Les concertations nationales : des vues neuves pour un nouveau Congo du monde global Par le prof. Philippe Biyoya Makutu Kahandja, directeur de l’Institut Panafricain des Relations internationales et Stratégiques

Un tel agenda consensuel ne devrait pas être le condensé de nos
ambitions ou de nos peurs partisanes légitimes qui ont souvent bloqué par le
passé, l’élan national de changement radical. Il ne devrait pas non plus être
un catalogue de bonnes intentions d’une gouvernance moralisée plus ou moins et
truffée de fausses confessions de maux qui nous rattrapent et nous replongent
dans l’incurie. Il faut faire plus et nous concerter autour de ce paradoxe qui
étonne toute l’humanité, celui d’un grand pays d’Afrique noire au centre du
Continent et parmi les plus peuplés et les plus pourvus en ressources
naturelles, malheureusement devenu le ventre mou de toute l’Afrique. Un pays
qui attise les convoitises de toutes les nations du monde et surtout de grandes
nations industrielles et de celles voisines confrontées à la misère et à la
pauvreté mais dont on entoure les fréquentations de précautions pour éviter de
déboucher sur une guerre interminable.

 Un agenda spécial pour ces concertations parce que c’est
sur fond d’une crise régionale se déroulant en territoire congolais sous forme
des guerres insurrectionnelles à répétition, guerres récurrentes régionalisées
à travers lesquelles s’affrontent non seulement  les destins des pays
voisins et celui du Congo mais aussi, ceux de tous les pays partenaires
régionaux et internationaux de la
RD Congo.
C’est pour cette raison que la Communauté
internationale s’associe aux Congolais pour un accompagnement des concertations
congolaises avec pour objectif le règlement définitif de la crise régionale
récurrente qui bloque et tend à décourager les incessants efforts d’un
redressement congolais par ses voies et moyens propres et malheureusement sans
stratégie nationale de prise en charge et de gestion des contraintes externes
hostiles. Cet accompagnement de la Communauté internationale à travers
l’Accord-cadre d’Addis-Abeba assorti de la résolution 2098 du Conseil de
Sécurité ne serait pas perceptible de tous et surtout de ceux que les rapports
de force dans la région en ces moments écrasent ou étouffent intellectuellement
et qui ne réclameraient qu’une guerre du monde contre nos méchants voisins.
Beaucoup doutent de la sincérité de l’engagement de la Communauté
internationale.

Il m’a donc semblé indiqué qu’en ce moment où la nation
congolaise s’apprête à aller au dialogue ou aux concertations nationales pour
construire ensemble notre cohésion nationale de paix, de sécurité et de
coopération régionale avec l’accompagnement de l’Organisation des Nations Unies
que nous exigions des uns et des autres de nous mettre en garde contre nos
folles habitudes de réunionites qui ruinent, à chaque rendez-vous pris avec
l’histoire, les chances de succès de nos entreprises politiques.

 Je voudrais que tous sachent et comprennent que la
rencontre avec l’histoire ne va pas sans précautions, parce que l’histoire ne
pardonne pas aux imprudents et aux insouciants selon ce que l’écrivain russe
Tolstoï nous enseigne que ce ne sont pas les hommes qui font l’histoire mais
que c’est plutôt l’histoire qui fait de certains hommes qu’ils deviennent de
grands hommes. Allons-y cette fois à la rencontre de l’histoire du destin
africain et mondial de la RDC
dans un nouveau contexte avec force d’esprit, d’intelligence et de sagesse,
pour infléchir la folle marche d’une autre histoire de la mondialisation qui
s’efforce à ravaler le Congo au bas niveau de petites nations. Il n’y aura plus
jamais de grand Congo et de grands leaders politiques congolais si ensemble
nous ne parvenons pas à relever ce défi et à ainsi conjurer le mauvais sort qui
hante depuis bientôt deux décennies la République du grand fleuve. Nous n’y arriverons
qu’en travaillant d’abord et surtout sur nous-mêmes, sans négliger de découvrir
les forces et les faiblesses des autres. Dans cette affaire, notre pire
ennemie, c’est la routine ; ce sont les habitudes du pouvoir facile, les
habitudes du pouvoir clientéliste. Nicolas Machiavel a enseigné que
l’essentiel, ce n’était pas l’acquisition du pouvoir mais plutôt sa conservation
dans sa relation avec sa finalité d’un service au profit des populations et du
monde. Ceux qui par le passé ont bénéficié des faveurs de ces hasardeuses
conjonctures devraient aujourd’hui s’en émanciper. C’est peut-être là, la
chance que nous avons ce jour de réunir au dialogue ceux qui nous restent de la
génération de l’indépendance avec ceux qui se réclament de la Conférence Nationale
et ceux qui sont nés des révoltes militarisées, des luttes de libération et
autres mouvements armés. Seul un agenda de concertations qui permette
l’intégration complète et parfaite de tous ces horizons et profils politiques
nous aidera à finalement sortir la tête de l’eau.

Cet agenda, je le construis à partir d’une relecture de
l’histoire qui aurait mal construit nos comportements et mentalités politiques
(notre culture politique) et qui sert de miroir au regard étranger qui nous
catégorise et nous dénie nos mérites. Cette histoire est celle avant tout de
l’équation du généralissime belge, Janssens, de changement sans mutations,
d’évolution politique et institutionnelle sans révolution, de dotation d’immenses
ressources naturelles sans prospérité, développement ni progrès. Nos pratiques
politiques, notre culture politique et nos combats politiques ou nos batailles
économiques et militaires n’ont jamais été pour démentir ce curieux jugement de
notre capacité politique et intellectuelle à devenir les maîtres de notre
destin. Il ne nous est jamais venu à l’esprit de nous demander d’où lui était
venue cette inspiration et nous n’avons jamais travaillé à le démentir. Bien au
contraire, à longueur des journées et au fil de temps, nous avons guerroyé à
nous détruire mutuellement et à déconstruire notre destinée nationale.

Démentir ce fatalisme, cette équation fatidique regrettable doit
être des objectifs centraux, voire stratégiques de notre système de
gouvernement national. 

Pourrions-nous nous accorder à relever ensemble ce défi lancé à
toutes les générations, à tous les enfants du Congo par un méchant colon pour
l’obliger à se repentir ?

 L’autre élément de l’agenda spécial, c’est la relecture
d’une autre histoire du leadership de notre dernier dinosaure, le Maréchal
Mobutu dont le nationalisme et le charisme pour avoir fait cohabiter la
dictature avec le sous-développement ont conduit certains d’entre nous à
imaginer la délivrance à travers ce que l’on a appelé la « géopolitique ». La
géopolitique congolaise au lieu d’inviter à la construction de la puissance
nationale aura plutôt détruit l’idée de la grande nation congolaise du rêve du
Maréchal Mobutu pour ouvrir la fameuse boîte de pandore du tribalisme, des
rivalités régionales ou provinciales alors que les provinces qui nous
revendiquons n’étaient pas et ne sont pas des entités viables
administrativement, économiquement ni sur le plan de la sécurité pour celles
qui étaient à la limite de nos frontières internationales. La géopolitique a
piégé notre destin national. Nous avions raison de refuser la dictature et de
récuser le sous-développement. Mais comment pensions-nous construire une
démocratie politique et économique en dehors du rêve et de l’engagement à
construire une grande nation congolaise ? Pourrions-nous aujourd’hui que nous
parions l’émergence économique revenir à ce vieux et beau rêve que célèbre
notre hymne national ? Bâtir un pays plus beau qu’avant n’est pas qu’une
question du plaisir des yeux ; ça veut dire avoir un Etat fort et une nation
dynamique et prospère et un peuple engagé et mobilisé. C’est là une vérité et
un impératif qui doit nous rassembler autour de cet héritage commun.

Ces deux premiers éléments de l’agenda montrent qu’une
concertation nationale visant, en ce jour, la cohésion nationale quelles que
soient les raisons tactiques ou stratégiques du pouvoir qui la convoque ne fera
date dans l’histoire que si elle produit au finish des vues neuves, des idées
nouvelles qui fassent rêver vieux et jeunes et qui créent des attentes chez les
voisins et les partenaires. Ces idées nouvelles ne doivent pas nécessairement
provenir d’un camp mais de nous tous. Et celles-ci découleront certainement de
notre lecture des temps nouveaux, temps régional et mondial.

Lumumba, Kasa-vubu, Tshombe et Mobutu ont eu des ambitions et
fait des erreurs autour de l’espoir que l’Afrique entière plaçait dans le rôle
africain et mondial de la RDC
célébré par Frantz Fanon dans la gâchette du revolver-Afrique. Mais
aujourd’hui, ce rôle fait l’objet de réinterprétation par les pays voisins. Il
ne nous arrive pas de nous interroger quant aux voies et moyens pour la RDC de demeurer au cœur
géographique et humain de l’Afrique et des africains. Notre belle impératrice
ne souffrirait-elle pas du mal d’incommodités vestimentaires ? Est-ce que les
robes et les vestes que lui avaient tissées ses admirateurs et amoureux lui
conviennent-elles encore pour paraître encore toujours splendide ? Le monde
dans lequel elle était la gâchette a depuis changé et ce changement obligeait à
lui changer aussi de look. Pourrions-nous le comprendre pour lui inventer une
nouvelle identité (géopolitique), la revêtir d’une nouvelle parure, lui trouver
une nouvelle vocation et la destiner à un nouvel avenir ?

La RDC, de réputation réservoir des matières premières, source des
convoitises étrangères, nation sous-continent, ne doit-elle pas se réinventer
dans le nouveau contexte du monde global ? Dans un monde de grandes
connaissances et de grands savoirs à travers les nouvelles technologies de
l’information et de communications et où des produits de substitution aux
matières premières sont possibles, y aurait-il avantage à demeurer un réservoir
du monde ? Et lorsque la mondialisation fait sauter les frontières, quel
avantage y aurait-il à être un pivot stratégique ou à se prévaloir de la multi
appartenance régionale, lorsque les délocalisations imposent la géoéconomie ?
Pourrions-nous nous mettre d’accord pour renouveler ensemble notre politique
étrangère, régionale et internationale ? L’autre plus grand handicap et colosse
ennemie, c’est la politique étrangère qui reste la corde qui nous enchaîne et
qu’il nous faut impérativement couper. C’est un défi global qui nous oblige à
agir ensemble.     

Il y a un grand devoir pour nous de réussir à travers la
concertation nationale de construire ensemble le leadership national du pays.

Trois grandes idées neuves, celles que nous venons d’exposer,
d’un agenda rassembleur et vitalisant des concertations nationales pour un
exorcisme collectif.

Il nous faut agir sur les clichés qui collent à notre peau et
qui appartiennent à une histoire écrite par les regards des autres. Il est
temps pour le Congolais  de répondre au mot d’ordre de Patrice Emery
Lumumba d’écrire une autre histoire du Congo. Celle que nos batailles
politiques et militaires d’aujourd’hui peinent à écrire. Le changement radical
ne doit plus être voulu par quelques uns mais par tous, parce que tout ce qui
nous est arrivé, l’aura été parce que nous n’avons pas réussi à travailler
ensemble et chercher à conquérir le monde ou ses marchés économiques et
commerciaux.

Ce défi est à notre portée, nous devrions le relever ensemble.

 

           

 

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