26 04 13 Le Patriote (Burkina Faso) – Thierry Michel (Réalisateur belge) – “L’affaire Chebeya ? Un sujet sensible et dangereux”

 Le Patriote : Pourquoi cette fascination autour de la RD Congo?

 Thierry
Michel : C’est une passion pour l’histoire d’un grand pays africain
francophone qui nous est accessible. C’est une ancienne colonie belge.
L’histoire est donc plus proche de la Belgique qu’elle ne peut l’être
pour d’autres pays comme la France. Et c’est un pays qui a connu des
tumultes invraisemblables depuis plus de vingt ans, avec la chute du
dictateur Mobuto Sese Seko, les deux guerres qui ont suivi l’accession
au pouvoir de Laurent Désiré Kabila, son assassinat et l’arrivée de son
fils au pouvoir. Aujourd’hui, il y a une nouvelle guerre à l’est, sans
oublier l’incroyable richesse de ce pays qui est un scandale géologique,
un véritable coffre-fort de matières premières pour l’humanité. Ainsi
que la guerre économique sans merci que vivent les puissances du monde
qu’elles soient orientales ou occidentales. Cela va de la Chine aux
Etats-Unis. Il y a donc beaucoup de facteurs qui donnent un aspect
passionnant à l’histoire de ce pays. Et j’en suis devenu le chroniqueur
même si je réalise des films sur d’autres pays. Mais, c’est un lieu
privilégié où je fais des films quand je peux le faire.

 LP : N’empêche, le Congo est aussi un terrain difficile pour le réalisateur belge que vous êtes…
 TM : Effectivement. Pour la deuxième fois de ma carrière, j’ai été arrêté dans ce pays, expulsé puis interdit de visa.

 LP : Justement, qu’est-ce qui vous a motivé à faire un film sur un sujet aussi sensible que l’affaire Chebeya ?
 TM
: Je l’avoue, c’est un sujet sensible et dangereux. Mais,
journalistiquement c’était intéressant. C’est ce qui m’a motivé à faire
ce film. De plus, il était extrêmement important de se rendre qu’en RD
Congo où, sur une même législature, c’est-à-dire durant les cinq
dernières années qu’a passées au pouvoir le président Joseph Désiré
Kabila, huit journalistes avaient été assassinés. C’est beaucoup trop.
Et au-delà de ces huit journalistes, voilà qu’on assassinait le leader
de la société civile, le pionnier des fondateurs des organisations de
défense des droits de l’homme en RD Congo qui avait courageusement déjà
affronté la dictature de Mobuto, et était en butte avec l’hostilité du
régime. En tant que défenseur des droits de l’homme, il se devait de
dénoncer tous les manquements à l’état de droit qui pouvaient se passer
dans ce pays. Pour moi, Floribert Chebeya est le Martin Luther King de
la cause congolaise. Je le connaissais bien et j’avais beaucoup de
respect pour lui. Je ne pouvais donc pas ne pas faire un film sur sa fin
tragique et surtout sur ce procès historique qui a eu lieu en RD Congo,
le deuxième le plus important de l’histoire post indépendantiste de ce
pays, après bien sûr celui des assassins du Président Laurent Désiré
Kabila. Ce procès a duré huit mois et a eu un retentissement
international invraisemblable. Cette histoire est en même temps une
tragédie et une comédie politique. Durant ce procès, on dit qu’on
cherche la vérité, les assassins et les commanditaires du crime et en
même temps, on ne les cherche pas tout à fait parce qu’il y a des
intouchables qui sont dans l’impunité et ne peuvent pas être poursuivis à
cause de leur statut, de leur réseau et de leur puissance militaire.

 LP
: Le film plonge le spectateur au c?ur du procès des présumés auteurs
du crime et leurs commanditaires. Ça a été facile pour vous d’obtenir
l’autorisation de filmer au tribunal militaire ?
 TM : J’avais un
visa de résident permanent et une autorisation de filmer. J’avais aussi
une accréditation de journaliste permanent. Je n’avais donc pas une
autorisation spéciale. Au niveau du tournage, je l’avoue, j’ai eu une
grande liberté. Ce qui a été étonnant car une fois le film fait, alors
qu’il devait être projeté à l’invitation de la société civile congolaise
et des chancelleries occidentales, j’ai été arrêté peu après mon
arrivée (à Kinshasa) et expulsé du pays. Mon statut de résident a même
été annulé. C’était en juillet 2012. Et quand je suis rentré en
Belgique, j’ai eu droit à un procès intenté contre moi par le Chef de la
police congolaise, le Général John Numbi. Naturellement, il a perdu
parce que nous sommes dans un Etat de droit en Occident. Il ne pouvait
pas évoquer son droit à l’image pour empêcher la diffusion d’un film sur
un assassinat ciblé dans un pays d’Afrique. J’ai donc été victime de
ces atteintes à la liberté de la presse et d’expression.

 LP : N’est-ce pas paradoxal qu’on vous laisse filmer le procès et qu’après on interdise le film ?
 TM
: Ça paraît effectivement paradoxal mais, en fait, ça ne l’est pas.
Parce que la situation a changé. J’ai filmé le procès avant les
élections. Et le procès était sous une pression invraisemblable. Si bien
que les autorités congolaises étaient obligées de le faire, et, en
plus, public. A chaque audience, il y avait des représentants
chancelleries occidentales. Il y avait donc une exigence de la
communauté internationale qui était prête à aider le pays, à soutenir le
fait que le Sommet international de la Francophonie se tienne à
Kinshasa (ndlr, il s’agit du XIVème Sommet qui a eu lieu du 13 au 14
octobre 2012) mais avec un minimum de respect des droits de l’homme. Il y
avait donc des conditionnalités. En ce moment-là, les autorités
congolaises ont voulu donner une bonne image. En même temps, le procès a
révélé de nombreux mensonges d’Etat, entre autres des détournements,
des falsifications de preuves, de listings téléphoniques qui ont altéré
l’image du pouvoir et de la police. Donc une fois le film fait, ils se
sont rendu compte qu’il se retournait contre eux, que les lacunes du
procès avaient été mises en avant pas, par le film mais par la
procédure. Et d’autres choses, une fois les élections terminées, les
données avaient un peu changé. Le pouvoir les avait gagnées, pour les
cinq prochaines années. Il n’avait donc plus de garantie à donner à la
communauté internationale. Du coup, les cartes ont changé de mains.

 LP : Au-delà du film, pensez-vous sincèrement que la vérité sur la mort de Floribert Chebeya éclatera au grand jour ?
 TM
: J’ai essayé de contribuer à la manifestation de cette vérité. Puisque
j’ai continué les investigations une fois le film terminé. Et j’ai
réussi à retrouver un des témoins clés de cette affaire, en l’occurrence
le Major Paul Mwilambwe l’un des trois militaires en fuite à l’étranger
et qui est considéré comme l’un des assassins de Floribert Chebeya, et
qui a été condamné par contumace à la peine capitale par la cour
militaire. Il a donné son témoignage. En effet, il a dit qu’il n’était
pas un exécuteur mais plutôt un témoin. Il a vu comment Floribert
Chebeya a été étouffé par des sacs en plastique avec du scotch pour
l’empêcher de respirer. Il a eu une agonie assez longue de 25 minutes.
Il a expliqué aussi comment le corps a été transporté et déposé là où on
l’a trouvé. Il a également dit comment son chauffeur a été tué et où
son corps a été enterré, pour faire disparaître les preuves, il a donné
de nombreux détails. C’est un homme des services de la sûreté qui a été
formé pour le compte de la police congolaise par les services du
président Moubarak en Egypte. Tous ces éléments, je les ai empilés et
remis à la justice congolaise. Et j’avoue que je suis très surpris qu’on
n’ait rien pris en compte dans ce qu’il a dit. On n’a même pas été voir
la parcelle de terrain du Général Numbi où le corps du chauffeur a été
enterré et dont il a donné le plan précis. En six mois, il n’y a même
pas eu la moindre tentative d’aller vérifier cela. Ce sont des signes
qui montrent qu’il y a une volonté d’empêcher la vérité de surgir et que
justice se fasse. Donc, on a de grands doutes même si les avocats
espèrent encore que le droit se dise au Congo. Si ce n’est pas le cas,
ils devront aller devant les instances internationales. Ce sera l’ultime
recours. Aujourd’hui, il y a peu de grands criminels d’Etat qui
échappent encore aux juridictions internationales. Où se trouvent
Laurent Gbagbo et Jean Pierre Bemba ? Ils sont en prison en Hollande. Je
pense qu’à vouloir étouffer la vérité, on ne fait que retarder les
échéances où la justice pourra rendre son honneur, sa dignité aux
familles des victimes, qui non seulement ont perdu un être cher, mais
aussi ont été l’objet de tracasseries. Les familles de Floribert Chebeya
et de son chauffeur ont été contraintes à fuir en exil pour se
protéger.

 LP : La fin du film semble ouverte. Doit-on s’attendre à une suite ?
 TM
: C’est ce que j’ai fait avec l’interview du Major Mwilambwé. J’ai
rendu le son public mais pas l’image. Il y a donc une suite mais elle
n’est pas dans le film. Elle est plutôt journalistique.

 LP : Et pour l’écran ?
 TM
: Ça demande trop de moyens et beaucoup de risques financiers. Je me
suis endetté pour faire ce film et, on a des obstacles. Parce qu’il
n’est pas diffusé sur beaucoup de chaînes de télévision. Les chaînes
françaises ne l’ont pas fait. Et TV5 Monde, vu l’interdiction du film en
RD Congo, n’ose pas le diffuser. CFI (Canal France International) non
plus. C’est donc très difficile. Malheureusement, le cinéma demande des
moyens économiques pour réaliser des oeuvres de ce genre. Quand il n’y a
pas le budget, il n’y a pas le budget. On le fait avec la plume, le
micro et éventuellement l’Internet.

 LP : Est-ce pour cela que
votre prochain film sur le Moïse Katumbi (Gouverneur du Katanga et
Président du TP Mazembé) est moins dérangeant ?
 TM : Moins
dérangeant ? On le verra quand le film sortira. C’est le film qui était
prévu et non celui sur l’affaire Chebeya. C’est l’événement qui a créé
le film sur Chebeya. J’ai donc dû interrompre le documentaire sur
Katumbi pour faire celui sur Chebeya. Cela dit, je ne crois pas qu’il
soit moins dérangeant que les autres. La preuve, si vous allez sur
Internet, vous trouverez des menaces me concernant. Notamment, la Voix
des jeunes Katangais qui annoncent qu’ils vont empêcher par tous les
moyens la diffusion du film. Il y a eu des intimidations sur les gens
qui ont pris la parole dans le film. Il en y a d’autres qui sont des
repentis. Ce film n’est pas une ode à la gloire du gouverneur. Il essaie
plutôt de montrer ses systèmes, sa réussite économique, sportive,
médiatique, financière et aussi des choses qui sont moins claires et
parfois des formes d’abus de pouvoir. Je ne suis pas jamais complaisant
avec le pouvoir. Donc ne je ne vais pas plus faire plaisir au pouvoir
avec ce film que les précédents.

 LP : Justement, comment a-t-il réagi ?
 TM
: Pas trop bien. Mais, je pense qu’il a cette capacité d’accepter la
critique que les autres n’ont pas. Il peut mal vivre la critique dans un
premier temps. Parce qu’un homme du pouvoir en Afrique n’aime pas être
critiqué. Mais, après s’il prend bien conscience du statut d’un vrai
homme d’Etat, il doit accepter d’être l’objet de critique et de débat
démocratique.

 LP : Quand sortira le film ?
 TM : En avril en France, en Belgique et ailleurs dans les festivals.
 Réalisée à Ouagadougou par Y. Sangaré

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