28.10.13 L'Observateur – Libre opinion : La cohésion nationale en question

La RDC est pleinement plongée dans l'après concertations nationales. Après le très attendu discours présidentiel du mercredi 23 octobre 2013, tout le monde dans le pays attend présentement la démission de l'actuel gouvernement et son remplacement par un autre, celui de cohésion nationale, tel qu'annoncé par le Président de la République.

 Le Chef de l'Etat avait promis aux concertateurs de tenir compte de toutes leurs recommandations. Il ne pouvait donc pas faire autrement. De toute façon, un Chef de l'Etat est soit dictateur, soit démocrate. Le dictateur est celui pour qui la considération des vœux de la population est le cadet de ses soucis, tandis que le démocrate, qui est à ses antipodes, est le commis de l'Etat qui, tout en imprimant sa marque, ses méthodes de gestion, traduit, en fait, en actes les desiderata des populations qui l'ont élu, qu'il représente donc, et pour lesquelles il travaille. Joseph Kabila se classe dans cette dernière catégorie, d'où sa prise en compte des recommandations des concertateurs dont certaines, en tout cas les plus importantes, ne vont pas dans le sens souhaité par la population.

Il faut aussi reconnaître que les concertateurs n'étaient pas mandatés par le peuple qu'ils ne devraient donc pas logiquement engager. Je pense que c'est en pleine connaissance de ceci que le Président de la République avait circonscrit ce forum comme étant un cadre de réflexion tout en insistant que les participants ne devraient en aucune manière se substituer au souverain primaire.

En le disant, le Président savait que tout en souhaitant voir au Palais du peuple des Congolais intelligents, dotés de réelles capacités de cogitation, des gens capables de produire un savant aide-mémoire pouvant orienter autrement la marche de leur pays, ils ne seraient pas des représentants du peuple et ne devaient donc pas engager celui-ci.

Le problème, c'est qu'il s'est agi de politique et, plus encore, de la politique congolaise. C'est un univers infernal, impitoyable, très peu catholique (même si la plupart des hommes politiques congolais se disent chrétiens catholiques), où seuls les intérêts privés comptent.

Plusieurs réactions avaient été enregistrées à la promulgation de l'ordonnance convoquant les concertations nationales. Dans sa grande majorité, l'opposition avait montré sa réticence, voire carrément son opposition à la tenue de ce forum dont elle disait ne pas comprendre le sens. Mais la petite phrase du Président du Sénat a, exactement comme seule une baguette magique sait le faire, réveillé des démons endormis. Du coup, outre quelques patriotes conséquents, la plupart se sont mis à lorgner sur le gouvernement promis par le co-modérateur. D'où la bousculade constatée, des jours durant, aux portes du Palais du peuple.

Ainsi, alors qu'il ne faisait nullement partie de l'ordre du jour, la formation d'un gouvernement d'union nationale a polarisé l'actualité, damant le pion aux cinq thématiques qui, visiblement, n'intéressaient pas grand-monde. Pourquoi devait-on changer de gouvernement ? Que reprochait-on à la bande à Matata ? Du coup,  le discours des opposants avait changé. Kabila n'était plus illégitime, le pays n'était plus en guerre, le gouvernement devenait le seul élément ayant cassé le fil de la cohésion nationale.

On peut importer en RDC le meilleur gestionnaire de la planète qui aura fait ses preuves dans le monde entier, élevant des sociétés qu'il aura trouvées au bas de l'échelle. Mais s'il ose appliquer ici ce qu'il aura appliqué ailleurs, et qui l'aura conduit à ces résultats impressionnants, en luttant farouchement contre la corruption, la gabegie financière et en imposant une orthodoxie financière, cet homme sera vomi, piétiné, traîné dans la boue avant d'être chassé comme un vulgaire malpropre. C'est cela, la classe politique congolaise. Le peuple n'a pas droit au chapitre. La vie, c'est pour eux. Pas pour le peuple.

Cette classe est la même depuis la deuxième République. Les Premiers ministres comme Evariste Mabi Mulumba et Jules Sambwa -paix à son âme- en ont eu pour leur compte. Technocrates et pas militants bien qu'appartenant au Parti-Etat (d'ailleurs qui n''en faisait pas partie dans ce pays ?), leur anticonformisme leur a fait avaler des couleuvres. Des cabales de toutes sortes avaient été montées contre eux parce qu'ils devaient absolument dégager (pour adopter une expression à la mode au nord du continent) pour laisser la place aux thuriféraires sans gêne, véritables affameurs du peuple.

En se classant dans la catégorie de ces illustres aînés, Augustin Matata Ponyo ne pouvait pas s'attendre à un sort meilleur. De la même manière que ces tireurs des ficelles dans l'ombre avaient réussi à opposer Mabi Mulumba à Mobutu, ils cherchent aujourd'hui à opposer Matata à Kabila dont il est pourtant le meilleur cheval de bataille. Dans ces éternels combats d'éléphants, celui qui soufre est connu d'avance.

Les Forces Acquises au Changement, FAC, qui étaient au départ opposées aux concertations nationales, qui ne les ont acceptées qu'après la bombe lâchée par l'un des modérateurs selon laquelle un gouvernement d'union nationale devrait être formé à l'issue de ces assises, réclament aujourd'hui, après l'annonce du Chef de l'Etat, que le Premier ministre qui devra diriger ce gouvernement sorte des rangs de l'opposition. C'est-à-dire d'elles, en réalité. Voilà l'extraordinaire démonstration de la nature perverse des politiciens congolais.

La cohésion nationale ne les intéressait pas tant qu'elle voulait dire ce qu'elle est, mais elle s'est brusquement mise à les intéresser -au plus haut point- dès lors qu'elle a commencé à signifier le partage du gâteau national. Subitement, la cohésion nationale les intéresse tellement qu'elles font monter les enchères. Où est la place du peuple dans tout cela ? A-t-on recherché la cohésion des politiciens dans ce que l'immortel Franco aurait appelé " Lisanga ya ba nganga ", ou la cohésion de tous les Congolais ? 

 

Démocratie consensuelle ?

Pour être conséquente et envisager une réussite, une société doit être ce qu'elle veut être. Les Indiens incinèrent leurs cadavres. Cela cadre avec leur culture. Tout en respectant le peuple indien, tout en collaborant avec lui, nous n'avons pourtant pas adopté cette culture et continuons à enterrer nos morts.

Tous les peuples, aujourd'hui, aspirent à vivre démocratiquement. Si nous, Congolais, voulons réellement faire de notre pays une société démocratique, acceptons la démocratie avec tous les avantages qu'elle apporte, mais également toutes ses impositions. Ne soyons pas comme ces pasteurs qui, habilement, ne sélectionnent que les versets bibliques allant dans le sens de leurs intérêts.

Nous semblons ne vouloir ni la dictature ni la démocratie. Décidément Mobutu avait raison d'affirmer que les [Congolais] n'étaient ni à gauche, ni à droite, ni même au centre. L'un des piliers sur lesquelles se base la démocratie est l'alternance. L'alternance ne concerne pas seulement le Président de la République comme certains politiciens veulent le faire comprendre aux gens.

Après les élections, le Président de la République et le Parlement élus travaillent durant tout le temps que leur accorde la Constitution et rendent compte à l'issue de celui-ci. Ceux qui n'ont pas été élus restent dans l'opposition durant le même temps constitutionnel.

Le gouvernement d'union nationale (de cohésion nationale, de large union nationale, d'ouverture, ce n'est qu'un simple jeu de mots) n'est en rien une solution tout autant qu'il n'est pas constitutionnel. Il ne mettra en rien fin à la misère du peuple congolais. Il ne s'agit, ni plus ni moins que du partage du gâteau national, un terme indigeste que les gens sensés devraient avoir honte à prononcer.

La démocratie consensuelle est une invention congolaise qui veut simplement ramener le pays au règne du Parti-Etat. Qu'est-ce qu'une démocratie consensuelle ? En quoi est-ce qu'une démocratie peut-elle être consensuelle ? Une démocratie consensuelle s'oppose à la démocratie elle-même du fait qu'elle est aux antipodes d'un des piliers de base de la démocratie qui est les élections.

Se rend-t-on compte que la fameuse démocratie consensuelle qui est en train d'être installée en RDC piétine tous les efforts du peuple qui est allé massivement voter le 28 novembre 2011 ? Ne se moque-t-on pas ainsi de lui ? Va-t-on encore lui demander d'aller voter demain pour les locales, les primaires et les provinciales, et après-demain pour les législatives et la présidentielle ?

C'est là toute l'importance de la mise en garde du Chef de l'Etat aux concertateurs de ne pas se muer en souverain primaire. La majorité consensuelle, fabriquée dans des salons climatisés, est un non-sens en démocratie. Seules les élections forment la majorité, sinon la transhumance qui peut faire mouvoir un parti à gauche et à droite, au gré des intérêts, le temps d'un même mandat.    

Puisque nous tenons absolument à inventer la roue, eh bien inventons-la. Il y a bien eu des élections sous la deuxième République. Qu'on organise donc un autre dialogue où les Congolais réfléchiraient sur les modes de réinstallation d'un parti unique tout en gardant le principe des élections. De cette façon, les assoiffés de pouvoir n'auraient pas à attendre les temps constitutionnels pour être au gouvernement. Et on n'épargnerait à l'Etat des dépenses faramineuses dans l'organisation de ce genre de forum. Les équipes gouvernementales seraient en perpétuelle mutation comme au bon vieux temps du règne du maréchal du Zaïre, puisqu'il faut faire plaisir à tout le monde.

 

La vraie cohésion nationale

Qu'il s'agisse de son discours sur l'état de la Nation en décembre 2011, de l'ordonnance convoquant ce forum ou de son allocution à l'ouverture des concertations nationales, le Chef de l'Etat n'avait jamais manqué une occasion pour souligner que le seul objectif qui motivait la convocation de ce forum était la recherche de la cohésion nationale.

Je pense sincèrement aujourd'hui, avec le recul, qu'il était important qu'on organisât à la télévision, dans toutes les langues parlées en RDC, de longues séances d'explication de ce terme. Car, apparemment, chacun y est allé de sa propre compréhension. C'est ainsi qu'on a entendu certains politiciens déclarer qu'il s'agissait-là d'un aveu d'échec de la part du Président de la République et son gouvernement, qui requéraient donc-là l'expertise de l'opposition. D'autres prétendaient que le Président de la République souffrait d'une crise de légitimité et cherchait donc à attirer à lui l'opposition afin de remédier à cette faille. Du n'importe quoi.

N'importe comment, les assises se sont tenues. Maintenant, dans l'esprit de la cohésion recherchée, fallait-il absolument l'insertion des membres de l'opposition dans le gouvernement pour que les résolutions issues des concertations nationales soient correctement appliquées ? Voulait-on montrer par là que c'est l'incompétence des membres du gouvernement qui avait cassé la cohésion nationale ?

On ne doit pas confondre ouverture et brassage. L'ouverture, c'était déjà le fait d'avoir pris dans le gouvernement au moins deux membres de l'opposition. L'ouverture pourrait encore être, étant donné les circonstances présentes, l'insertion au gouvernement de deux ou trois, voire quatre têtes de l'opposition sans que cela engage l'opposition en tant que telle.

Ces personnes seraient des technocrates, extrêmement qualifiés pour des tâches auxquelles on les appellerait (pas absolument ou uniquement au gouvernement) et bénéficieraient donc d'une sorte de dérogation de la part de leurs partis. Ceux-ci, à l'inverse, les céderaient donc aisément afin qu'ils puissent aider la République. On verrait ainsi, dans ce croisement vertical, une parfaite image de cohésion nationale. Le croisement signifierait que le Président aura tendu une main que l'opposition aura saisie. Y aurait-il un exemple de cohésion nationale plus beau que celui-là ?

La démocratie a besoin d'une opposition. Sans elle, elle est tout sauf une démocratie. Or, on ne peut plus honnêtement parler d'opposition lorsqu'il y a un gouvernement d'union nationale. Car c'est tout le monde qui gère. Même s'il sera dirigé par Matata Ponyo, le gouvernement de cohésion nationale n'aura pas l'impact de l'actuelle équipe. Et, honnêtement, on ne peut pas en attendre grand-chose. Personne, en tout cas dans ce pays, n'ignore l'inefficacité d'un tel gouvernement.

Jean-Claude Ntuala

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