RD Congo – Belgique : Vous avez dit « plan Marshall » ? Boniface Kakule Musavuli Juriste, comptable et militant des droits de l’homme

Etrange
manque d’enthousiasme face à l’idée qu’on se fait d’un 
« plan
Marshall »
,
c’est-à-dire un vaste programme d’investissement multisectoriel
destiné à enclencher l’essor de développement d’un pays ou
d’une région sinistrée. 

Une
première explication viendrait de l’absence de consultation
préalable des dirigeants congolais, et encore moins des populations
congolaises qui en seraient bénéficiaires. Envisager un plan
de développement sans consulter les « bénéficiaires » a
quelque chose d’audacieux lorsqu’on considère qu’il s’agit
d’une ancienne puissance coloniale. Dans tous les cas,
la « générosité » ne faisant point
partie de la logique des Etats (qui ne fonctionnent qu’en
termes d’intérêts)
, la question du « plan
Marshall »
 pour le Congo, initié par la
Belgique, mériterait d’être abordée en mettant en
perspective un certain nombre de considérations.

Le
Congo est encore un pays en guerre

Engager
un plan Marshal pour le Congo, dans les conditions actuelles, ne
revient-il pas à mettre les charrues avant les bœufs ? En
effet, lorsqu’en 1947, les Américains décident de financer la
reconstruction des pays européens, la Seconde Guerre mondiale a déjà
pris fin. L’Allemagne nazie a été vaincue. On pouvait donc
investir dans une certaine sérénité.


Le
Congo n’est absolument pas dans la même situation. Le pays est en
guerre contre le Rwanda, l’Ouganda et un réseau international de
prédation orchestrant le pillage des ressources minières du
sous-sol congolais. A tout moment les combats peuvent reprendre dans
le Kivu. D’ailleurs, les signes annonçant de nouveaux
affrontements se multiplient
[1].
Aller investir des millions d’euros et de dollars dans une région
comme celle-là relève d’un raisonnement digne du 
tonneau
des Danaïdes
.

Les
pays européens sont déjà empêtrés dans des programmes de
développement sans lendemain dans une autre région en proie à une
violence endémique. En Palestine, les Européens financent la
construction des infrastructures qui sont rasées dès le
déclenchement des hostilités avec l’armée israélienne. Les
ruines sont déblayées pour l’édification de nouveaux bâtiments
qui sont, à leur tour, rayés de la carte. Absurde, non ! On
croit jeter l’argent des Européens par la fenêtre…

On
ne met pas les charrues avant les bœufs, faut-il toujours le
rappeler. Il faut commencer par régler le conflit. Il faut soutenir
le Congo dans ses efforts visant à reprendre le contrôle du
territoire national et la maitrise de ses frontières. Etrange
réflexion des ministres belges qui parlent de « construire
un pont entre le Congo et le Rwanda et non un mur »
. Des
propos qui résonnent comme une accusation gratuite contre un Congo
qui, en dépit des agressions à répétition qui martyrisent sa
population, n’a jamais envisagé d’enfermer ses voisins derrière
un mur.

Le
Congo est avant tout « un pays », pas « une
région géographique »

Un
plan Marshall conçu dans l’intérêt des Congolais doit tenir
compte du besoin existentiel du Congo en tant que 
« nation ».
Dans l’angoisse autour des complots visant à 
balkaniser
le Congo
,
il est assez surréaliste d’envisager un vaste plan de
développement qui ne profiterait, pour l’essentiel, qu’à deux
provinces 
(le
Nord-Kivu et le Sud-Kivu)
 sur
les 26 que compte le pays. Comment les Congolais des 24 autres
provinces regarderaient leurs compatriotes du Kivu qui profiteraient
d’un plan Marshall ? Les autorités belges qui connaissent
assez bien le Congo doivent savoir que des mécontentements se
murmurent déjà dans plusieurs provinces sur le fait que l’attention
de la communauté internationale reste focalisée sur la seule région
du Kivu.

Car
la réalité de la guerre du Congo est qu’elle a entraîné la
ruine du pays dans son ensemble suivant deux formes de destruction.
Pendant que les provinces de l’Est sont détruites par les combats,
les autres provinces sont détruites par l’abandon et
l’inattention, l’essentiel des moyens du pays étant absorbé par
l’effort de guerre. Un pays ne peut pas à la fois financer les
opérations militaires dans une région et construire des routes et
des écoles dans d’autres.

On
évite de mettre de l’huile sur le feu en découvrant la misère
qui sévit dans certaines régions, notamment de l’Ouest du Congo.
Il y a des zones où le taux de pauvreté dépasse l’entendement.
Jusqu’à 
93%
de la population
.
Comment ces Congolais réagiraient en apprenant que la Belgique,
l’Union européenne et la Banque mondiale vont verser plus d’un
milliard de dollars pour financer des projets communs de
développement qui associeraient 
« leurs
compatriotes »
 du
Kivu et les dirigeants rwandais ?

Lorsqu’on
veut briser la cohésion interne d’une nation, on ne s’y prend
pas autrement.

Un
plan Marshall, oui, mais pour quel résultat ?


Avant
d’envisager un plan Marshall pour le Congo, la Belgique serait bien
inspirée de se positionner par rapport au débat récurrent
[2]autour
de l’inefficacité de la politique d’aide des pays du Nord aux
pays d’Afrique. Pas un seul pays d’Afrique n’a réussi à se
développer grâce à l’aide fournie par les pays occidentaux, un
demi-siècle après l’accession de l’Afrique à l’indépendance.


Dans
son ouvrage intitulé 
« L’aide
fatale 
 »,
l’économiste zambienne Dambisa Moyo affirme radicalement que
l’aide extérieure est mauvaise pour l’Afrique et qu’elle
devrait être arrêtée
[3].
En Afrique, cette aide crée la dépendance, encourage la corruption,
perpétue la mal-gouvernance et la pauvreté. Pendant ce temps, les
pays d’Asie et d’Amérique Latine qui ont reçu moins d’aide
publique au développement semblent solidement mis sur les rails du
progrès
[4].


Pourquoi
reproduire les logiques qui ne marchent pas sans procéder au
moindre diagnostic ? Car le Congo est confronté, en plus des
difficultés liées à la guerre, à d’autres formes de handicap au
développement qu’on relève dans les pays où l’aide au
développement
Nord-Sud n’a
produit aucun résultat durable. Une 
corruption endémique,
un manque de structures étatiques fiables, une faible 
« capacité
d’absorption »
,…
L’aide fournie dans un environnement comme celui-là, est, soit
détournée de ses objectifs de départ, soit génère des structures
inadaptées ou trop couteuses pour que 
« le
pays bénéficiaire »
 réussisse
à en assurer la viabilité
[5].

Les
leçons du Zaïre de Mobutu

Par
ailleurs, se pose toujours la question de la légitimité du pouvoir
actuel de Kinshasa issu d’élections frauduleuses de novembre 2011.
Envisager une aide ou un plan Marshall avec des dirigeants qui
règnent par défi reviendrait à reproduire les mêmes erreurs que
sous le règne de Mobutu. Le Maréchal zaïrois soutenu, en dépit du
bon sens, par la Belgique, les Etats-Unis et la France, finit son
règne avec une fortune personnelle équivalant au montant de la
dette extérieure d’un Congo exsangue. L’aide alloué à des
régimes politiques comme ceux-là devient, pour faire simple, un
soutien amoral à des dirigeants corrompus maquillé en « aide
au développement »


Plus
globalement, il n’est pas responsable de véhiculer l’idée selon
laquelle le Congo aurait besoin d’être continuellement aidé.
C’est une vision qui participe de l’asservissement des dirigeants
congolais. Ces derniers misent sur l’aide extérieure alors qu’il
leur suffirait de ne pas détourner ou dilapider les ressources
nationales comme cela est régulièrement dénoncé
[6].
En novembre 2011, le député britannique
Eric
Joyce
 a
rapporté que le Congo a perdu jusqu’à 5,5 milliards de
dollars
[7] dans
des transactions minières douteuses avec des sociétés basées dans
les Iles Vierges Britanniques, peu avant la réélection contestée
de Joseph Kabila. On est tenté de dire : c’était évident !

Il
est en effet de notoriété publique que, comparé à d’autres pays
pauvres de la planète, le Congo n’est pas un pays démuni, en
termes de ressources. Bien entendu, dans le cadre de la coopération
bilatérale ou multilatérale, des coups de main çà-et-là peuvent
être envisagés. Juste des coups de main. Car il faut durablement
admettre que le Congo, à l’instar de n’importe quel pays, a,
pour son développement, un plus grand besoin d’investisseurs que
de « généreux donateurs ».

Dès
lors, l’idée d’un plan Marshall n’est pas de nature à
susciter l’enthousiasme.

 

[1] Les
pourparlers de Kampala entre le gouvernement congolais et le M23
s’enlisent. Pendant ce temps, on signale l’
arrivée
de 200 familles dans la zone contrôlée par le M23
.
Ces familles seraient des ressortissants 
« Rwandais » récemment
expulsés de la Tanzanie. Si l’information se confirme, il
s’agirait d’un acte délibéré de provocation de la part du
Rwanda, prélude à de nouveaux combats au nom de la protection des
populations qu’on appelle abusivement les 
« Tutsis
congolais »
.

[2] http://terangaweb.com/le-debat-sur-laide-au-developpement/

[3] Dambisa
MOYO, 
L'aide
fatale – Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions
pour l'Afrique
,
JC Lattès, 2009.

[4] http://www.afrik.com/article14739.html

[5] Cas
des projets financés par l’Union européenne entre 2003 et 2011.
Le rapport d’audit est commenté par Colette Braeckman
sur 
http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

[6] http://desc-wondo.org/dumping-des-societes-minieres-kofi-annan-denonce-des-transactions-douteuses-en-rd-congo/

[7] http://ericjoyce.co.uk/wp-content/uploads/2011/11/summary-5-5m-loss-french-version.pdf

 

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.