10 10 13 Le Soir – Les quatre vérités de René Abandi, au nom du M23

Selon
de nombreux témoignages, plus de 600 familles, venues du Rwanda, s’installent
sur la portion de territoire contrôlée par votre mouvement. Qui sont ces gens
?

Depuis
que nous contrôlons notre espace, il y a des vagues d’arrivées, les gens
viennent chez nous car ils fuient les combats et l’insécurité, mais comme on ne
veut pas dire que « chez les rebelles cela fonctionne » on ne fait pas écho à
des déplacements dans notre direction.

D’où
viennent ces nouveaux venus ? Du Rwanda, de Tanzanie ? Et s’il s’agît de
réfugiés qui rentrent chez eux, ont-ils été identifiés par le Haut Commissariat
aux réfugiés qui, en principe, devrait les aider à se réinstaller
?

La
majorité vient de zones occupées par les forces gouvernementales. Mais il y a
aussi des familles lassées de vivre dans les camps de réfugiés à l’extérieur,
qui ont traversé la frontière. Ce sont des retours individuels.
Je vous
rappelle le contexte : à Kampala, le M23 a proposé qu’il y ait sécurisation des
« pôles d’attraction citoyens ». On ne va pas, comme avec une baguette magique,
sécuriser tout l’espace, mais on peut convenir de points de retour, où peuvent
venir et les réfugiés et les déplacés internes. Nous avons déjà créé de tels
points et le gouvernement, de son côté, pourrait faire la même
chose.

Ces
familles devraient tout de même pouvoir prouver qu’elles sont bien originaires
de l’endroit à où elles veulent aller s’installer…

Mais
nous, en général, nous les connaissons ! Je ne peux pas demander à mon cousin de
prouver qu’il est de chez moi…On se connaît tous et on sait que ces gens
rentrent chez eux après beaucoup d’années. Ma version c’est que parmi eux, il y
a un peu de tout, certains viennent aussi de Kitchanga…
Il faut aussi se
rappeler que des familles, en 2009, ont été brusquement priées de quitter le
Congo par les autorités. A qui maintenant doivent elles demander l’autorisation
de rentrer ?
A Kinshasa on les considère comme des apatrides, des non
Congolais. Même si ces gens ont connu la souffrance des camps, ils doivent
encore prouver, à l’Etat qui les avait chassés, qu’ils sont bien des
Congolais.

Je
suppose qu’en arrivant le HCR les a répertoriés et qu’ils ont des
papiers…Pourquoi ne pas désamorcer la suspicion ?

Pourquoi
doivent ils prouver leur nationalité ? Nous, nous connaissons nos familles,
mieux que le HCR.
S’il suffisait de donner des preuves pour avoir les droits,
on pourrait en donner une quantité. Beaucoup peuvent prouver que leur maison a
été détruite, leurs biens ravagés…
L’idéologie doit changer au niveau de
l’Etat : pourquoi, moi qui suis du Kivu, devrais je prouver à l’Etat que je suis
un Congolais, alors que c’est cet Etat qui est responsable de ma misère… ? On ne
pose pas cette question à d’autres communautés…

Il
faut créer une mission vraiment chargée de gérer le retour des
réfugiés.

A
combien estimez vous le nombre de réfugiés qui pourraient réclamer ce « droit au
retour » ?

Tous
ont le droit au retour.

Oui,
mais ils combien sont-ils ?

Il
y a des réfugiés originaires de tout le pays, mais ceux de l’Est, partis en
Ouganda, Rwanda, Burundi, je ne sais pas très bien, mais je me demande si leur
nombre n’atteint pas le demi million. Chez nous les statistiques, c’est un
terrain très glissant si on veut s’y hasarder. Kinshasa, depuis une dizaine
d’années n’éprouve même pas le besoin de dénombrer ces
réfugiés.

Vous
ne les avez pas comptés de votre côté non plus. Si on négocie, il faut tout de
même le faire à partir de chiffres objectifs, de données
quantifiables…

Nous
avons demandé à nous rendre là bas, dans les camps, afin de les compter, de
savoir qui veut rentrer et où. Mais Kinshasa refuse : lorsque les gens qui
étaient à Moba (Sud Katanga) ont voulu rentrer au Sud Kivu, le gouverneur les en
a empêchés… Kinshasa recherche sa légitimité non pas en tentant de résoudre les
problèmes des citoyens mais en les stigmatisant davantage.

Pourquoi
ne pas créer une commission mixte, qui irait voir et dénombrer ces candidats au
retour ?

Nous
n’en faisons même pas un préalable : nous essayons, dans ces négociations,
d’être le plus constructifs possible. Nous amenons une proposition. Nous avons
accepté de négocier dans le cadre de la Constitution congolaise, nous ne
demandons pas qu’on la change. Mais quand on demande qu’elle soit respectée, on
nous traite de rebelles, on nous demande de quel droit nous invoquons la
constitution…
Nous ne demandons pas un changement de régime, nous demandons
que ce régime nous donne notre dû.
Ce que nous exigeons à Kampala, c’est le
retour des réfugiés, le désarmement des groupes armés, les Hutus des FDLR bien
sûr, mais aussi les ADF (groupes ougandais). Nous voulons le désarmement de ces
groupes étrangers qui, curieusement, commencent à avoir plus de droits que les
nationaux. Il faut aussi désarmer les groupes congolais Mai Mai, Raia Mutomboki,
mais, eux, ce sont des Congolais.
Moi, depuis 1995, je n’ai plus pu me rendre
dans la ferme de mon père, dans le Masisi : elle est occupée par des Hutus
membres des FDLR, de manière permanente. Elle est inaccessible et ceux qui
l’occupent ont plus de droits que moi.…

A
l’époque, vous aviez soutenu le CNDP de Laurent Nkunda. Libérer cette ferme, et
d’autres encore, cela aurait du être sa priorité…Par la suite, lorsque le CNDP
(Conseil national pour la défense du peuple) fut intégré au sein de l’armée
congolaise en 2009, cela aurait du être son premier
objectif……

En
théorie, c’était la mission. Mais tout de suite, Kinshasa a commencé à le priver
des moyens nécessaires pour faire ce travail. Les éléments du CNDP qui étaient
dans l’armée ont écrit beaucoup de lettres aux autorités, demandant qu’on leur
donne des moyens d’action. Mais les grands chefs n’avaient pas cette ambition,
les chefs de bataillon n’étaient que des exécutants…

Le
général Bosco Ntaganda, issu du CNDP, était cependant le commandant en chef des
opérations ?

Lui,
avait d’autres priorités, il voulait s’enrichir. L’argent était devenu une
passion terrible pour lui. Mais en même temps, il était devenu l’allié de
Kabila, il jouissait de ses faveurs…Le colonel Makenga (aujourd’hui chef
militaire du M23) lui voulait faire ce travail, il y a perdu des
militaires…
Maintenant nous pensons qu’il faut tenir un discours rassembleur,
lancer un nouveau départ…Les communautés congolaises doivent pouvoir se parler,
les notables doivent parler à leurs enfants, se demander quand l’harmonie a été
rompue. Il faut pouvoir parler du monastère de Ntoto, au Nord Kivu, où en 1993
déjà des paysans hutus avaient été massacrés à l’instigation des
autorités.

Un
nouveau départ… Cette volonté est-elle partagée ?

Avec
le populisme de quelqu’un comme le Ministre de l’Information Lambert Mende, il
n’y a pas beaucoup d’espoir, d’espace pour une solution en
profondeur…

Mais
des réunions, il y en a déjà eu beaucoup. Je me souviens des « barzas
communautaires », de la « conférence de Goma ».. On n’arrête pas de se parler
mais chaque fois, pratiquement tous les deux ans, la guerre
reprend…

C’est
le problème des grand messes…A l’époque du gouverneur Kanyamuhanga (ndlr. mis en
place en 1997 par Laurent Désiré Kabila )des structures de travail permanentes
avaient été mises en place, où on évaluait les situations concrètes, on
intervenait sur le terrain. Après sa mort, ces structures n’ont plus eu de
contenu.
Je ne crois pas aux grand messes, avec per diem, grosses délégations
etc… La réalité, c’est que quelqu’un doit bosser, sur le terrain. Il faut que le
pouvoir central ordonne à des gens de faire le travail.

Le
retour des réfugiés, le processus de réconciliation… cela ne me paraît pas
insurmontable. Qu’est ce qui bloque vraiment ?

La
réalité, c’est que ces points là n’engendrent pas de résultats immédiats. Ils
sont le résultat d’un travail dans la durée, planifiée dans le court et le long
terme…

Si
ces mécanismes étaient mis en place, on pourrait conclure assez vite et
s’engager dans des solutions à moyen et long terme. Mais cela bloque malgré
tout. Où est l’obstacle ?

Le
problème, c’est la communauté internationale, ainsi que des ONG qui parfois
travaillent contre la palabre et qui réussissent à obtenir de la part de
Kinshasa un discours qui sabote la négociation en cours. Ce sont des ONG
politiques, qui viennent avec des conclusions préétablies, qui jugent des
personnes qu’elles n’ont jamais écoutées, qui n’ont pas l’occasion de venir se
justifier. Elles publient des rapports extraordinaires, à la veille de chaque
sommet important, afin d’orienter les conclusions.
Ces ONG sont devenues très
importantes, très efficaces et causent beaucoup de dommages. Elles sont parfois
à l’origine de la non réconciliation. Ces ONG politiques ne nous aident pas du
tout, elles empêchent de trouver un consensus entre nous. Et quelle est leur
légitimité ? Elles contribuent à durcir les positions et jettent du feu sur les
conflits, nous dirigent vers des solutions opposées aux intérêts du peuple.
C’est
devenu un sérieux problème dans notre région.

Voulez
vous dire que ces ONG publient des listes de responsables de votre mouvement, ou
d’autres, qui devraient être exclus de mesures d’amnistie et être jugés pour les
crimes commis?

Voilà
le problème. Ces listes finissent par devenir officielles, adoptées par le
gouvernement congolais, conforté dans son intégrisme, son
intransigeance.

Ne
pensez vous pas qu’il faut combattre l’impunité, à la source de bien des
récidives ?

Certes,
mais il faut aussi se rappeler que chacun est présumé innocent et doit pouvoir
se défendre. La présomption de culpabilité ne peut pas être une règle, on ne
peut cibler et sanctionner quelqu’un qui n’a jamais été entendu. Cela viole les
valeurs mêmes dont ces organisations occidentales se réclament…
A Kampala, on
doit s’asseoir ensemble et réfléchir, et non communiquer par médias
interposés.

Quel
est le principal point d’achoppement de Kampala ?

Je
crois que le gouvernement ne veut plus négocier, que la communauté
internationale et les ONG dont je vous parle arment Kinshasa pour ne pas
avancer. On l’arme en disant qu’accepter de négocier, c’est déjà une concession
maximale, extraordinaire. Quant aux causes du conflit on désigne uniquement les
groupes armés, comme si la cause de la violence c’était la violence… Il ne faut
pas mélanger les acteurs et les causes : les causes profondes doivent être
discutées et traitées, mais cela nul ne veut l’entendre. La seule qui a dit
cela, bien isolée, c’est Mary Robinson…

L’envoyée
spéciale de l’ONU prône une solution politique. Qu’entend on par cela ?

Cela
signifie créer les conditions qui rendent impossible la reprise des hostilités,
discuter et traiter les causes des conflits. Il faut d’abord un cessez le feu
militaire, la création d’ une zone tampon, un mécanisme de contrôle qui
détermine celui qui tire la première balle…Dans le processus de pacification de
l’Ituri, qui a réussi, les communautés se sont mises d’accord entre elles, il y
a eu un discret travail mené à la base, sans caméras ni publicité…Le processus
de réconciliation s’est même mené entre tous les groupes, unis contre Kinshasa.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.