IRIN – Briefing: Vers des solutions internes à la crise en R
KAMPALA,
16 mai (IRIN) – Le déploiement imminent d'une brigade d'intervention
des Nations Unies dans l'est de la République démocratique du Congo
(RDC) vise à neutraliser les milices opérant dans cette région en
proie aux troubles
[http://www.irinnews.org/fr/Report/98027/Le-renforcement-des-troupes-en-RDC-peut-il-changer-les-choses ].
La
force militaire, composée de plus de 3 000 hommes, travaillera en
collaboration avec la Mission des Nations Unies pour la stabilisation
en RDC (MONUSCO) lors du lancement d'offensives ciblées contre les
milices responsables de la mort de nombreux civils et de déplacements
massifs de population.
Si
certains analystes plaident en faveur de cette intervention
militaire, nombreux sont ceux qui prônent des initiatives du
gouvernement, notamment la réforme des institutions clés, et
pensent qu'elles constituent des solutions alternatives, voire
indispensables.
Comment
le secteur de la sécurité peut-il être réformé ?
Selon
les analystes, un secteur de la sécurité efficace est essentiel
pour résoudre la plupart des problématiques de la RDC.
«
L'incapacité du gouvernement congolais à protéger sa population ou
à contrôler son territoire entrave les progrès qui pourraient être
réalisés dans tous les autres domaines », d'après un rapport
rédigé en 2012 par un groupe d'organisations internationales et
congolaises de la société civile intitulé « La République
démocratique du Congo : Prendre position sur la réforme du secteur
de la sécurité »
[http://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/drc-ssr-report-french-20120416.pdf ].
Le
rapport affirme qu'« un secteur de la sécurité efficace –
organisé, doté de ressources adéquates, formé et soumis à des
contrôles – est essentiel pour résoudre des problématiques telles
que le déplacement de populations, le recrutement d'enfants soldats,
le viol, mais aussi la croissance économique ou le commerce de
minerais lié au conflit ».
Cependant,
il constate que très peu de fonds sont engagés directement dans la
réforme du secteur de la sécurité (RSS). Bien que le montant de
l'assistance au développement officielle en faveur de la RDC depuis
les élections de 2006 atteigne un minimum de 14 milliards de
dollars, à peine plus d'un pour cent a été attribué à la RSS,
soit près de 87,79 millions de dollars.
Le
rapport a critiqué la communauté internationale pour son «
incohérence politique et son manque de coordination » concernant la
RSS. Il a également reproché au gouvernement de la RDC son manque
de volonté politique d'assumer son rôle en matière de RRS, en
raison de la corruption endémique qui y règne.
Selon
Naomi Kok, consultante en recherche à l'Institut d'études de
sécurité (Institute of Security Studies, ISS), « la RSS est un
projet à long terme pour la RDC, et c'est surtout à Kinshasa que
revient la responsabilité de le mener à bien ».
Mais
le gouvernement de la RDC doit d'abord prendre ses responsabilités.
« Le problème de la RDC, c'est son gouvernement faible, voire
illégitime selon certains, incapable d'assumer totalement le
contrôle de son vaste territoire », a déclaré à IRIN Nicholas
Opiyo, un avocat de Kampala pour le cabinet-conseil Akijul
[ http://www.akijul.org/index.php ].
«
La faiblesse, ou les divisions au sein de l'armée congolaise ne sont
qu'[.]une manifestation d'un affaiblissement plus large dans
l'infrastructure gouvernementale du pays. Par conséquent, tout le
monde a recours à des solutions bancales, en prenant le contrôle
des instruments de violence ».
Comment
l'armée peut-elle être maîtrisée ?
Dans
l'est de la RDC, les actes de violence contre les civils perpétrés
par les Forces armées de la RDC (FARDC) et des dizaines de milices
sont monnaie courante.
D'après
un rapport
[ http://monusco.unmissions.org/LinkClick.aspx?fileticket=Pj7jOWjAxWo%3d&tabid=10662&language=en-US ]
du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l'homme datant du
mois de mai, les troupes des FARDC sont accusées d'avoir violé les
droits de l'homme dans la région autour de Minova, une ville de la
province du Sud-Kivu, lors de leur retrait de la province du
Nord-Kivu après la chute de la ville de Goma
[ http://www.irinnews.org/fr/Report/96837/RDC-200-000-enfants-en-danger-suite-à-la-chute-de-Goma
] entre les mains des miliciens du M23 l'an dernier.
«
Dans ce contexte, près de 102 femmes et 33 filles ont été victimes
de viols ou autres violences sexuelles commis par les soldats des
FARDC », indique le rapport, dans lequel il est également précisé
que les soldats ont eu recours au travail forcé, pillé des villages
et exécuté arbitrairement au moins deux personnes.
Les
FARDC sont souvent considérées comme une institution inefficace,
dont les troupes sont mal organisées et démotivées. En 2012, la
mutinerie du M23 dans l'est de la RDC des officiers tutsis des FARDC,
par exemple, a été en partie provoquée par des revendications sur
la rémunération et les conditions de vie
[ http://www.irinnews.org/fr/Report/95733/RDC-Comprendre-le-groupe-armé-M23
].
Les
experts affirment qu'à elle seule, la formation ne parviendra pas à
faire face aux problèmes des FARDC, qui sont structurels.
Dans
un courrier électronique adressé à IRIN, Thierry Vircoulon,
analyste à International Crisis Group (ICG), a écrit que « les
bienfaits de la formation [étaient] surestimés. Les partenaires
étrangers (Belgique, États-Unis, France, Angola, Afrique du Sud et
Chine) forment l'armée congolaise depuis 2006, et les résultats
sont très médiocres ».
«
La formation n'est efficace que lorsqu'elle peut être mise en
pratique, mais compte tenu de la nature de l'armée congolaise, les
soldats formés sont renvoyés dans une organisation dysfonctionnelle
au sein de laquelle ils ne bénéficient pas de salaire et de
conditions de travail décents. La formation ne résoudra pas les
problèmes structurels de l'armée congolaise. »
Les
FARDC ont été durement touchées par les divisions ethniques et
certaines troupes restent loyales à des milices.
«
La soi-disant armée congolaise est un ensemble disparate de
combattants venant de différents milieux : des anciens militaires au
service de Mobutu, des miliciens du Mouvement de libération du Congo
(MLC) de Jean-Pierre Bemba, des Maï-Maï, des membres armés de
l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
(AFDL), etc. Il n'y a pas eu de processus d'unification de ces
groupes et certains ont réussi à rester sur leur territoire
d'origine, notamment le Congrès national pour la défense du peuple
(CNDP) et le M23 dans le Nord-Kivu », a expliqué M. Vircoulon.
«
Ainsi, les affiliations ethniques ou passées subsistent et sont plus
fortes que le commandement et la discipline militaires. L'armée
congolaise n'est pas une institution, mais un ensemble disparate de
groupes de militaires qui ne sont ni entrainés, ni disciplinés.
»
Qu'en
est-il de la démobilisation ?
Le
processus d'intégration d'anciens soldats dans l'armée congolaise,
intégré au programme de désarmement, démobilisation et
réintégration (DDR) du gouvernement, s'enlise également.
«
L'état actuel de l'armée nationale est désastreux, et les
différents groupes armés ne sont pas au même niveau du programme
de DDR. La situation est aggravée par les manipulations politiques
régionales et nationales », a déclaré à IRIN Mme Kok de
l'ISS.
L'incapacité
de lutter contre les causes de la rébellion armée constitue un
autre défi, souvent responsable de l'échec du processus de
désarmement. En 2009 par exemple, le gouvernement de la RDC a signé
un accord avec les membres du CNDP, mais l'incapacité de mettre
pleinement en ouvre cet accord a entraîné la mutinerie de 2012 qui
a donné naissance au M23.
«
[Lorsque] le M23 a été intégré aux FARDC en 2009 [.] ses
structures de commandement et de contrôle [étaient] plus ou moins
intactes. Ainsi, lorsque le temps de fuir et de former une nouvelle
rébellion est venu, ils étaient préparés », a expliqué Mme
Kok.
L'absence
d'un processus de filtrage des soldats démobilisés est aussi un
problème.
«
La stratégie de réintégration de chefs de guerre abusifs et de
leurs soldats dans l'armée congolaise (souvent dans le cadre
d'accords de courte durée, avec un filtrage et une formation limités
ou inexistants avant le redéploiement d'anciens militaires en tant
que soldats de l'armée congolaise) a attisé des violences et
provoqué d'horribles violations des droits de l'homme dans l'est du
Congo », a déclaré à IRIN Ida Sawyer, chercheuse et militante de
Human Rights Watch (HRW).
Réformer
le système judiciaire
Une
justice et des mécanismes de responsabilité inadéquats facilitent
davantage l'impunité face aux abus.
Dans
le rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de
l'homme, il est précisé qu'entre le 15 novembre et le 2 décembre
2012, au moins 58 cas de viols ont été rapportés durant
l'occupation de Goma par le M23, dont les membres ont aussi exécuté
11 civils, recruté et utilisé des enfants soldats, et eu recours au
travail forcé et aux pillages.
Seuls
quelques rares chefs de milices de la RDC ont été arrêtés et
condamnés. Parmi eux, Thomas Libanga a été reconnu coupable par la
Cour pénale internationale (CPI) d'avoir enrôlé des enfants
soldats dans la région d'Ituri dans le nord-ouest du pays en 2002.
En mars, Bosco Ntaganda, ancien commandant du M23, a été remis à
la CPI
[ http://www.irinnews.org/report/95073/DRC-Lubanga-verdict-a-first-step].
Les
experts demandent l'établissement de tribunaux spéciaux en RDC pour
que les violations de droits de l'homme soient jugées hors de la
juridiction de la CIP.
«
Avec les organisations de la société civile congolaise, nous avons
aussi demandé l'établissement de chambres mixtes spéciales ou d'un
tribunal mixte spécial au sein du système judiciaire congolais,
avec l'implication de procureurs, juges et autres membres du
personnel judiciaire internationaux, afin de pouvoir engager des
poursuites contre les crimes de guerre et les crimes contre
l'humanité commis au Congo depuis 1990 », a rappelé Mme Sawyer de
HRW.
M.
Opiyo, analyste, a ajouté que « la nécessité de traduire en
justice les responsables présumés de crimes graves (les troupes
gouvernementales, les rebelles et les miliciens) ne doit pas être
flouée aux dépens d'avancées à court terme ».
Pour
M. Vircoulon, du groupe ICG, « le blocage de la réforme du système
judiciaire est la cause de l'impunité qui règne en RDC ».
Où
en sont les négociations pour des solutions locales ?
Des
négociations de paix entre le M23 et le gouvernement de la RDC sont
en cours à Kampala sous l'égide de la Conférence internationale
sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Les analystes généralement
sceptiques à l'égard d'une force d'intervention militaire sont
favorables à cette approche.
«
Tout dépend de l'efficacité de la brigade d'intervention des
Nations Unies, mais du point de vue de l'organisation (CIRGL), nous
ne pensons pas que la brigade d'intervention soit la solution
définitive au conflit », a déclaré à IRIN Stephen Mwachofi
Singo, chargé des programmes à la CIRGL.
«
Avec le processus de la CIRGL, un processus politique est déjà en
cours à Kampala. Un tel processus devrait être mené à terme »,
a-t-il ajouté.
La
lutte contre les tensions ethniques est indispensable à la
pacification des zones de conflit.
«
La RDC est un pays vaste et multiethnique. Certains groupes ethniques
s'étendent sur les frontières de pays voisins comme l'Angola et le
Rwanda. Malheureusement, le gouvernement actuel et l'ancien
gouvernement de la RDC ont utilisé cette multiplicité des groupes
ethniques pour les dresser les uns contre les autres et à des fins
de connivence politique. Cela a créé un sentiment de faveur et de
défaveur », a déclaré M. Opiyo, analyste.
«
Afin d'apaiser les tensions ethniques, une armée nationaliste est
indispensable, mais aussi un gouvernement représentatif. Une
administration centralisée, plutôt qu'un système fondé sur la
dévolution, offrirait une perspective nationale, et non plus
ethnique, au peuple congolais. »
Selon
Frederick Golooba-Mutebi, scientifique politique à l'Université de
Makerere, « une paix durable en RDC ne peut pas se construire avec
le déploiement de forces étrangères agressives ».
«
Les causes de la violence dans ce pays [RDC] sont internes. La
solution réside donc dans la résolution des problèmes internes
plutôt que dans la prolongation du conflit. Seuls [les] Congolais
peuvent résoudre leurs problèmes de manière durable. Les étrangers
ne peuvent pas le faire à leur place ».
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