29 10 13 Russell Feingold: «Un effort militaire plus poussé en RDC risque de mettre en péril les pourparlers de Kampala» Par Christophe Boisbouvier
RFI: Dans lest du Congo, depuis vendredi, la guerre a repris à lavantage des forces armées congolaises (FARDC). Pour résoudre le problème des rebelles du M23, la solution militaire ne serait-elle pas finalement la meilleure ?
Russell Feingold: Non, ce n'est pas ma lecture des choses. La solution militaire ne répond pas aux problèmes posés par le M23 et par les quarante ou quarante-cinq autres groupes de la région. Ce quil nous faut, cest un accord de paix négocié avec le M23. Le processus est en cours, dans le cadre des négociations de Kampala, il faut que ces pourparlers aboutissent bientôt, car cela pourrait mettre un terme aux affrontements, mais il faut y parvenir sans accorder damnistie à ceux qui ont commis des crimes graves. Donc selon moi, un effort militaire plus poussé risque de mettre en péril les pourparlers de Kampala, et par là même la possibilité de voir le M23 rendre les armes. Cela risque aussi de mettre en péril les initiatives pour la paix que soutiennent la communauté internationale et lUnion africaine. Donc oui, nous avons vu que les militaires congolais avaient remporté plusieurs succès ces derniers jours, mais nous pensons néanmoins quà lheure actuelle, la retenue permettra de mieux servir le Congo et les peuples de la région.
Il y a quelques jours, vous avez rencontré le président Kabila à Kinshasa. Ne craignez-vous pas que, grisé par ses victoires, il tente de régler le problème par une grande offensive militaire ?
Je lai rencontré avant les derniers combats, et il na pas nié quil allait peut-être décider de la nécessité dune initiative militaire, mais il ne ma pas donné limpression dun homme qui nétait motivé que par la solution militaire. A Kampala, il a donné le feu vert à ses négociateurs pour décrocher un accord. Jai pu voir les négociateurs congolais à lœuvre durant cinq jours, et jai limpression que le gouvernement congolais souhaite que le processus aboutisse, parce que loption militaire nest pas loption quil préfère. Donc nous encourageons la RDC à faire montre de retenue dans la mesure du possible.
Tout récemment, vous avez aussi rencontré à Kigali le président Kagame. Si le M23 subit défaite sur défaite, ne craignez vous pas que larmée rwandaise intervienne directement, sur le terrain, auprès du M23 ?
Ce serait une évolution très malheureuse. Le gouvernement rwandais et le président Kagame disent que le M23 nest pas leur mouvement. Nous leur avons fait part de notre préoccupation. Nous leur avons dit que nous pensons que le M23 bénéficie de soutiens. Ils disent quils sont en faveur du démantèlement du M23, cest exactement ce que le président Kagame a dit à notre groupe d'envoyés spéciaux, et il me la aussi dit personnellement. Parce que cest ce que prévoit laccord cadre, et le Rwanda a signé cet accord cadre. En fait, lorsque les cinq envoyés spéciaux ont rencontré Paul Kagame il y a quelques jours, celui-ci a fait une déclaration forte dans laquelle il a demandé que laccord soit finalisé le soir même. Ce nest pas ce qui sest produit, mais il ne fait aucun doute que laccord réclame le démantèlement du M23, et non une implication dans une guerre qui vise à soutenir le M23. Et bien sûr nous nencourageons pas cette dernière option qui, de plus, serait en contradiction avec les engagements du gouvernement rwandais.
Depuis un an, vous infligez des sanctions au Rwanda à cause de son aide aux rebelles du M23. Ces sanctions ont-elles un effet sur le terrain ? Le Rwanda a-t-il pris ses distances avec le M23 ?
Tout dabord, les sanctions à ma connaissance visent surtout le M23, même si récemment les législateurs américains ont décidé de sanctions pour punir ceux qui encouragent le recrutement denfants soldats par le M23. Cest une affaire grave et par conséquent nous avons décidé de retirer une partie de notre aide militaire en raison des preuves dont nous disposons. Jignore quel a été limpact de ces sanctions. Mais je sais que les Etats-Unis nont pas dautre choix que signifier que ce genre de pratique sest bien produit. Je sais que le gouvernement a à cœur déviter le recrutement denfants soldats, nous nous sentons suffisamment à laise pour rappeler que ces pratiques ne peuvent pas être tolérées, même de façon indirecte. Avec le Rwanda, notre objectif est davoir une relation positive et continue. Cest un pays ami des Etats-Unis, nous sommes admiratifs devant les progrès enregistrés par ce pays, dautant plus quil a dû traverser une énorme tragédie, il y a vingt ans à peine. Nos préoccupations quant au soutien vis-à-vis du M23 nuisent à une relation qui est par ailleurs excellente. Donc nous aimerions beaucoup travailler avec le Rwanda pour permettre aux pourparlers de Kampala daboutir, pour voir le M23 démantelé, et pour avoir une relation dans laquelle on naurait pas besoin de parler de sanctions ou de choses de ce type.
Le président Kagame affirme que la guerre ne cessera pas tant que les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) continueront de sévir dans la région avec le soutien, dit-il, des FARDC. Le président tanzanien Jakaya Kikwete propose une grande table ronde avec tout le monde, y compris les FDLR. Mais le Rwanda nen veut absolument pas. Il dit quil ne peut pas discuter avec les forces du mal. Quen pensez-vous ?
Je comprends pourquoi le président Kagame est réticent à sengager dans ce type de négociations, et je ne crois pas que des pourparlers entre une nation souveraine et un groupe armé, comme sils étaient deux parties égales, soit le meilleur moyen de résoudre ce type de problème. Les Etats-nations impliqués doivent être ceux qui prennent part aux négociations, ils doivent être à la même table, c'est-à-dire le Congo, le Rwanda et les autres pays qui sont affectés. Et au cours de ce processus, alors oui, la question des FDLR et les questions qui subsistent quant au M23 doivent être abordées, mais cela ne veut pas dire que ces groupes doivent avoir un siège à la table. Ce sont des groupes armés illégaux. Chacune de ces nations a signé un accord-cadre qui stipule que ces groupes ne doivent pas être tolérés, donc je pense quil y a une meilleure approche que celle qui consiste à organiser toute une série de négociations entre une nation souveraine et un groupe rebelle qui est considéré comme hostile.
Aux discussions de Kampala, le gouvernement congolais menace les chefs rebelles du M23 de poursuites judiciaires. Mais quand on négocie avec des gens en leur disant : « Dès que vous aurez signé un accord, jessaierai de vous faire mettre en prison », est-ce quon ne torpille pas ces négociations ?
Le Congo a le droit de demander des comptes aux auteurs de crimes graves, et à ceux qui les ont ordonnés. On ne peut pas sattendre à ce quil renonce à ce droit au motif quil a accepté dentrer dans des négociations, ce nest pas approprié. Il y a une différence avec lamnistie accordée à ceux qui se sont rebellés, le gouvernement du Congo y est disposé, il a étudié la question dune façon raisonnable. Mais le Congo, la communauté internationale, et très franchement les Etats-Unis ne peuvent pas soutenir un accord qui prévoit lamnistie pour les auteurs de crimes graves. Il sagit de ne pas répéter les erreurs du passé, et cest ce que les Congolais disent à Kinshasa et dans le reste du pays. Accorder lamnistie de façon répétée aux mêmes gens qui ont commis des crimes graves na aucun sens ! Il nous faut prendre un virage et arriver à un accord de paix raisonnable, qui garantisse la sécurité aux membres du M23 qui ont été démobilisés et désarmés, mais qui ne prévoit pas damnistie pour les auteurs de crimes graves.
Au Congo et au Rwanda, lun des problèmes nest-il pas labsence de véritable démocratie et de respect des droits de lhomme ? Que pensez-vous de la détention de Victoire Ingabire dans une prison de Kigali et de celle de Diomi Ndongala dans une prison de Kinshasa ?
Je crois que les mécanismes démocratiques qui obligent à rendre des comptes renforcent ces pays en interne et permettent aussi à ces pays davoir de meilleures relations avec leurs voisins, parce que les populations peuvent manifester leur désir de paix. Lun des aspects les plus importants de mon rôle et de celui de Mary Robinson et des autres envoyés spéciaux est dencourager le processus de réforme au Congo. Nous encourageons de façon pressante la tenue délections locales et provinciales au cours des deux prochaines années, nous souhaitons que la Ceni, lagence qui est en charge de ces élections, reçoive un soutien financier transparent, nous avons hâte quune élection présidentielle plus crédible soit organisée en RDC en 2016, contrairement à ce que nous avons vu en 2011, alors que lélection de 2006 sétait relativement bien passée. Et de la même manière, au Rwanda, dautres pratiques démocratiques, qui accordent plus de place à lexpression de lopposition et qui exigent du gouvernement quil rende des comptes, doivent aussi être encouragées.
Avez-vous soulevé le cas de Victoire Ingabire auprès du président Kagame et celui de Diomi Ndongala auprès du président Kabila ?
Personnellement, non. La plupart de ces sujets sont évoqués de façon bilatérale par nos ambassadeurs. Mon rôle est de traiter des cas qui relèvent des Grand Lacs, donc dans ces deux pays ce sont nos deux ambassadeurs qui traitent ce genre de choses.