Une page d'histoire : Penser à Kasa-Vubu pour l'histoire
Le 24 mars 2013, cela fera 44 ans depuis que Joseph Kasa-Vubu a tiré sa révérence. Cette année, cette date tombe un dimanche. Mais on peut être sûr qu'elle passera inaperçue. Comme les autres années. L'Afrique, dans son ensemble, a un problème en cette matière. Ceux qui sont au pouvoir ont tendance à effacer l'histoire, à faire en sorte que celle-ci commence avec eux. Or, cela est de notoriété publique, un peuple sans histoire ressemble à un arbre sans racine. Ce qui est discutable pour le maréchal Mobutu (même s'il n'a pas fait que du mal, ce monsieur a quand même réussi un incomparable exploit en réduisant à sa plus simple expression un pays à la prospérité enviée par tous) ne peut pas l'être pour Kasa-Vubu qui a, au moins, légué à la postérité une image d'excellent gestionnaire, ayant un sens élevé de l'Etat et respectant au plus haut point le bien public.
C'est vrai qu'un beau mausolée lui a été construit. C'est vrai aussi qu'un imposant monument lui a été dédié à Kinshasa depuis bientôt trois ans, même si, laissé à la merci totale des shegués et autres bandits de toutes sortes, il n'est pas aussi protégé que celui de Lumumba ou de Mzee Laurent-Désiré Kabila.
Un vrai homme d'Etat
N'est pas homme d'Etat qui veut. Kasa-Vubu a été un vrai homme d'Etat. Il s'est drapé dans cette carapace dans toute sa dignité. Et cette dignité, il l'a gardée jusqu'à la fin de sa vie. Même lorsqu'il a été évincé du pouvoir de la manière que l'on sait.
Il a commis des erreurs, beaucoup d'erreurs, comme tout homme. Mais sur le plan politique, ses plus grosses erreurs, qui lui seront d'ailleurs fatales, se résument en une certaine naïveté qui le caractérisait et la démarcation qu'il n'arriva jamais à opérer entre le prêtre qu'il voulait devenir, et le politique qu'il devint finalement.
Ainsi, il se déconnecta pratiquement de l'Abako, le parti qui avait fait de lui ce qu'il était, dès son élection à la magistrature suprême. Il prit aussi ses distances vis-à-vis de son ami Joseph Diangienda, dédaignant les invitations lui lancées dans le cadre des manifestations importantes de l'Eglise kimbanguiste. Diangienda en souffrit beaucoup, mais également Batshikama, l'autre compagnon de lutte. Il faut aussi regretter la façon malheureuse dont M. Daniel Kanza, Vice-président de l'Abako, fut soigneusement écarté du directoire à travers un montage grossier.
Enfin, tout en étant Chef de l'Etat, Kasa-Vubu se comportait toujours un peu comme le prêtre qu'il avait tout fait pour devenir. Ainsi, lorsque le félin Joseph-Désiré Mobutu appela les commandants de toutes les régions militaires pour une " réunion de routine ", Evariste Kimba, inquiet, demanda au Président si, en sa qualité de commandant suprême des forces armées, il avait pensé déléguer un officier à cette réunion de l'état-major, Kasa-Vubu lui répondit : " Mobutu y participe, je lui ai demandé de me représenter ". Et il était surpris de recevoir le matin, des mains du colonel Tshatshi, envoyé par Mobutu, la notification de sa démission. Tous ces éléments réunis ont coûté sa perte.
Le père de l'indépendance
Si Kasa-Vubu est connu comme le père de l'indépendance de la RDC -avec bien d'autres, il est vrai- il y a des gens qui ont, dans l'ombre, joué un grand rôle et dans l'édification de l'Abako, et dans l'indépendance de notre pays. L'histoire n'en parle malheureusement pas, mais c'est une page qui mérite d'être corrigée. Parlons de trois d'entre eux : Joseph Diangienda Kuntima, Raphael Batshikama, et l'Abbé Jean Loya. Ils ont formé, avec Joseph Kasa-Vubu, le noyau dur de l'Abako.
Habitant pratiquement le même coin, ces amis se retrouvaient presque tous les soirs et débattaient des questions importantes de l'heure. Les deux religieux étaient la partie cachée de l'iceberg. Ainsi, chaque fois que Kasa-Vubu était bloqué dans une réunion du parti, il avait coutume de renvoyer la question au lendemain par la formule " la nuit porte conseil ". En réalité, la question était débattue le soir par le noyau et le lendemain, le Président avait la réponse. Ce qui éclairait encore plus son aura.
Tout en se démenant avec une énergie inépuisable et un sens d'organisation hors du commun, Joseph Diangienda posait la charpente de l'Eglise qu'il fondait sur les cendres du mouvement initié en 1921 par son illustre père tout en ne ménageant nullement ses efforts en apportant sa pierre à la lutte pour l'indépendance du pays à l'élection future de Kasa-Vubu à la Présidence de la République.
L'Abbé Jean Loya est un nom que le pays ne devrait pas oublier : cet homme a donné sa vie pour ce pays. Lorsque les événements du 4 janvier 1959 tournent au vinaigre, c'est dans sa famille biologique, à Yolo Nord, que le Président de l'Abako, activement recherché par la Police belge, trouve refuge.
Mais qui ne connaissait pas Kasa-Vubu à Léopoldville ? Craignant que la nouvelle ne s'ébruite, l'Abbé Loya courra un risque très courageux. Sa sœur ayant soigneusement maquillé le Président qui était très brun avec une poudre obtenue grâce au frottement des braises, l'Abbé lui passera une soutane avant de le prendre dans sa voiture. Les policiers, nombreux à chaque barrage érigé, ne voyaient que deux prêtres passer.
L'autorité coloniale ne lui pardonnera jamais d'avoir ainsi fait passer Kasa-Vubu entre les mailles de ses filets. Un " accident " de circulation, un véhicule de la Police ayant cogné sa coccinelle, l'enverra ad patres, aux environs de Sona Bata, dans le Bas-Congo, quelques mois avant l'indépendance. La soutane qu'avait portée le Président existerait encore, enfouie quelque part dans ce qui était encore hier la périphérie de Kinshasa.
Raphael Batshikama, lui, était un membre visible de l'Abako. Véritable cerveau-pensant, il a été pour beaucoup dans l'orientation de ce parti.
Pour le legs à la nation de sa gestion orthodoxe de la Res Publica et, donc, le respect strict de la notion du bien public (y a-t-il leçon plus importante que celle-là pour la jeunesse, Congo de demain, dans ce pays aux mœurs aujourd'hui dépravées ?), le Président Joseph Kasa-Vubu mérite une fine fleur à la date de sa mort, comme le Président Laurent Désiré Kabila et le Premier ministre Patrice Lumumba. Pour l'histoire.
Jean-Claude Ntuala(L'Observateur )