Ils ont amnistié le M23 Par Boniface MUSAVULI, activiste des droits humains
Pour
justifier sa démarche, le gouvernement évoque la nécessité, pour
le Congo, de se
conformer aux contestables engagements
de Nairobi du
12 décembre dernier. Ils prévoyaient ladoption dune loi
damnistie. Mais largument est loin dêtre convainquant
lorsquon examine la question de lopportunité de
la démarche et sa légitimité.Surtout
lorsquon réalise que linitiative du gouvernement se traduit,
de fait, par la perpétuation de la culture de limpunité, la
souffrance des victimes étant, une fois de plus, complètement
passée sous silence.
Un
projet de loi inopportun
Une
loi damnistie, en principe, nest envisageable quune fois la
nation acquiert la certitude que « la
guerre est finie ».
Or, dans le cas du M23, on en est encore loin. Le dernier rapport des
experts de lONU indique clairement que le
Rwanda et lOuganda continuent de renforcer militairement le M23.
De son côté, le patron de la Monusco, Martin Kobler, a fait
entendre, ce lundi 13 janvier, que le M23 mène, à nouveau, des
incursions dans lEst du Congo, notamment dans
le District dIturi .
Ces
incursions ont commencé bien avant, puisquil est maintenant
établi que les
combattants qui avaient investi la cité de Kamango,
le 25 décembre dernier, étaient bel et bien une coalition
ADF/Nalu-UPDF (armée
ougandaise), le
nouveau visage du M23, version Kampala .
Dès
lors, le projet de loi voté par le sénat congolais, au profit dun
groupe armé toujours actif, résonne comme une promesse de Kinshasa
selon laquelle lamnistie est acquise, quoi quil en soit. Le
message envoyé par un vote comme celui-là est un
désastre complet parce
quil consiste à conforter les
combattants « rwando-ougandais » dans
leur logique de « la
guerre sans fin ». Certains
combattants en seraient à leur cinquième agression contre le
Congo après
avoir servi dans les rangs de lAFDL(Première
Guerre du Congo),
du RCD (Deuxième
Guerre du Congo),
des groupes armés comme lUPC-Thomas Lubanga, du CNDP-Laurent
Nkunda et maintenant du M23. Pire, le gouvernement congolais a
reconnu que des
récidivistes pourront bénéficier de la loi damnistie.
Le
message est aussi désastreux vis-à-vis des autres groupes armés,
nationaux et étrangers . Ils redécouvrent le
même « Congo-Etat-faible » quils
commençaient pourtant à craindre après la récente
offensive « musclée » des
FARDC appuyées par la brigade
dintervention de la Monusco.
Sur
la légitimité de la démarche
Le
gouvernement congolais a mis en avant largument des engagements,
au plan international, pris à Nairobi aux termes des pourparlers de
Kampala. On relève au passage quun gouvernement, qui est supposé
tirer sa légitimité des mains de son peuple, semble privilégier
les recommandations des partenaires étrangers en manquant dinvoquer
une seule fois la
référence au « peuple
congolais ».
Au-delà
de cette absence
criante dempathie entre
les autorités et leurs populations, on relève que les engagements
de Nairobi sinscrivent dans un cadre qui suppose que le
gouvernement congolais ne doit pas être le seul à se sentir lié.
En effet, aux termes des accords
dAddis-Abeba du 24 février 2013 ,
dont découlaient les pourparlers de Kampala et les engagements de
Nairobi, les pays comme le
Rwanda et lOuganda devaient sacquitter dun ensemble
dobligations en
tant que signataires.
Ces
accords engageaient leurs signataires à « ne
pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à
des groupes armés » et « ne
pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit
aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre
l'humanité, d'actes de génocide ou de crimes d'agression, ou aux
personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies » (article
5).
Kampala et Kigali ont signé ces accords mais nen respectent pas
un seul. Les combattants du M23 ont bel et bien été accueillis sur
le territoire des deux pays. LOuganda a même annoncé quil
en avait accueilli 1.600, soit dix fois plus que les estimations des
experts .
Le Rwanda en a également accueilli et nenvisage aucunement de les
extrader.
Quel
intérêt le Congo aurait-il à honorer des engagements
internationaux que les autres signataires ont entrepris de
bafouer allégrement ?
Les engagements internationaux ont toujours reposé sur le principe
de réciprocité.
En
réalité, il apparait assez clairement que le sénat a voté la loi
damnistie pour se
conformer à la volonté du gouvernement,
qui, lui-même, sur ce sujet, ne fait quappliquer
les « ordres » du
Président Kabila. Or, le Président Kabila, et cest de notoriété
publique, veille à ne pas mécontenter son homologue
ougandais, Yoweri
Museveni, à la fois médiateur international
et parrain du M23.
Ce qui contribue à conforter les tenants du discours selon lequel le
Congo ne serait pas une nation souveraine .
Labandon
des victimes et la consécration de limpunité
Le
texte prévoit une étrange disposition selon laquelle « Toute
personne victime de faits infractionnels commis par les bénéficiaires
de la loi damnistie a la possibilité de saisir les juridictions
étatiques territorialement et matériellement compétentes pour
obtenir réparation ».
Donc, des poursuites au civils à défaut de poursuites au pénal,
avec à la clé la possibilité pour les victimes dobtenir
réparation.
Quelquun
a-t-il remarqué que les victimes ne bénéficieront pas des services
du ministère public, le gouvernement devant garantir leffectivité
de lamnistie ? Elles devront ainsi, soit soctroyer les
services dun avocat soit « laisser
tomber ».
En effet, les membres de M23, nétant pas réputés pour être des
nantis, on nimagine pas quils puissent sacquitter des
préjudices matériels causés à leurs victimes, contrairement à ce
que tente de faire croire le texte du gouvernement. Cest pourtant
à un gouvernement quil revient dassumer la charge de ses
citoyens, victimes des violences armés, une obligation qui découle
de la mission de lEtat consistant à la protection des personnes
et de leurs biens.
Finalement,
ce projet de loi, malgré les discours officiels, sinscrit dans la
vieille tradition de limpunité qui fait le lit des guerres à
répétition dont
le Congolais nont pas fini dêtre meurtris, comme en témoigne
la relance en cours du M23.