AFRIQUE – ASIE L’énigme Maï-Maï PAR BARBARA CARON

Le phénomène Maï-Maï date des années soixante. Après l’assassinat, en 1961, du Premier ministre congolais Patrice Lumumba, certains de ses proches décident d’entrer en guerre contre le gouvernement dirigé par Joseph Kasavubu, l’objectif étant de restaurer l’idéal nationaliste de Lumumba. Mais les moyens militaires dont disposent les hommes de Pierre Mulele, l’ex-ministre de la Jeunesse de Lumumba, se révèlent aussi insuffisants qu’inefficaces pour mener une guerre aussi ambitieuse. Leur croyance en des forces surnaturelles incarnées dans l’eau et censées les rendre invulnérables aux balles et projectiles ennemis – d’où l’expression “Maï-Maï” qui se traduit littéralement par “eau-eau” – les pousse à ne s’armer que de simples lances et couteaux. La rébellion est par conséquent vite défaite par les forces régulières alors conduites par Joseph-Désiré Mobutu, le futur maréchal-président.

C’est à l’est du pays que le phénomène Maï-Maï réapparaît dans les années quatre-vingt-dix, suite au conflit foncier qui oppose les communautés autochtones du Nord-Kivu aux Tutsis originaires du Rwanda et installés là depuis plusieurs décennies. De jeunes Congolais choisissent de prendre les armes, le but étant de chasser l’indésirable population tutsie. La question de la terre et celle de la nationalité sont donc au centre des querelles. Ces revendications identitaires et “autochtonistes” furent déterminantes pour le développement des milices Maï-Maï. La forte densité démographique constatée dans la région fait en effet de la terre un enjeu social et politique de première importance. Et, à cette époque, la situation des Banyamulenge (terme désignant les Tutsis se réclamant de la nationalité congolaise) est au cœur des débats. Alors que l’onde de choc de la crise politico-militaire rwandaise affecte l’Est du Congo, les populations tutsies, cibles de discours xénophobes, voient leur origine congolaise contestée et leurs droits limités. Le problème est que la reconnaissance de leur nationalité – ou sa négation – a toujours été fonction de leur allégeance ou de leur opposition aux élites au pouvoir. Si bien qu’aucune politique rationnelle, c’est-à-dire fondée sur des arguments de droit, ne s’applique à cette question récurrente. Une telle situation favorise et alimente l’essor du mouvement Maï-Maï.

Le phénomène Maï-Maï ressurgit puissamment en décembre 1996, quand éclate la rébellion de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). Ce mouvement “construit” et soutenu militairement par le Rwanda est d’abord destiné à la création d’un glacis de sécurité à l’ouest du Rwanda, en détruisant les camps de réfugiés hutus rwandais – ex-génocidaires – du Sud–Kivu. La rébellion de l’AFDL se transforme peu à peu en une guerre de libération nationale, conduisant à la chute du régime de Mobutu. Le 17 mai 1997, Laurent-Désiré Kabila, soutenu par ses parrains de l’Est, s’autoproclame président de la République démocratique du Congo.

Moins de quinze mois après son entrée à Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila rompt avec les principaux artisans de sa victoire, le Rwanda et l’Ouganda, dont il dénonce les intentions hégémoniques sur les affaires du Congo, de même que leur funeste appétit à l’égard des ressources naturelles du pays. La rupture entre Kabila et ses ex-parrains de Kigali et de Kampala est aussitôt suivie par la formation d’un mouvement rebelle –diverses rébellions se dresseront ensuite contre le pouvoir de Kabila –, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par le Rwanda et l’Ouganda. Les Maï-Maï s’opposent immédiatement et de façon radicale au RCD, dont l’impopularité est patente dans les régions orientales passées sous son contrôle, en même temps qu’ils dénoncent et combattent les troupes rwandaises, ougandaises et burundaises impliquées dans le conflit. L’implication des armées régulières de plusieurs Etats africains dans le conflit congolais a conduit les milices Maï-Maï, dont les zones d’activité se situent exclusivement à l’est de la RDC (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Maniema), à évoluer numériquement et structurellement.

Au départ, les Maï-Maï se présentaient comme une force non coordonnée, constituée de bandes occasionnelles dont le seul but était d’expulser les Tutsis du Congo. La mise en place d’une véritable armée leur permet d’organiser une “résistance” efficace au Nord-Kivu. Ainsi, les combattants Maï-Maï, sous les ordres du général Padiri, deviennent des soldats formés et aguerris, bien au fait des réalités du terrain. A plusieurs reprises, de cuisantes défaites sont infligées aux troupes de l’armée rwandaise et du RCD/Goma (la ville de Goma, située à l’est de la RDC, est à cette époque le fief de la rébellion du RCD) entre 1998 et 2002. Au Sud-Kivu, la réalité Maï-Maï est plus complexe. On y dénombre plusieurs groupes, disséminés un peu partout à travers la province. Les combattants y sont moins nombreux et moins organisés qu’au Nord-Kivu. S’agissant de leurs stratégies politico-militaires, celles-ci ont souvent évolué au gré des circonstances. Les “résistants populaires congolais” ont ainsi combattu les Banyamulenge et les Tutsis de 1996 à 1998 et lutté contre les troupes étrangères –rwandaises et ougandaises principalement– présentes en RDC de 1998 à 2002.

Mais au cours de leur histoire, les Maï-Maï ont conclu de nombreuses alliances, lesquelles se font et se défont au gré des évènements. Lorsqu’en 1996 éclate la rébellion de l’AFDL, les combattants Maï-Maï, forts du principe selon lequel “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”, s’allient aux ex-Forces armées rwandaises (FAR) et aux milices Interahamwe, composées de Hutus rwandais ayant pris part au génocide de 1994 et dont le nombre est estimé à plusieurs milliers de combattants dans l’Est de la RDC. Des rapprochements s’opèrent de la même façon avec des groupes rebelles burundais et ougandais. Mais les stratégies changent. A partir de septembre 1998, le gouvernement de Kinshasa devient le principal allié des Maï-Maï. Kinshasa assure alors un approvisionnement en armes, munitions et divers équipements de guerre aux Forces d’autodéfense populaire (FAP) composées d’éléments Maï-Maï et estimées, en octobre 2003, à près de trente mille combattants dans tout l’Est du pays.

Si les Maï-Maï ont suscité l’intérêt du gouvernement congolais, c’est parce qu’ils sont très populaires dans le Kivu. Les populations civiles habitant les provinces orientales de la RDC sont en effet les alliées traditionnelles des Maï-Maï. La population considère les Maï-Maï comme des patriotes et leur apporte un soutien constant. Et ce, malgré les exactions que cette population subit régulièrement de la part de ces “résistants” qui n’hésitent pas à entreprendre des violences punitives à l’encontre de ceux qui se montrent parfois réticents à payer l’“impôt de guerre” qu’ils exigent. En tout cas, c’est en vertu de cette estime régionale et nationale que pour la première fois, en 2002, les Maï-Maï sont invités à participer aux négociations devant permettre un retour à la paix en RDC. Tous les accords de paix et de désengagement signés par les protagonistes du conflit congolais avant cette date avaient en effet exclu les Maï-Maï, fréquemment anathématisés par le mouvement rebelle du RCD et le Rwanda.

Forts du soutien de Kinshasa qui leur a permis de prendre part au Dialogue intercongolais (DIC), les Maï-Maï participent aujourd’hui, au même titre que d’autres entités, aux institutions de transition prévues par l’Accord global et inclusif signé le 17 décembre 2002 à Prétoria. Ils sont aussi concernés, en tant que force militaire, par le programme “Désarmement, démobilisation et réinsertion” (DDR), prescrit dans le cadre de l’accord de paix et dont la mise en œuvre est confiée à l’actuel gouvernement congolais d’union nationale. Le rattachement d’une partie des combattants Maï-Maï à l’armée nationale unifiée a également été décidé. Le mouvement armé Maï-Maï, appelé à se transformer en parti politique, œuvre désormais pour la réunification du pays, le nouvel ordre politique signifiant pour lui “la tenue d’élections libres, transparentes et démocratiques”. Une inquiétude cependant prévaut : si l’Etat, secondé provisoirement par la Monuc (Mission des Nations unies pour le Congo), se révélait incapable de normaliser la situation sur l’ensemble du territoire national, les Maï-Maï se disent prêts, “par fidélité à leurs engagements vis-à-vis du peuple congolais”, à reprendre les armes et à “porter une nouvelle fois secours et assistance à la population”.

Qui arme les Maï-Maï ?

La crise politico-armée complexe que traverse la RDC depuis 1996 a entraîné l’inévitable développement, à travers le pays, d’un trafic d’armes légères en tous genres et au fil du temps toujours plus important. La province orientale du Kivu notamment en est devenue une plaque tournante, la prolifération des milices Maï-Maï dans la région constituant un des plus fructueux débouchés. Un institut de recherche bruxellois, le GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité), s’est récemment penché sur la question particulière des circuits d’armement de ces milices Maï-Maï. Publiée il y a quelques semaines, l’enquête, intitulée “Qui arme les Maï-Maï ?” est précise, documentée et particulièrement riche d’enseignements. Elle recense, pour ainsi dire, les différents moyens et voies d’approvisionnement en armes des “combattants populaires congolais” dont le nombre n’a cessé de croître au fil des années dans le contexte de la crise congolaise. On apprend alors que les combattants Maï-Maï ont su un temps compter sur la bonne disposition de la population, qui fournissait l’argent nécessaire à l’achat d’armes auprès d’ex-génocidaires rwandais éparpillés un peu partout dans la région à la suite du démantèlement par l’APR (Armée patriotique rwandaise) des camps de réfugiés où ils vivaient confondus avec des populations civiles. Une autre voie d’approvisionnement fut le réseau burundais : l’or exploité par les Maï-Maï était négocié et échangé contre des armes avec des officiers qui commandaient des brigades militaires dans des zones frontalières avec la RDC. Ce trafic a duré plusieurs mois. Le plus important réseau a finalement été observé à partir de Kinshasa, des avions affrétés par le gouvernement congolais larguant en effet régulièrement, de 1998 à 2002, d’imposants paquetages contenant armes et munitions sur des sites bien ciblés dans le Nord et Sud-Kivu.

Le général Padiri, au service de Kinshasa

Le général Padiri Bulenda est sans conteste le chef Maï-Maï le plus prestigieux. D’une trentaine d’années, cet homme de petite taille, calme, réservé, et d’un rare charisme, symbolise la résistance des populations du Kivu contre une guerre perçue et vécue comme une agression étrangère suivie d’une occupation du sol congolais. Très proche du pouvoir des Kabila, il est nommé général-major en septembre 1999 à la suite d’une tentative assez osée d’organisation de la “résistance” et de l’offensive gouvernementale à partir du territoire contrôlé par le RCD/Goma et des éléments de l’armée rwandaise. Soutenu matériellement par Kinshasa, Padiri a pu étendre ses maquis et infliger plusieurs défaites à ses adversaires entre 1998 et 2002. En octobre 2003, il est nommé commandant de la région militaire de Kisangani à la faveur de l’accord sur la formation d’une armée nationale unifiée.

        

©copyright le nouvel afrique asie Novembre 2005      

 

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