La mémoire courte et les ravages de l’impunité, par B. Musavuli

  Un drame pour les victimes, car, dans un conflit, pour qu’on arrête définitivement de « tuer la population », il faut créer un tribunal pénal et engager des poursuites judiciaires systématiques. Les survivants de la Shoah ont pu souffler dès que les cadres nazis sont passés à la barre au procès de Nuremberg. Les massacres dans les Balkans ont cessé dès qu’il est apparu qu’aucun « tueur » n’était intouchable et que les menottes se refermaient sur les poignets de Slobodan Milosevic.
Au Rwanda, la fin du massacre contre les Tutsis est devenue effective
dès que la communauté internationale a entrepris de poursuivre
systématiquement les « génocidaires hutus »


Au Congo, rien de tout cela n’est en œuvre, ce qui donne à cette guerre, pourtant la guerre la plus meurtrière du monde, aujourd’hui, deux particularités atroces : la question de « justice pour les victimes » est systématiquement écartée des « négociations politiques » tandis que des « criminels notoires »
sont élevés à de hautes fonctions dans les appareils d’Etat ou assurés
de la totale impunité par les gouvernements de la région (RD Congo, Rwanda, Ouganda).
Des criminels qui, assurés de ne courir aucun risque judiciaire,
n’hésitent pas à reprendre les armes et à se livrer aux mêmes exactions
contre les mêmes populations, et ça dure depuis 1996.

Ils sont pourtant parfaitement identifiés et figurent sur plusieurs
listes dont celle des personnes visées par les sanctions de l’ONU[1] et de l’Union européenne[2].

C’est une configuration qui plaide pour la poursuite de la guerre et
l’accumulation des tragédies individuelles et collectives dans les
rangs de la population congolaise. Car en l’absence d’une menace
judiciaire effective, il y a peu de chance que la guerre du Congo, une
guerre d’enrichissement par le pillage, s’arrête de sitôt.

On peut facilement se rendre compte du ravage de l’impunité en
effectuant un petit travail de croisement des données. On prend la liste
des responsables du M23 (civiles et militaires), on la croise avec celle des responsables des autres rébellions (CNDP, RCD, AFDL), ancêtres du M23. On se penche ensuite sur les rapports des ONG[3] des droits de l’Homme (Amnesty International, Human Rights Watch) et des experts de l’ONU[4] (Résolution 1533)
qui répertorient les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et
crimes ordinaires au Congo depuis 1996. On est surpris de retrouver les
mêmes noms, les mêmes groupes, le même type de crimes (viols, massacres, pillages) et, pire, « la même impunité » qui perdure.

Qui peut croire que des individus qui tuent depuis 1996, dont les
crimes sont parfaitement répertoriés mais qui n’ont fait l’objet
d’aucune action judiciaire, arrêteraient tout d’un coup de se livrer à
des exactions contre la population ?

Aujourd’hui comme hier…

Aujourd’hui comme hier, on s’apprête à revivre la même entreprise de « recyclage »
avec les autorités rwandaises et leurs homologues de la RD Congo à la
manœuvre. Il faut dire que le régime de Kinshasa a en commun avec celui
du Rwanda, l’art d’orchestrer le silence pour garantir l’impunité sur un
certain nombre de « dossiers noirs  ».

Un groupe de combattants du M23 mené par l’ancien Président du mouvement, Jean-Marie Runiga, est aujourd’hui « protégé » par le Rwanda depuis mi-mars dernier. Un acte de « protection » qui en rappelle d’autres.

En effet, le Rwanda met systématiquement à l’abri de toute poursuite
judiciaire, des combattants qui reviennent de l’Est du Congo, quelle
que soit la gravité des crimes qu’ils y ont commis. En lisant le rapport
S/2012/843 des experts de l’ONU (pages 164-175),
on retrouve les noms des membres du M23 aujourd’hui sous la protection
du Rwanda et la liste des exactions auxquelles ils s’étaient livrés dans
l’Est du Congo.

Ce n’est pas la première fois que le Rwanda « fait oublier » des criminels qui ont commis des exactions dans l’Est du Congo sous ses ordres.

En janvier 2009, le général Laurent Nkunda et un bon nombre de ses
hommes avaient été mis à l’abri, au Rwanda, où ils coulent des jours
tranquilles. Ils venaient pourtant de massacrer 140 civils congolais
dans la localité de Kiwanja[5]
lors de l’offensive sur la route de Goma. Ils avaient, au passage,
détruit deux blindés de l’ONU. Des crimes de guerre pour lesquels ils
sont aujourd’hui à peu près certains de ne pas répondre, protégés par le
régime de Paul Kagamé.

Avant le groupe de Laurent Nkunda (janvier 2009) et celui de Jean-Marie Runiga (mars 2013), le Rwanda avait déjà mis à l’abri, un autre groupe d’insurgés mené par un certain colonel Jules Mutebutsi (juin 2004). Cet officier, aidé par le Rwanda[6], en violation de la Résolution 1493
du Conseil de sécurité de l’ONU, avait mené une violente attaque contre
la ville de Bukavu dont il pilla la banque avant de se retirer au
Rwanda avec son butin. Selon une ONG locale, 359 personnes furent tuées
et 294 femmes furent violées.

Jules Mutebutsi coule des jours tranquilles au Rwanda, confortablement protégé, avec ses hommes, par les autorités de Kigali.

Les cas Runiga, Laurent Nkunda et Mutebutsi, tous à l’abri de la
moindre action judiciaire après avoir commis des exactions dans l’Est du
Congo, fait craindre que Sultani Makenga, redoutant un affrontement
avec la brigade de l’ONU, finisse, lui aussi, dans le sanctuaire de
l’impunité que le Rwanda est devenu. Il est pourtant impliqué dans
tellement d’actes d’atrocités qu’il aurait pu se retrouver aux côtés de
son « compagnon » de maquis, Bosco Ntaganda dans l’avion affrété par la Cour Pénale Internationale.

Le drame à venir pour les populations du Kivu est que le Rwanda, une
fois la pression médiatique retombée sur l’affaire de la brigade de
l’ONU, et après avoir réussi à faire oublier les hommes de Makenga,
comme ceux de Runiga, et, comme avant eux, ceux de Nkunda ou Mutebutsi,
relance la guerre dans l’Est du Congo, comme d’habitude, sous un nouvel
acronyme.

La RDC complice ?


"«
Le
régime de Joseph Kabila n’est pas exempt de tout reproche. Car ces
criminels, qui sévissent par vagues successives, lorsqu’ils ne se
mettent pas à l’abri au Rwanda, se mettent à l’abri dans les
institutions de la République démocratique du Congo. Tous les officiers
du M23 étaient membres des FARDC et probablement rwandais de naissance,
comme en témoigne le décret de leur révocation par Joseph Kabila.

Certains avaient servi dans l’AFDL (Première Guerre du Congo), puis avaient repris les armes en 1998 (Deuxième Guerre du Congo),
avaient été réintégrés dans l’armé par application du fameux accord du
23 mars, pour reprendre les armes avec la mutinerie du M23. Des
récidivistes dont l’activisme fait subir un lourd tribut aux Congolais.

Et ça recommence

La faute à la mémoire courte. Le gouverneur du Nord-Kivu, Julien
Paluku, à l’occasion du passage de Mary Robinson à Goma, a annoncé que
plus de 500 combattants du M23 avaient réintégré les FARDC. Comme par le passé. Et les autorités les ont acceptés « tels quels » sachant pertinemment que ces « personnes »
peuvent difficilement renoncer à leur obsession de reprendre les armes
contre le Congo, sur ordre de Kigali et Kampala, dès la première
occasion.

Problème de mémoire dans les rangs des dirigeants congolais ou complicité structurelle avec Kampala et Kigali ?

Boniface MUSAVULI

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