumba Nyamwasa en 2011, ils ont, à lépoque, respecté notre
approche objective et impartiale qui sappuie strictement sur les standards de
preuve exigés par le Conseil de sécurité.
Par ailleurs, le Groupe dexperts, et moi-même en particulier, avons également
coopéré avec les procureurs allemands dans les procès en cours contre lancien
Président et vice-président des FDLR. En fait cest dans une large mesure grâce
aux efforts du Groupe dexperts pour exposer et documenter les réseaux dappui
externe aux FDLR que le mouvement rebelle se retrouve plus isolé et affaibli
aujourdhui que jamais, malgré ses efforts récents pour renaître dans le
contexte actuel de la rébellion du M23.
De plus, avant de rejoindre le Groupe dexperts, en 2006 et 2007, jai
travaillé comme officier de démobilisation de la MONUC, un poste pour lequel
jai parcouru à pied à maintes reprises le fin fond des forêts des deux Kivu
pour rencontrer des centaines de FDLR et tenter de les convaincre, avec un
certain succès, de déposer les armes et de rentrer pacifiquement chez eux. Le
gouvernement rwandais a pourtant utilisé ces accusations à mon égard comme un
élément clé de sa défense et il a même payé certains officiers FDLR pour quils
donnent de faux témoignages, assurant que je leur aurais fourni des armes
depuis quatre ans !
Bien que le gouvernement rwandais ait régulièrement exigé ma démission, aucun
des membres du Comité de sanctions du Conseil de sécurité ne ma posé la
moindre question à propos de ma soi-disant « partialité ».
Le Rwanda nie absolument toute implication et affirme que vous ne lui
avez pas donné un droit de réponse, ni considéré les explications et critiques
de vos enquêtes rendues publiques en juillet. Que répondez vous à ces
accusations ?
En réalité, nous avons donné au
gouvernement rwandais plusieurs opportunités de répondre aux résultats de nos
enquêtes. Ils ont refusé une première fois de nous recevoir lors dune visite
officielle à Kigali au mois de mai, en disant que notre présence au Rwanda
navait rien à voir avec lembargo sur les armes, un argument assez faible
étant donné que lembargo est la raison dêtre même du Groupe dexperts.
Ensuite, lorsque le Comité des sanctions nous a demandé expressément de
retarder la soumission de notre addendum au rapport intérimaire sur les
violations rwandaises de lembargo, la ministre rwandaise des affaires
étrangères a refusé de me donner la moindre réponse quand je lui ai exposé nos
conclusions. Quelques heures après notre rencontre, la ministre a pourtant
déclaré, lors dune conférence de presse, que personne navait partagé avec le
Rwanda les résultats de nos enquêtes.
En ce qui concerne le démenti officiel écrit par le gouvernement rwandais,
cest un document que nous avons bien étudié et auquel nous avons répondu
exhaustivement dans lannexe 3 de notre rapport final. Nous avons eu
loccasion, lors dune deuxième visite officielle à Kigali au mois de juillet,
découter les remarques du gouvernement rwandais, mais il nous a semblé que nos
interlocuteurs cherchaient plus que toute autre chose à nous interroger pour
connaître nos sources – qui doivent pourtant rester confidentielles selon la
méthodologie du Groupe dExperts.
Pour lessentiel, les officiels du gouvernement ont essayé de nous convaincre
que nous avions été en fait les victimes dun grand complot ourdi par le gouvernement
congolais et plus particulièrement par ses services de renseignement. En
réalité, au début de nos enquêtes, cest-à-dire entre février et début juin,
les autorités congolaises ont tenté de nous bloquer laccès à des informations
sensibles sur limplication du Rwanda, car elles cherchaient alors à résoudre
le problème discrètement avec Kigali. Il nest dailleurs pas non plus très
logique que le gouvernement rwandais maintienne dun côté que le Congo est un
Etat en faillite, « un trou noir », et quil avance par ailleurs largument que
ce même gouvernement serait efficace au point de pouvoir fabriquer les faux
témoignages de plus dune centaine dex-combattants du M23, sans compter
également les centaines de sources locales et témoins directs de limplication
du Rwanda, tous éparpillés entre lIturi, le Nord Kivu et le Sud Kivu. Après le
mois de juin, nous avons effectivement observé plus de coopération de la part
du gouvernement congolais, mais les informations de source congolaise nont
jamais été la base de nos enquêtes.
Concernant certains détails de lexplication fournie par le gouvernement
rwandais, notamment sur les questions darmement du M23 lors de notre visite à
Kigali en juillet, le gouvernement nous a présenté de vieux AK-47 détruits
comme la preuve quils navaient pas fourni darmes aux rebelles, y compris des
obus de 75 mm.
Lorsque que jai exprimé mon manque de compréhension à ce propos, le chef des
renseignements militaires a répondu que les obus de 75 mm en question avaient été
détruits depuis un certain temps, mais quils nétaient pas visibles car ils se
trouvaient par hasard « en-dessous » des AK-47. Un mois plus tard, nous avons
appris que le Rwanda a sollicité un appui technique pour détruire des obus de 75 mm et de 120 mm, du même type que
ceux que les rebelles ont utilisé pour attaquer Goma.
Même après la reconnaissance officielle par le gouvernement rwandais du fait
quil pourrait en effet y avoir eu des recrues du M23 en provenance du Rwanda,
le gouvernement na pas effectué la moindre enquête à ce sujet. Lorsquaucune
de nos conclusions na pu être réfutée, ils sont passés aux attaques
personnelles contre nous. Depuis août, ils ont tout simplement refusé de nous
rencontrer et de coopérer à nos enquêtes. Pendant cette période, nous navons
fait quobserver une augmentation du soutien et de lemprise directe du
gouvernement rwandais sur le M23, culminant avec la prise de Goma en novembre.
Quand est-ce que cette guerre du M23 a commencé à être préparée ? Et
quels ont été les premiers signes de limplication du Rwanda?
Dans notre rapport final de 2011,
nous avions souligné le fait que des commandants ex-CNDP se préparaient déjà à
un retour à la guerre, car ils sattendaient à ce que les élections
présidentielles soient très contestées. Non seulement Bosco Ntaganda plaçait
ses hommes à des postes stratégiques au Nord et au Sud Kivu et contribuait à la
manipulation des élections dans le territoire de Masisi, mais Sultani Makenga,
de son côté, avait déjà commencé à accumuler de très importantes quantités
darmes grâce à ses réseaux dappui déjà établis au Rwanda et en Ouganda.
En janvier 2012, Makenga a échoué dans une première tentative de mutinerie à
Bukavu, essayant de mobiliser les sympathisants de Vital Kamehre contre la
proclamation des résultats des élections présidentielles. Tout en appuyant
officiellement la campagne du Président Kabila, les autorités rwandaises
avaient aussi contacté des membres de lopposition à Kinshasa pour leur dire
que Kabila sapprêtait à tricher et les inciter à mobiliser leur base pour len
empêcher.
Néanmoins, limplication directe du Rwanda na jamais a été aussi évidente que
lors que les forces gouvernementales ont mis en débandade les mutins de
lex-CNDP fin avril. Cest à ce moment-là quand le Rwanda a envoyé des éléments
de son armée pour faciliter larrivée de Makenga et de Ntaganda à Runyoni, à
moins de 7 km
de leur frontière, en vue dy établir le M23 comme un plan B. A partir de ce
moment, larmée rwandaise a déployé ses troupes dune manière permanente aux
côtés des rebelles congolais du M23 et renforcé chaque opération importante au
Congo avec des unités entières en provenance des bases militaires de Ruhengeri
et Kinigi au Rwanda.
Dans linterview accordée au Soir
par James Kabarebe, le Ministre rwandais de la Défense, y a-t-il des
points que vous contestez ?
Lors de notre entretien avec lui
en juillet, le Général Kabarebe nous a raconté la même histoire détaillée sur
les réunions auxquelles le Rwanda a participé dès le début de la mutinerie de
lex-CNDP en avril, comme preuve de sa bonne volonté. Effectivement, le
gouvernement rwandais a tenté de se positionner comme médiateur et pacificateur
de la situation en appui au gouvernement congolais, mais, les faits accablants
établis par nos enquêtes permettent de remettre en cause la stratégie du
Rwanda. En se positionnant à la fois comme juge et partie, cela leur
garantissait, quoi quil arrive, limposition dune solution convenant à leurs
intérêts à lest de la
RDC.
Kabarebe na fait que justifier toutes les revendications du
M23 et sa raison dêtre, en nous affirmant notamment que tous les groupes armés
congolais, y compris les groupes Mai-Mai – lesquels sont dailleurs impliqués
dans des violations du droit international humanitaire très graves- constituaient
avec le M23 une seule et même résistance crédible face au gouvernement
congolais. Nous avons trouvé ce discours assez surprenant de la part dun
ministre essayant par ailleurs de se distancer des accusations sur son
implication dans le soutien au M23.
Mais dans son interview publiée dans le journal Le Soir, Kabarebe a oublié de mentionner que les leaders congolais
du M23 étaient eux-mêmes parmi les pires responsables des travers de larmée
congolaise. Le Groupe dexperts a documenté à maintes reprises les exactions de
lex-CNDP, les mafias que le mouvement contrôlait au sein de larmée nationale,
notamment pour le trafic illicite des ressources naturelles, le détournement
des soldes, les actes de pillage, les viols, limposition du travail forcé, ainsi
que les assassinats directs de tous ceux qui sopposaient à leur domination de
larmée. Il na également pas mentionné que les évènements déclencheurs de la
mutinerie en avril étaient justement les séminaires tenus à Kinshasa sur la
réforme de larmée. Ntaganda, Makenga et Baudoin Ngaruye qui exerçaient déjà un
contrôle quasi-total sur larmée à lest de la RDC, ont tout fait pour faire échouer les
tentatives de réforme et maintenir limpunité dans les rangs des FARDC.
Dans ses efforts pour décrire le M23 en termes positifs, comme étant un groupe
rassembleur composé de toutes les ethnies à lest de la RDC, Kabarebe a aussi oublié
de mentionner le fait que de nombreux groupes ethniques ont refusé dadhérer au
M23, justement parce quils voient très clair dans limplication et le contrôle
direct de ce mouvement par le Rwanda. Ceci est notamment le cas de deux
communautés rwandophones très importantes, celle des Banyamulenge, qui sont des
Tutsis Congolais vivant Sud Kivu,et celle des Hutus des territoires de Masisi,
de Rutshuru, et de Kalehe.
En plus, Kabarebe vous a dit que pour rejoindre le territoire rwandais depuis
le quartier général du M23 à Runyoni, il fallait onze heures de marche car il
ny a pas de routes. Cela nest absolument pas vrai, car il ny a en réalité
que sept kilomètres entre Runyoni et la frontière rwandaise via des pistes en
forêt, dont nous avons des photos satellite (annexe 6). Celles-ci ont été
établies par larmée rwandaise en vue de ravitailler les rebelles, ce qui
réduit le voyage à une heure et demie de marche maximum. Kabarebe vous a
également affirmé que les ex-CNDP ont amené leurs armes et équipements du
Masisi vers Runyoni, mais il est impossible de transporter des armes lourdes —
comme celles que le M23 a commencé à utiliser une semaine après – à travers
deux volcans sans piste, au cœur du parc national des Virunga.
Finalement, Kabarebe vous a aussi affirmé que « les grosses ambassades au
Rwanda » navaient pas confirmé limplication du Rwanda en RDC, mais cela est
aussi faux. La réalité des relations internationales est telle que des pays ne
prennent jamais des décisions comme la suspension de laide à un partenaire
aussi important comme le Rwanda sans avoir leurs propres confirmations. Un
rapport du Groupe dexperts ne sera jamais perçu par ces ambassades de la même
façon que des rapports de leurs propres services diplomatiques et de
renseignements. Lorganigramme dans lannexe 22 de notre rapport final qui
situe Kabarebe comme commandant suprême du M23 nest quun simple exemple
illustratif des informations dont les pays occidentaux disposent eux-mêmes.
Dans votre rapport final, vous avez conclu que lOuganda est également
impliqué dans le soutien au M23. Quel est la différence entre leur appui aux
rebelles et celui du Rwanda ?
En fait, nous avons conclu que le
gouvernement du Rwanda a créé, équipé, entrainé, et commandé le M23, mais que
les rebelles bénéficiaient dun soutien aussi très important de la part des
réseaux composés dindividus au sein du gouvernement ougandais. Lun des faits
les plus palpables, cest la présence de troupes ougandaises venues renforcer
les rebelles lors de la prise de Kiwanja et de Rutshuru fin juillet 2012. Cette
présence a été confirmée par des dizaines dex-combattants, y compris deux
Ougandais, des cartouches de larmée ougandaise trouvées sur les champs de
bataille (annexe 28), ainsi que par beaucoup de témoins directs dans les
localités où ils ont été déployés.
En outre, nous avons établi grâce à de nombreuses sources, y compris au sein du
M23, que les rebelles ont bénéficié dun appui direct dofficiers de larmée
ougandaise dans leur ravitaillement en armes, logistiques, et recrues. Quand il
a fait défection de larmée congolaise pour rejoindre le M23, Makenga a laissé
dans sa résidence à Bukavu des boites vides darmes lourdes qui appartenaient
au Ministère de la défense ougandais (annexe 27). En établissant leur bureau
politique à Kampala les rebelles ont bénéficié de conseils techniques de
responsables ougandais sur leur stratégie militaire et politique. Au niveau
régional, au sud-ouest de lOuganda, nous avons constaté une coopération très
étroite entre des officiers de larmée ougandaise et leurs homologues rwandais
dans la coordination du soutien aux rebelles déployés au niveau des frontières
des deux pays avec le Congo. En outre, des interceptions de communications
radio du M23 ont confirmé limplication dofficiers ougandais (annexe 26).
Même si ce soutien aux rebelles nest pas le fait dune politique officielle de
lEtat, nous avons constaté que le gouvernement avait eu une politique de «
laissez-faire » vis-à-vis des activités du M23 en Ouganda, en leur laissant
notamment un libre passage aux frontières, selon des agents des services de
limmigration ougandais. Nous avons été, nous-mêmes, les témoins directs de la
réception dune cargaison de bottes en plastique à destination des rebelles
dans la localité de Bunagana, à la frontière avec lOuganda.
Plusieurs sources crédibles au sein du gouvernement ougandais ont confirmé ce
soutien aux rebelles à partir de lOuganda. Même un haut officier de la police
ougandaise, désigné par le gouvernement comme notre interlocuteur officiel pour
les questions relatives au M23, nous a avoué quen effet, il y avait des
individus au sein du gouvernement qui soutenaient les rebelles en leur
fournissant des armes, des financements, et en facilitant leur recrutement,
mais que le gouvernement allait enquêter et arrêter tous ceux qui étaient
impliqués. Plus tard, officiellement, le gouvernement ougandais a changé de
position en nous disant que cet officier nétait pas autorisé à parler au nom
du gouvernement, et que les rebelles étaient seulement présents à Kampala à la
demande du président congolais dans le cadre des initiatives régionales de
paix. Cependant nous avons établi que certains officiers rebelles étaient déjà
à Kampala en juillet, et collaboraient avec des officiers militaires ougandais
avant même que Kabila en soit informé.
Quel est limpact des rapports auprès du Comité des sanctions de lONU?
Le rôle principal du Groupe
dexperts est dinformer le Comité de sanctions sur les violations de lembargo
sur les armes et du régime des sanctions le plus rapidement et fréquemment
possible. Il na pas en tant que tel à se préoccuper des conséquences de ses rapports.
Il nous est également demandé de soumettre une annexe confidentielle
dindividus et entités que nous recommandons pour inclusion sur la liste des
sanctions, qui consistent en un gel des avoirs et une interdiction de voyager.
Il est de la prérogative des membres du Comité de sanctions dexaminer nos
recommandations.et de mettre à jour la liste officielle. Il nest pas possible
quun candidat proposé par le Groupe dexperts soit inclus sur cette liste sans
que plusieurs pays membres du Comité de sanctions aient eux-mêmes vérifié et
confirmé les conclusions du Groupe.
Le Comité a récemment désigné pour sanctions plusieurs hauts commandants et
dirigeants du M23, ainsi que le mouvement entier –de même que les FDLR– et le
Conseil de sécurité a réitéré son intention de sanctionner ceux qui apportent
un appui externe aux groupes armés en RDC.
Certains diplomates estiment quil ne faut pas, dans le cadre de la recherche
en cours dune solution pacifique, accuser ni le Rwanda ni certains officiers
ougandaises, mais ces questions ne sont pas de notre ressort. Le Groupe a un
mandat très clair et nous navons fait que laccomplir en identifiant les
responsables des violations de lembargo et apolitique.
Pour le groupe des experts, quelles seront les conséquences de
laccession du Rwanda au Conseil de sécurité ?
Le Rwanda est devenu membre du
Conseil de sécurité cette année, mais le mandat du Groupe dexperts avait déjà
été renouvelé à travers la résolution 2078 et une nouvelle équipe est en train
de se mettre en place. Après déjà trois mandats dun travail très intensif et
ardu, je nai pas présenté ma candidature pour pouvoir passer plus de temps
avec ma famille.
Le Groupe dexperts est un mécanisme ad hoc du Comité de sanctions du Conseil
de sécurité qui doit, tout en conservant son indépendance dans ses enquêtes et
ses conclusions, prendre en considération les avis de tous les pays membres du
Comité de sanctions dans lexercice de ses fonctions. En faisant partie du
Conseil de sécurité, le Rwanda sera obligé de dialoguer et de coopérer avec le
Groupe dexperts, ce quils ont refusé de faire lannée passée à partir du mois
daoût.
Néanmoins, les réticences du Rwanda à propos de lutilisation de drones en RDC
pour que les Nations Unies puissent prévenir et vérifier les violations de
lembargo sur les armes constitue déjà en soi un exemple des défis qui se
présenteront dans le cadre de la nouvelle composition du Conseil de sécurité.
En plus, étant donné que le Comité travaille sur la base du consensus, un pays
membre pourrait bloquer des candidats proposés pour des sanctions, ainsi que des
membres du Groupe dexperts pour des prochains mandats.