08 09 13 Afrikarabia – RDC : Kamerhe 100% opposant.
Vital Kamerhe
boycotte les concertations nationales qui se sont ouvertes ce week-end à
Kinshasa. Une façon de se positionner en opposant intégral au président Kabila
dont il fut un proche collaborateur. Dans un entretien accordé à Afrikarabia
Vital Kamerhe s'explique sur les concertations nationales, décline ses solutions
pour le Congo et sa stratégie pour gagner la prochaine présidentielle de
2016.
Jeune loup
du kabilisme, dont il a été la cheville ouvrière, en tant que directeur de
campagne de Joseph Kabila en 2006, cofondateur du parti présidentiel (PRRD) et
président de l'Assemblée nationale, Vital Kamerhe a endossé les habits de
l'opposant depuis 2009, date de sa rupture avec le camp présidentiel.
Candidat d'opposition aux élections générales de 2011, Vital Kamerhe termine
en troisième position (7,74%) devant Joseph Kabila, accusé de fraude électoral,
et l'opposant vieillissant Etienne Tshisekedi. Un score honorable pour son jeune
parti politique, l'Union pour la nation congolaise (UNC), créé seulement onze
mois avant le scrutin et qui compte désormais 18 députés au parlement.
Après les élections contestées de 2011 et la reprise de la guerre à
l'Est du pays, Joseph Kabila, poussé par la communauté internationale, a décidé
d'organiser des concertations nationales en vue de régler la crise politique en
RDC. Les principaux partis d'opposition, sauf le MLC de Jean-Pierre Bemba, ont
senti le piège et décliné l'offre. En fin politique, Vital Kamerhe a choisi le
camp du boycott et affiche une opposition totale aux concertations. Une manière
de bien réaffirmer son encrage dans l'opposition dont certains doutent encore.
Le président de l'UNC propose d'ailleurs une alternative aux concertations de
Joseph Kabila et lance le 5 septembre 2013 la "Coalition pour la préparation
d'un vrai dialogue" (CVD).
Pour la présidentielle de 2016, l'horizon
politique semble assez dégagé pour Vital Kamerhe. Joseph Kabila, sauf
modification de Constitution de dernière minute, ne peut pas se représenter.
L'opposant historique, Etienne Tshisekedi affiche plus de 80 ans au compteur et
Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux en 2006, est toujours en prison à La
Haye. Dans une interview que Vital Kamerhe nous a accordé à Paris, le 6
septembre dernier, le président de l'UNC revient sur son refus de participer aux
concertations, son analyse du conflit à l'Est et sur sa stratégie d'alliances
pour remporter la prochaine présidentielle.
– Afrikarabia : Pour
quelles raisons ne participez-vous pas aux concertations nationales
?
– Vital Kamerhe : Dans ces
concertations, la représentation devait être paritaire : opposition politique,
société civile et majorité au pouvoir. Si on fait un simple calcul, Joseph
Kabila et sa famille politique représentent 77% des participants aux
concertations ! Ces concertations ne sont pas des élections où l'on doit cherché
une majorité, ce n'est pas le but. Ces assises ressemblent surtout à un congrès
de la majorité présidentielle avec quelques invités. Je suis d'ailleurs presque
convaincu que la simple élaboration du règlement intérieur va poser de sérieux
problèmes. Ceux qui n'ont pas compris à temps, comme nous, qu'il faut un vrai
dialogue vont nous rejoindre parce qu'ils vont claquer la porte.
–
Afrikarabia : Qu'aurait-il fallu faire ?
– Vital Kamerhe : Plusieurs choses doivent être
supprimées. Première chose : pas de partage du pouvoir, nous ne sommes pas là
pour cela. Deuxièmement pas de "per diem", cette indemnité journalière que
doivent toucher les participants aux concertations. On n'est pas obligé d'être
payé pour parler de son pays ! Il faut supprimer ces mauvaises pratiques. C'est
de la corruption voilée. Enfin il ne faut pas que ces concertations soient le
prétexte à une révision de la Constitution. C'est pourquoi nous disons "touche
pas à ma Constitution".
– Afrikarabia : Les concertations ont
pourtant débuté ce samedi. Qu'allez-vous faire ?
– Vital Kamerhe : Nous venons de créer au niveau
d'une large coalition de l'opposition : "la Coalition pour la préparation d'un
vrai dialogue" (CVD). Nous allons élaborer ensemble, avec nos partenaires de
l'opposition, les termes de référence d'un vrai dialogue. Nous allons dire
clairement quelles sont nos propositions. Nous ne fermons pas la porte, mais
nous n'allons pas participer à une messe noire contre le peuple
congolais.
– Afrikarabia : Dans la crise qui secoue l'Est de la
République démocratique du Congo, où se trouve la solution ? Que faut-il
attendre des négociations de Kampala entre le gouvernement congolais et la
rébellion du M23 ?
– Vital Kamerhe
: C'est au niveau régional qu'il faut regarder. Le M23 n'est que la
partie visible de l'iceberg. C'est un secret de polichinelle. Nous devons crever
l'abcès une bonne foi pour toute. Que veut le président Kagame ? Que veut le
président Museveni ? Que veut le président Kabila ? Les trois doivent nous dire
ce qu'ils veulent pour l'avenir de cette région. Et je crois que si la
communauté internationale doit faire des pressions, c'est au niveau de ces trois
présidents. Si ces trois chefs d'Etat le veulent, ils peuvent ramener la paix
dans la région des Grands Lacs. Ils doivent faire la paix des braves autour d'un
projet régional. Mais nous ne pouvons entrer dans un processus de coopération
régional lorsqu'il y a des troupes étrangères en RDC ou lorsque nos voisins
entretiennent une rébellion sur notre sol. Mais nous devons absolument créer des
passerelles de collaboration pour sortir cette région des Grands Lacs de ce
cycle de la violence.
– Afrikarabia : Beaucoup critique le mutisme du
chef de l'Etat dans cette crise. Pourquoi Joseph Kabila ne donne-t-il pas plus
de voix pour s'imposer ?
– Vital Kamerhe
: Il y a une sorte d'affairisme qui a été instauré dans notre pays.
Cela fini par distraire beaucoup de nos dirigeants.
– Afrikarabia :
Que faire des nombreux groupes armés ?
–
Vital Kamerhe : Lorsque j'étais commissaire général du gouvernement
chargé du suivi du processus de paix, nous avions élaboré à l'époque avec les
rwandais et les ougandais, sous l'égide de la Monusco, le mécanisme DDRRR
(désarmement, démobilisation, rapatriement, réinsertion, réinstallation).
Donnons d'abord un ultimatum à ces groupes armés. Ensuite il faut que la RDC, le
Rwanda et l'Ouganda collaborent, pour que ceux qui veulent rentrer au Rwanda
puissent le faire. Pour ceux qui ont peur pour leur sécurité, conformément au
droit international, on les cantonne dans des camps protégés par les
Nations-unies en attendant de trouver des pays d'accueil. Pour les différents
groupes armés, nous proposons de ne pas commettre les mêmes erreurs que par le
passé. Il ne faut pas les réintégrer dans l'armée nationale. Il faut créer des
centres de formation professionnelle. Trouver une petit bourse pendant leur
période de formation (de 20-25$) pour qu'ils puissent manger. Pendant cette
formation, ils doivent apprendre un métier. Une fois la formation terminée, on
créer des brigade de reconstruction, d'agriculture, d'élevage… avec un salaire
minimum de 100$. Au regard du revenu moyen congolais, je ne vois pas quel
milicien voudrait encore rester dans son groupe armé. Pour ceux qui seront
réfractaires à ce processus de désarmement volontaire, ils feront l'objet de
frappes militaires de la Brigade d'intervention. C'est ce qui s'est passé à
l'époque d'Artémis en 2003 avec un certain succès.
– Afrikarabia :
Vous avez été candidat à la présidentielle de 2011. Votre prochaine objectif
c'est 2016 ?
– Vital Kamerhe :
Oui c'est clairement l'objectif ultime. Mais avant 2016, nous avons les
élections provinciales, municipales et locales. Ces élections montreront ce que
chaque parti est capable de représenter dans chacun des territoires congolais.
Ce sera aussi un premier test pour la Commission électorale (CENI). Mais
concernant l'élection présidentielle, j'y travaille, je peaufine mon programme
pour un Congo fort, prospère et stable au coeur de l'Afrique.
–
Afrikarabia : Pour arriver à cet objectif, il va falloir créer des alliances.
Qui sont aujourd'hui les alliés de Vital Kamerhe ? Et qui seront ceux de demain
?
– Vital Kamerhe :
Actuellement nous sommes alliés avec le parti de Pierre Pay-Pay wa Syakasighe
(UDECF), le RCD-KML de Mbusa Nyamwisi, Congo pax, le parti de Ne Muanda N'semi,
le Parti congolais pour la bonne gouvernance (PCBG), le Parti travailliste (PT)
de Steve Mbikayi, l'Union des patriotes congolais (UPC) de John Tinanzabo et
l'UDEMO a également accepté de faire partie d'une large coalition avec nous.
Ensuite, l'idée d'une alliance avec le MLC de Jean-Pierre Bemba a toujours été
discutée, mais cela n'est pas encore concrétisée. Nous discutons avec son
équipe. Pour le moment, le MLC a accepté de participer aux concertations, donc
nous n'allons pas les jeter en pâture, mais nous disons attention : là où ils
vont, le chemin est parsemé de beaucoup d'embûches et de pièges. Concernant
l'UDPS d'Etienne Tshisekedi, nous considérons qu'avec l'UNC, il s'agit des deux
derniers remparts du peuple congolais. Je le dis clairement, j'ai encore besoin
de me rapprocher de monsieur Tshisekedi et de son parti.
–
Afrikarabia : Vous avez été très proche de Joseph Kabila et depuis votre brusque
passage dans l'opposition, certains vous accusent de vouloir jouer double-jeu
?
– Vital Kamerhe : Beaucoup
ont pensé que j'étais venu dans l'opposition par simple opportunisme et que
Joseph Kabila allait me nommer Premier ministre dans les mois suivants. Cela
fait maintenant 4 ans et rien ne s'est passé. Nous défendons aujourd'hui avec
l'UNC des valeurs et une vision du pays : défendre la dignité de notre peuple.
– Afrikarabia : Il n'y a pas de retour en arrière possible vers
Joseph Kabila ? Vous êtes définitivement passé dans le camp de l'opposition
?
– Vital Kamerhe : Absolument
!
– Afrikarabia : Vous comprenez que l'on vous pose encore cette
question, que certains congolais peuvent avoir des doutes ?
– Vital Kamerhe : Je comprends tout à fait que
l'on me pose cette question. Je réponds la chose suivante. Pour moi les
individus importent peu. Ce sont les institutions et le peuple congolais qui
comptent le plus pour moi. Même lorsque j'étais très proche collaborateur de
Joseph Kabila, j'ai dirigé l'Assemblée nationale avec un espace libre
d'expression pour l'opposition et pour la majorité… l'église au centre du
village. Je peux rappeler les débats très vifs à l'Assemblée au moment des
affrontements entre les troupes de Jean-Pierre Bemba et la Garde présidentielle.
Nous avons également eu un débat ouvert… et houleux, contre ma propre famille
politique, en interpellant le ministre des Mines sur la revisitation des
contrats miniers qui se faisait à la tête du client ou sur les massacres du
Bas-Congo et du Bundu dia Kongo.
– Afrikarabia : Pour la future
élection présidentielle de 2016, on sait que vous venez de l'Est du pays, une
région en conflit depuis plus de 20 ans. N'est-ce pas un handicap lorsque l'on
veut rassembler une majorité de Congolais ?
– Vital Kamerhe : Pour moi, c'est un avantage
certain. Sur le plan des chiffres, l'Est du pays représente 44% de l'électorat
national. En ce qui me concerne, je suis partout chez moi au Congo. Je parle aux
gens du Centre en tshiluba, aux gens de l'Est en swahili, à l'Ouest en lingala
et en kikongo. J'ai d'ailleurs pu mesurer cette popularité quand j'ai fait ma
propre campagne avec un tout jeune parti. Aujourd'hui nous avons 18 députés
nationaux. Il faut casser cette histoire de blocs Est, Ouest, Centre, Sud.
– Afrikarabia : L'horizon paraît assez dégagé pour vous en 2016. La
seule mauvaise nouvelle pour vous serait que Jean-Pierre Bemba soit libre et
donc candidat ?
– Vital Kamerhe
: Non, ce ne serait pas une mauvaise nouvelle et cela ne me fait pas
peur du tout. Nous sommes dans le cadre d'un jeu démocratique et j'ai toujours
dis du bien de sa libération. J'ai été le seul à me rendre à La Haye pour lui
rendre visite. Je pense qu'il n'a pas oublié tout cela. Si Jean-Pierre Bemba est
libéré de sa cellule de la Cour pénale internationale, ce qui est notre souhait,
nous aurons une alliance et nous discuterons. Nous sommes deux responsables
politiques qui voulons éviter les erreurs du passé. Nous avons la même ambition
de sortir le Congo de la honte et de la misère.