Il faut parler comme le peuple… rien de plus Par Boniface MUSAVULI

L’affaire
du M23 aura au moins eu l’avantage de mettre sur la place publique
la réalité de la complicité de longue date entre Kinshasa et
Kigali sur le dos des populations congolaises. Depuis, les autorités
de Kinshasa s’accordent sur de nouveaux éléments de langage. Il
faut parler comme le peuple congolais. 

Il faut nommer
les agresseurs du Congo. 

C’est une démarche
courageuse, en apparence, mais il ne faut pas tomber dans le piège
des « apparences trompeuses ». Il faut apprendre de la longue
tragédie du peuple congolais que les paroles officielles ne méritent
pas qu’on y attache beaucoup d’importance. Ce qui compte
par-dessus tout, ce sont les faits, les non-dits et les renoncements
inexpliqués mais révélateurs. 

Des années de
trahison, de complicité et de laissez-faire 

En effet,
les Congolais, après avoir été bernés depuis des années par des
dirigeants qui prenaient une part active aux trahisons en tous genres
(nomination d’officiers rwandais dans l’armée, intégration des
milliers d’agents du régime de Kigali dans l’armée et
l’administration pour accompagner le plan de balkanisation du
Congo), il devient quasiment vital de s’intéresser davantage aux
actes qu’aux simples paroles, présidentielles
soient-elles. 

Ainsi plusieurs questions méritent une
attention particulière. Oui, maintenant que le Rwanda est désigné
comme un agresseur quasiment récidiviste, qu’est-ce que l’Etat
congolais, de son côté, faisait avant et qu’est-ce qu’il
envisage de faire maintenant ? 

Classiquement, dans les
relations internationales, le crime d’agression, qui est un acte
grave en droit international, donne lieu à plusieurs types de
réactions, toutes devant être énergiques de la part de l’Etat
agressé. Une riposte militaire, un activisme diplomatique, des
actions judiciaires,… L’Etat congolais envisage-t-il d’engager
ces actions ? 

Riposte militaire, où en est-on ? 

Il
s’agit naturellement d’une réaction de type militaire consistant
à repousser l’agresseur et même à porter les hostilités jusque
sur le territoire ennemi. Une action difficile à envisager à l’état
actuel de l’armée congolaise. Depuis l’arrivée à Kinshasa des
dirigeants actuels en 1996, l’armée congolaise est continuellement
affaiblie notamment par la pratique consistant à intégrer par vague
successives des combattants ougandais et rwandais. 

Ces
derniers y répandent l’indiscipline, la méfiance, la criminalité
et les trahisons qui paralysent les opérations militaires. Ils sont
formés au Rwanda puis envoyés en masse par le régime de Kigali
pour détruire le Congo. Des pratiques qui ne sont pas près de
s’arrêter. En effet, les autorités de Kinshasa envisagent, à
nouveau, de réintégrer les membres du M23[1]. C’est-à-dire
orchestrer un nouvel affaiblissement de l’armée
congolaise. 

Comment, dès lors, prendre au sérieux la
parole des gouvernants qui parlent d’agression en accueillant des
agresseurs dans les rangs de l’armée nationale ? Et qui, depuis
toujours, n’ont pas entrepris de doter le pays des moyens
militaires suffisants pour faire face aux agressions à répétition

Une diplomatie poussive 

L’autre type de
réaction en cas d’agression s’opère sur le terrain
diplomatique. Le pays agressé réagit en mobilisant des Etats amis
pour infliger des sanctions, par exemple économiques, à
l’agresseur. L’Etat congolais a-t-il jamais pris des sanctions
économiques contre le Rwanda ? A-t-il déjà mobilisé des pays amis
pour adopter des mesures de rétorsion contre l’agresseur ? La
réponse est désespérément « non ». 

Comment, dès
lors, un peuple peut-il croire à la sincérité des dirigeants qui
n’entreprennent aucune démarche pour mobiliser l’opinion
internationale et faire sanctionner l’agresseur ? 

Réaction
judiciaire, où en est-on ? 

Le troisième type de
réaction (il y en a d’autres) est de type judiciaire. L’Etat
agressé engage des poursuites contre l’agresseur devant la Cour
Internationale de Justice, compétente, entre autres, en matière
d’agression (violation de la charte de l’ONU). Il peut aussi
saisir la Cour Pénale Internationale lorsque des crimes relevant du
statut de Rome (crimes de guerre, crimes contre l’humanité) ont
été commis. Le bombardement des populations civiles à Goma par
l’armée rwandaise constituent indéniablement des crimes de guerre
et crimes contre l’humanité. 

Le gouvernement
congolais prépare-t-il une plainte à déposer à la CPI ou à la
CIJ ? A-t-il demandé au Rwanda d’extrader les responsables des
bombardements de Goma ? Aucune démarche de cette nature n’est
entreprise par les autorités de Kinshasa. 

Il y a même
pire. Avant l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir en 2001, le
Congo avait un dossier à la Cour Internationale de Justice où le
Rwanda était poursuivi pour « actes d’agression armée » en
violation de la Charte de l’ONU. La procédure avait été engagée
sur instruction du défunt Président Laurent-Désiré Kabila. La
plainte sera retirée dans des conditions troubles la veille de
l’assassinat du Président Kabila. Son successeur n’a jamais
relancé la procédure en dépit des « agressions sans fin » qu’il
évoque à la tribune de l’ONU. 

Quelle importance
accorder à la parole des autorités qui dénoncent les agressions
contre « leur peuple » mais s’abstiennent, étonnamment, de
poursuivre les agresseurs devant les juridictions compétentes

Manque de franchise et supercherie de haute volée 

Ça
manque vraiment de franchise entre les autorités actuelles du Congo
et la population. Et la méfiance ne risque pas de s’estomper. Les
rencontres secrètes, mais stériles pour la paix, entre Joseph
Kabila et Paul Kagamé (New York, Kampala, Addis-Abeba, voire Goma)
et les images de grande convivialité affichées par deux Présidents
à la tête de deux nations en guerre sont des clés de lecture qu’il
faut constamment garder à l’esprit. 

Si les Congolais,
en tant que peuple, ont réellement un problème avec le régime
rwandais de Paul Kagamé, le Président Kabila, quant à lui, n’a
jamais été en conflit avec le pouvoir de Kigali à qui il doit son
arrivée à Kinshasa en tant qu’officier de l’armée rwandaise en
mai 1997. Son arrivée dans la précipitation à Kampala pour avoir
un tête-à-tête avec l’« homme fort de Kigali », alors que la
population congolaise venait de subir des bombardements à Goma (où
il n’a même pas fait escale) donne à penser que le « cordon
ombilical » n’a jamais été coupé, en dépit de graves
souffrances que le régime de Kigali fait subir aux populations
congolaises. 

C’est sûrement un cas unique dans
l’histoire des nations. Deux présidents « amis » font semblant
d’être en conflit et se maintiennent à la tête de deux nations
qui sont, elles, réellement en conflit. Les Présidents
entreprennent juste de sauver les apparences en parlant comme «
leurs peuples ». Juste parler. A l’étranger, la supercherie entre
les deux hommes est déjà de notoriété publique[2]. Au Congo, on
préfère rester encore incrédule. 

C’est tellement
difficile d’admettre qu’un peuple a à sa tête l’« ami »
d’un régime « ennemi ». Mais tout est question de temps. 

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