La Belgique mène encore la danse au Congo (David Cronin)

L’hebdomadaire
« Marianne » vient de publier les noms de 10 personnes impliquées dans
l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier des premiers ministres
congolais depuis. Cette liste, établie par les membres de la famille
Lumumba dans le cadre d’une plainte en justice déposée à Bruxelles il y a
deux ans, comporte le nom d’Étienne Davignon, ancien membre de la Commission européenne
et membre du groupe de Bilderberg, cercle restreint en faveur de la
globalisation des marchés. Davignon travaillait au ministère belge des
Affaires étrangères à l’époque de l’assassinat de Lumumba et transmit
alors un télégramme recommandant la « mise à l’écart » du premier
ministre.

 

Aujourd’hui
octogénaire, Davignon reste un lobbyiste de haut vol du milieu des
affaires. Sa présence sur la liste établie par les héritiers de Lumumba
m’a amené à voir si ses activités commerciales actuelles avaient encore à
faire avec le Congo. La réponse est manifestement : oui !

 

Davignon
est répertorié par le « Business Week » comme ancien titulaire des
fonctions de directeur et vice-président d’Umicore, société minière
anciennement connue sous le nom d’Union Minière du Haut-Katanga qui
avait entrepris dès le début du vingtième siècle l’exploitation des
fabuleuses richesses minérales du Congo. Davignon a aussi d’excellents
contacts avec Jean-Luc Dehaene, inusable premier ministre belge,
également membre du conseil d’administration d’Umicore.

 

Patrice
Lumumba avait eu l’audace de prétendre que les richesses du Congo
devraient d’abord bénéficier à ses enfants. C’était en juin 1960.
Cinquante-trois ans plus tard, le sous-sol de la province du Katanga est
toujours exploité pour le plus grand bénéfice d’Umicore. Il y a de
bonnes chances pour que mon smartphone, ou le vôtre si vous en avez un,
contienne des minerais d’origine congolaise. Umicore s’approvisionne en
Cobalt auprès des mines et creuseurs du Katanga pour alimenter le marché
des batteries, ordinateurs, voitures et produits chimiques. Umicore se
targue de détenir avec une autre firme 50 % de marché des produits de
base pour les batteries au lithium (une ressource essentielle pour les
équipements électroniques).

 

Corporate
Knights — une rubrique du Washington Post — qui soutient le capitalisme
propre (que voilà un bel oxymoron !) a classé Umicore parmi ses 100
entreprises les plus transparentes pour 2013.

Il
faut avoir un certain sens de l’humour pour oser qualifier de
transparentes les entreprises actives dans le secteur minier au Congo.
Le Fonds Monétaire International, qui ne partage pas ce genre d’humour, a
estimé le montant des exportations du Congo en pétrole et minerais pour
2009 à 4.2 milliards de $ US. Le gouvernement de Kinshasa ne percevant
que 155 millions de $ US en taxes pour cette année, soit 4 % de la
valeur exportée.

 

Cela
dans un pays où, comme le relève récemment l’ « Africa Progress
Report » publié par Kofi Annan, sévit une des pires malnutritions au
monde et où sept millions d’enfants ne sont pas scolarisés. Le Congo est
au fond du classement de l’Index du Développement Humain établi par les
Nations Unies, il est aussi ravagé par une guerre où le contrôle des
richesses minières du Katanga joue un rôle déterminant.

Loin
d’être discréditée par son implication dans les tragédies congolaises,
l’expertise d’Umicore est volontiers sollicitée. Ainsi, la Commission européenne
a adjoint Christian Hagelüken, représentant d’Umicore, à un « groupe
d’experts » chargé de garantir l’accès des entrepreneurs aux matières
premières. Un rapport de 2010 établi par ce groupe a identifié le cobalt
et le tantale congolais comme deux des quatorze éléments critiques
essentiels au développement de l’industrie électronique. Ce rapport
insistait pour que soient prises des actions en vue d’empêcher les
« distorsions commerciales », expression utilisée pour définir
l’obligation d’utiliser ces ressources en priorité pour les enfants du
Congo, comme le voulait Lumumba, plutôt que pour les utilisateurs de
MP3.

 

Inutile
de dire à quel point ces « experts » ont fait du battage autour de leur
apparent souci de transparence, de développement durable et de
protection de l’environnement. Cela mis à part, la détermination des
Européens à maintenir le Congo sous contrôle n’a pas changé.

 

Quand la Belgique se
résolut à céder son indépendance au Congo à la fin des années
cinquante, elle décida aussi de garder la main sur les ressources
minières du Katanga. Ce qu’elle fit en encourageant Moïse Tshombe, rival
de Lumumba et gouverneur de cette province puis en soutenant la
sécession du Katanga du reste du Congo.

 

La
demande de Davignon pour la mise à l’écart de Lumumba ressemble
furieusement au message de Dwight D. Eisenhower, président des
États-Unis, à Allen Dulles, patron de la CIA, suggérant « l’élimination » de Lumumba.

 

En 1884, l’Amérique fut le premier pays à reconnaître les prétentions de la Belgique sur
le Congo. Le déclenchement de ce processus entraîna, selon
l’anthropologue spécialiste de l’Afrique Centrale, Jan Vansina,
l’extermination d’une bonne moitié de la population congolaise entre
1884 et 1920. Cela signifie que 10 millions de vies furent supprimées
sous le règne de Léopold II, souverain de l’état du Congo, et pendant
les dix années qui suivirent.

 

Le
livre « Congo » de David Van Reybrouck, récemment paru, montre comment
le géant de l’agroalimentaire UNILEVER s’est développé à partir de
l’exploitation de l’huile de palme congolaise. Des fortunes colossales
se sont constituées au détriment des populations congolaises. Si la Belgique s’est
excusée il y a une dizaine d’années pour son rôle dans l’assassinat de
Lumumba, elle ne s’est jamais épanchée sur les souffrances infligées aux
Congolais. Elle ne risque guère de le faire aussi longtemps que des
Belges affairistes continuent à s’enrichir en pillant allègrement les
ressources du Congo.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.

La Belgique mène encore la danse au Congo David Cronin

         

 

L’hebdomadaire
« Marianne » vient de publier les noms de 10 personnes impliquées
dans l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier des premiers ministres
congolais depuis. Cette liste, établie par les membres de la famille Lumumba
dans le cadre d’une plainte en justice déposée à Bruxelles il y a deux ans,
comporte le nom d’Étienne Davignon, ancien membre de la Commission européenne
et membre du groupe de Bilderberg, cercle restreint en faveur de la
globalisation des marchés. Davignon travaillait au ministère belge des Affaires
étrangères à l’époque de l’assassinat de Lumumba et transmit alors un
télégramme recommandant la « mise à l’écart » du premier ministre.

 

Aujourd’hui
octogénaire, Davignon reste un lobbyiste de haut vol du milieu des affaires. Sa
présence sur la liste établie par les héritiers de Lumumba m’a amené à voir si
ses activités commerciales actuelles avaient encore à faire avec le Congo. La
réponse est manifestement : oui !

 

Davignon
est répertorié par le « Business Week » comme ancien titulaire
des fonctions de directeur et vice-président d’Umicore, société minière
anciennement connue sous le nom d’Union Minière du Haut-Katanga qui avait
entrepris dès le début du vingtième siècle l’exploitation des fabuleuses
richesses minérales du Congo. Davignon a aussi d’excellents contacts avec
Jean-Luc Dehaene, inusable premier ministre belge, également membre du conseil
d’administration d’Umicore.

 

Patrice
Lumumba avait eu l’audace de prétendre que les richesses du Congo devraient
d’abord bénéficier à ses enfants. C’était en juin 1960. Cinquante-trois ans
plus tard, le sous-sol de la province du Katanga est toujours exploité pour le
plus grand bénéfice d’Umicore. Il y a de bonnes chances pour que mon
smartphone, ou le vôtre si vous en avez un, contienne des minerais d’origine
congolaise. Umicore s’approvisionne en Cobalt auprès des mines et creuseurs du
Katanga pour alimenter le marché des batteries, ordinateurs, voitures et
produits chimiques. Umicore se targue de détenir avec une autre firme 50 %
de marché des produits de base pour les batteries au lithium (une ressource
essentielle pour les équipements électroniques).

 

Corporate
Knights — une rubrique du Washington Post — qui soutient le capitalisme propre
(que voilà un bel oxymoron !) a classé Umicore parmi ses 100 entreprises
les plus transparentes pour 2013.

Il faut
avoir un certain sens de l’humour pour oser qualifier de transparentes les
entreprises actives dans le secteur minier au Congo. Le Fonds Monétaire
International, qui ne partage pas ce genre d’humour, a estimé le montant des
exportations du Congo en pétrole et minerais pour 2009 à 4.2 milliards de $ US.
Le gouvernement de Kinshasa ne percevant que 155 millions de $ US en taxes pour
cette année, soit 4 % de la valeur exportée.

 

Cela dans
un pays où, comme le relève récemment l’ « Africa Progress
Report » publié par Kofi Annan, sévit une des pires malnutritions au monde
et où sept millions d’enfants ne sont pas scolarisés. Le Congo est au fond du
classement de l’Index du Développement Humain établi par les Nations Unies, il
est aussi ravagé par une guerre où le contrôle des richesses minières du
Katanga joue un rôle déterminant.

Loin
d’être discréditée par son implication dans les tragédies congolaises,
l’expertise d’Umicore est volontiers sollicitée. Ainsi, la Commission européenne a
adjoint Christian Hagelüken, représentant d’Umicore, à un « groupe
d’experts » chargé de garantir l’accès des entrepreneurs aux matières
premières. Un rapport de 2010 établi par ce groupe a identifié le cobalt et le
tantale congolais comme deux des quatorze éléments critiques essentiels au
développement de l’industrie électronique. Ce rapport insistait pour que soient
prises des actions en vue d’empêcher les « distorsions
commerciales », expression utilisée pour définir l’obligation d’utiliser
ces ressources en priorité pour les enfants du Congo, comme le voulait Lumumba,
plutôt que pour les utilisateurs de MP3.

 

Inutile
de dire à quel point ces « experts » ont fait du battage autour de
leur apparent souci de transparence, de développement durable et de protection
de l’environnement. Cela mis à part, la détermination des Européens à maintenir
le Congo sous contrôle n’a pas changé.

 

Quand la Belgique se résolut à
céder son indépendance au Congo à la fin des années cinquante, elle décida
aussi de garder la main sur les ressources minières du Katanga. Ce qu’elle fit
en encourageant Moïse Tshombe, rival de Lumumba et gouverneur de cette province
puis en soutenant la sécession du Katanga du reste du Congo.

 

La
demande de Davignon pour la mise à l’écart de Lumumba ressemble furieusement au
message de Dwight D. Eisenhower, président des États-Unis, à Allen Dulles,
patron de la CIA,
suggérant « l’élimination » de Lumumba.

 

En 1884,
l’Amérique fut le premier pays à reconnaître les prétentions de la Belgique sur le Congo. Le
déclenchement de ce processus entraîna, selon l’anthropologue spécialiste de
l’Afrique Centrale, Jan Vansina, l’extermination d’une bonne moitié de la
population congolaise entre 1884 et 1920. Cela signifie que 10 millions de vies
furent supprimées sous le règne de Léopold II, souverain de l’état du Congo, et
pendant les dix années qui suivirent.

 

Le livre
« Congo » de David Van Reybrouck, récemment paru, montre comment le
géant de l’agroalimentaire UNILEVER s’est développé à partir de l’exploitation
de l’huile de palme congolaise. Des fortunes colossales se sont constituées au
détriment des populations congolaises. Si la Belgique s’est excusée il
y a une dizaine d’années pour son rôle dans l’assassinat de Lumumba, elle ne
s’est jamais épanchée sur les souffrances infligées aux Congolais. Elle ne
risque guère de le faire aussi longtemps que des Belges affairistes continuent
à s’enrichir en pillant allègrement les ressources du Congo.

 

 

 

 

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.